Notice administrative, historique et municipale sur le XIIIe Arrondissement
Par Philippe Doré
Propriétaire, Ex - Préparateur de chimie à l'École Polytechnique, Professeur des Cours publics et gratuits de Chimie et de Physique aux ouvriers du XIIIe arrondissement, Professeur à l'École préparatoire à la Marine, à l'Institution Pompée, etc. , etc.
Quartier de la Gare

Le quartier de la Gare est limité par la Seine, depuis l'ancienne barrière de la Gare jusqu'aux fortifications, par le mur d'enceinte jusqu'à la route de Choisy (du bastion 94 au bastion 89), par cette même route jusqu'à l'ancienne barrière de Fontainebleau, et enfin, par les boulevards de la Gare et d'Ivry jusqu'au pont de la Râpée.

C'est un des quartiers les plus industriels du treizième. arrondissement, nous y trouvons les grands ateliers du chemin de fer d'Orléans, la raffinerie de sucre de M. Say (dite de la Jamaïque), une usine à gaz de la Compagnie à parisienne, la raffinerie de mélasse de MM. Régis-Bouvet, les fabriques de noir animal de MM. Brigonnet, Robert, la fabrique de céruse de MM. Bezançon frères, presque en face, un magnifique établissement de date toute récente pour la confection des cuirs, la fabrique de gélatine de MM. d'Enfert, remarquable pour la beauté de ses produits, enfin, la serrurerie et fabrique de charpentes en fer de M. Deschars, l'établissement Beudon pour les vases réfractaires, la faisanderie de MM. Balitrand et Lamarche, et plusieurs distilleries de bois pour la préparation du charbon et de l'acide pyroligneux.
Sous le rapport topographique, ce territoire est très accidenté ; il présente, depuis la route de Choisy jusqu'à la Seine, une pente plus ou moins forte, tandis qu'il renferme un magnifique plateau entre la route de Choisy et la rue du Château-des-Rentiers, plateau non encore bâti et défoncé dans ces derniers temps pour l'extraction des cailloux.
À l'extrémité de ce plateau, et adossé aux fortifications, se trouve un poste-caserne de forme rectangulaire.
Procédons maintenant, en détail, à l'examen des diverses parties de ce quartier, et partant de l'ancienne barrière de la Gare, nous remonterons la Seine.
Souhaitons, tout d'abord, qu'on utilise le bâtiment de l'octroi qui est une construction moderne et très-jolie.
Le quai de la Gare a une berge dans presque toute son étendue, mais il n'est pas encore bordé de parapets ; il est traversé par un canal voûté qui, depuis l'établissement des chemins de fer, et par conséquent, depuis que la navigation a perdu de son importance, n'offre plus une grande utilité, sauf peut-être pour les chantiers ou magasins, au milieu desquels il se trouve à ciel ouvert.
Vers le milieu du quai de la Gare, où autrefois était située une grande verrerie, se trouve aujourd'hui la gare des marchandises des lignes d'Orléans et de Bordeaux, ce qui donne à ce quai, pendant le jour, un aspect très animé ; en deçà et au delà, nous voyons, comme commerce principal, celui des bois à brûler, de charpentes, puis des fours à chaux.
Près d'arriver aux fortifications, nous admirons le pont Napoléon, pont récemment bâti pour le double service de la population et du chemin de fer de ceinture qui, de là, à l'aide d'un viaduc, va s'embrancher sur le chemin de fer d'Orléans.
Du quai, nous pouvons pénétrer dans le quartier de l'autre côté du chemin de fer d'Orléans par une rue fort belle d'abord, mais qui, par suite des agrandissements du chemin de fer, a dû être convertie en une rampe assez rapide, c'est la rue Picard (du nom du propriétaire des terrains sur lesquels elle a été ouverte, M. A. Picard) ; cette rue aboutit et se termine perpendiculairement à une longue rue parallèle au quai et au chemin de fer, la rue du Chevaleret, partant d'une ouverture des fortifications (porte de Vitry), d'où s'élance une très belle route (route du Liégat) conduisant à Ivry. La rue du Chevaleret va de la porte de Vitry aux anciens boulevards et chemin de ronde de la Gare.
À partir du boulevard de la Gare, cette rue est bordée d'établissements de maraîchers dans une certaine longueur ; puis, du côté du chemin de fer, viennent les grands ateliers de cette administration, et au delà de la rue Picard, des maisons particulières, enfin les rotondes des locomotives. Du côté opposé, est aussi un assez grand nombre de maisons et la distillerie de schiste de MM. Denain, Knab et compagnie. Cette rue est de formation récente, elle date de l'établissement des ateliers du chemin de fer d'Orléans, dans lesquels, il y a une dizaine d'années, travaillaient plus d'un millier d'ouvriers.
Nous n'abandonnerons pas cette rue sans signaler l'impossibilité dans laquelle se trouvent ceux de ses habitants, demeurant entre la rue Picard et les fortifications, de se rendre sur le quai de la Gare, à moins d'aller rechercher la rue Picard.
Ce ne sont pas les voies qui manquent ; mais l'une est impraticable et l'autre est fermée au public. La première est une voie passant sous le chemin de fer près de ses rotondes ; l'état dans lequel est cette voie depuis sa création est impossible à décrire : c'est un lac de boue dans lequel homme, cheval et voiture pourraient disparaître.
La seconde voie est le passage à niveau de la route stratégique sur le chemin de fer. On ne l'ouvre, nous a-t-on dit, que pour le passage des troupes. Il serait pourtant bien facile à la Compagnie du chemin de fer d'y placer des portes-barrières qu’un employé fermerait ou ouvrirait suivant le besoin du service, de même que cela se pratique partout, et en particulier au passage à niveau de la route stratégique sur le chemin de fer de Sceaux et d'Orsay.
Nous espérons que ces deux améliorations, très urgentes, ne se feront pas attendre, et qu'elles viendront aider cette partie du quartier de la Gare à sortir de la fâcheuse situation qui lui est faite depuis un grand nombre d'années.
Enfin, la porte de Vitry, qui se trouve à l'extrémité de la rue du Chevaleret, est munie de bornes de granit, placées près l'une de l'autre sans doute parce que des accidents sont imminents pour les voitures venant de la route stratégique et devant passer par cette porte ; l'administration n'hésitera certainement pas à opérer ce léger changement dans l'intérêt du public.
La rue de la Croix-Rouge préfigure les rues Richmond et Domrémy actuelles. Le sentier du Bac est l'ancêtre des rues Baudricourt et Clisson. La rue Dunois a succédé à la rue des Trois-Ormes.
Deux rues partent de celle du Chevaleret : les rues de la Croix-Rouge, aboutissant à la rue Nationale, et du Sentier-du-Bac, allant jusqu'à la route de Choisy ; elles conduisent à une voie parallèle, peu praticable aux piétons, encore moins aux voitures ; c'est de la rue des Trois-Ormes que nous voulons parler ; elle n'est pas pavée, ni même nivelée ; elle se termine à la rue de la Croix-Rouge d'une part, et de l'autre au boulevard de la Gare.
Il y a peu d'années, toute cette partie du versant de la commune d'Ivry, comprise entre la rue du Sentier-du Bac, la rue des Trois-Ormes, la route d'Ivry et les fortifications, était exclusivement composée de plaines cultivées, et menaçait de rester longtemps dans cette situation calme, digne des temps anciens. D'autant mieux que l'administration de cette commune était, de longue date, des plus économes, à tel point que la ville de Paris va être obligée de repaver les rues principales qui, par parcimonie, étaient mal, ou pas entretenues, et éclairées seulement lorsqu'il était bien démontré que la lune ne devait pas paraître de toute la nuit ; aussi en plein jour, marchait-on déjà difficilement dans ces parages ; qu'était -ce la nuit ?
… Malheur à celui qu'une affaire imprévue
Attire un peu trop tard dans une telle rue,
car il lui aurait été difficile de ne pas trébucher ou au moins de sortir de là sans une entorse.
Mais, dira-t-on, dans une pareille commune, les charges des habitants, des commerçants, devaient être bien faibles ? Point du tout. Les centimes additionnels y étaient nombreux, aussi la caisse communale se remplissait, et un jour, par l'initiative de M. le maire de la commune d'Ivry, on vit éclore de grands projets.
Il s'agissait de révolutionner (municipalement parlant) ces plaines dont nous parlions plus haut, d'y faire rues, boulevards et monuments. Ce qui fut projeté fut réalisé ; un boulevard de 15 mètres de large (future rue de Patay), quatre grandes rues, une église et des écoles monumentales, tout cela apparut tout à coup. Ah ! combien doit-on se méfier de l'eau qui dort !
Ces travaux n'allèrent pas à moins de 7 à 800,000 fr. (somme à laquelle le département et l'État ont dû contribuer) ; et sauf l'église, qui probablement aurait pu être d'un goût plus recherché, et eût mieux été, à notre avis, placée sur l'un des côtés du nouveau boulevard, au lieu d'être en son milieu et de le convertir, pour ainsi dire, en deux impasses ; sauf enfin sa situation isolée des différents centres de population, ces travaux ne sont pas indignes de la grande ville.
Une église était véritablement indispensable ; car, depuis plus de douze ans, le service religieux se célébrait dans une vieille maison de la rue Nationale, ayant été autrefois occupée par un cabaret (ce local vient d'être converti en un corps de garde) ; de plus, elle se trouvait presque en face d'une rue hideuse, affreuse plaie du quartier de la Gare ; il est vrai que chaque localité a ses vilains côtés, et si telle ou telle présente un aspect pauvre et misérable au physique, telle autre est bien repoussante sous le rapport moral.

La rue de l'Hôpital prit le nom de rue Harvey en 1864. La rue Harvey, qui conserva toujours une mauvaise réputation, disparut dans l'opération de rénovation urbaine qui toucha le quartier.
Cette rue, c'est la rue de l'Hôpital, formée presque exclusivement par des maisons de prostitution. Nous ne prétendons pas indiquer les réformes à faire ; nous ne faisons que signaler les dangers qui résultent d'une pareille agglomération dans une seule rue étroite. D'abord, comme voisinage, rien n'est plus immoral que de voir vaguer constamment, dans un quartier malheureux, ces femmes dont le luxe est fourni par la débauche ; dans un quartier surtout où l'enfant est peu instruit, souvent pas du tout, et manquant quelquefois du nécessaire ; il est évident que pour la jeune fille pauvre, harassée de travail manuel avant l'âge, dépourvue d'instruction morale, la vue de ces femmes éhontées est, disons-nous, d'un mauvais et contagieux exemple.
Exemple contagieux, en effet ; car on pourrait citer plusieurs malheureuses qui ont été entraînées dans cette fange par suite de cet ignoble contact ! Au point de vue de la sûreté publique, rien n'est plus mauvais et plus dangereux qu'un certain nombre de ces maisons dans un même lieu. Y a-t-il des troubles dans l'une d'elles ? aussitôt toute la population des maisons voisines vient se joindre au tumulte, et ce n'est qu'en force imposante que la police ou la gendarmerie peut pénétrer dans ces bouges en révolte. Ajoutons que la police de la commune était représentée par deux hommes qui ne pouvaient, qu'aidés d'une grande présence d'esprit, faire un service aussi difficile ; on comprendra combien il est mauvais à une administration de placer les préposés à la sûreté publique dans une situation aussi précaire ; ils peuvent parfois être dans l'impossibilité de maintenir la loi, on arrive alors au mépris de cette dernière, des guet-apens s'organisent afin de se débarrasser des agents ; ce que nous avançons n'est pas pure imagination de notre part, car, en septembre dernier, un des agents de la commune a failli être assassiné.
Enfin, touchant cette agglomération de maisons de prostituées, dont le nombre dépasse dix dans cette seule rue de l'Hôpital, ayant une quinzaine de maisons, nous citerons quelques phrases d'un commissaire de police de la ville de Paris, M. Lalemand (1), sur le même sujet, quoique appliqué à un autre quartier.
Au milieu des diverses causes d'insalubrité que présentait le quartier des Arcis, ce magistrat signale les agglomérations de maisons de prostitution.
« Les maisons de tolérance, dit-il, au nombre plus qu'extraordinaire de dix dans un si petit espace, c'est-à-dire les unes près des autres, et dans les rues les plus hideuses de Paris, ont l'inconvénient d'être habitées par les plus sales et les plus immorales des prostituées.
« Ces maisons sont toujours pleines, le jour et la nuit ; on y reçoit et on y loge le premier venu, et les souteneurs y ont domicile ; ce qui provoque des rixes entre les amants en titre et les prétendants ; heureux lorsqu'il n'y a pas de meurtres ! »
Et plus loin :
« L'agglomération de ces maisons de débauche, dans un quartier populeux, où l'enfant du pauvre n'est pas préservé du vice par une éducation convenable, où, au contraire, il quitte beaucoup trop tôt la maison paternelle pour travailler de ses mains, corrompt la jeunesse des deux sexes et enfante le vol et la prostitution clandestine, la plus dangereuse de toutes. »
Si nous avons cité les paroles si judicieuses de M. Lalemand, c'est afin que l'administration de la commune d'Ivry, qui, loin d’employer ses efforts à faire disparaître, ou au moins à entraver l'agglomération de ces maisons, a laissé leur nombre s'augmenter, c'est afin, disons-nous, que cette administration ne croie pas qu'en agissant comme nous le faisons, il y ait parti pris de critiquer.
La rue de l'Hôpital se termine à la rue du Vieux-Château-des-Rentiers, allant du boulevard d'Ivry à la place Nationale ; c'est dans la rue du Vieux-Château-des Rentiers que se trouve la grande fabrique de céruse de MM. Bezançon frères, construite (en 1848) en partie sur l'emplacement d'un ancien petit théâtre de banlieue, le théâtre du Belvédère.
Prenant cette rue dans la direction nord et remontant le boulevard d'Ivry, nous rencontrons la rue du Gaz, rue pavée dans sa première partie et venant passer derrière l'usine à gaz.
Entre cette usine et la raffinerie de mélasse de MM. Régis-Bouvet, se remarque un large passage dont la ville de Paris fera certainement une rue.
Ce passage aboutit sur la route de Choisy, limite du quartier de la Gare parallèle à la Seine ; cette route, à son point de départ, c'est-à-dire à l'ancienne barrière d'Italie, possède un assez grand nombre de marchands de vin, dont l'importance va en décroissant, comme dans toutes les anciennes barrières, s'étendant depuis l'encoignure occupée par un grand établissement, jusqu'à la raffinerie de MM. Régis-Bouvet. Puis vient l'usine à gaz, et enfin nous arrivons à une bifurcation appelée la Pointe-d'Ivry ; la route de droite est la route de Choisy ; celle de gauche, la route d'Ivry. Nous suivrons cette dernière afin d'explorer le triangle formé par ces deux routes et les fortifications.
À partir de la Pointe-d'Ivry jusqu'à sa rencontre avec la rue du Sentier-du-Bac, la route d'Ivry est bâtie et habitée des deux côtés ; mais, à partir de cet endroit jusqu'aux fortifications, le côté gauche est encore presque exclusivement occupé par des plaines. Du côté droit, au contraire, nous trouvons cette route en grande partie bordée de maisons.
À peu près à mi-chemin de la rue du Sentier-du-Bac aux fortifications, nous remarquons un centre de population comprenant environ une cinquantaine de maisons contiguës de diverse importance, formant un trapèze qui joint les routes d'Ivry et de Choisy.
En général, ces maisons sont assez bien construites, nous y avons cependant remarqué avec peine un long rez-de-chaussée divisé en cabinets garnis ayant chacun, compris murs, porte et fenêtres, tout au plus deux mètres de large ; on est porté à croire que le constructeur de ce bâtiment a pris ses idées sur une de nos prisons cellulaires !
L'administration de la commune n'a pas voulu rester en arrière ; une rue pavée était nécessaire pour desservir cet assemblage de maisons ; elle l'a exécutée, mais d'une façon tellement bizarre que nous avons cherché en vain à nous l'expliquer. La rue pavée dont nous parlons se trouve située à plus de dix mètres des maisons bâties, au milieu d'une terre à blé ; évidemment de hautes raisons ont dû guider l'administration communale, mais quant à nous, nous le répétons, nous ne les avons point comprises.
Un second centre s'établit plus haut, entre les deux routes, et déjà une rue se dessine ; ici nous sommes persuadé que la ville de Paris l'établira près des bâtiments et pour leur utilité immédiate.
Avant d'arriver aux fortifications, nous voyons sur la route d'Ivry le grand établissement de charpentes en fer de M. Deschards ; enfin, nous arrivons au chemin stratégique le long duquel se trouvent, dans la plus grande étendue, des terrains cultivés.
Nous atteignons alors la route de Choisy, la limite du quartier de la Gare, et la parcourant jusqu'à la pointe d’Ivry, d'où nous sommes partis, nous la voyons bâtie presque complètement du côté gauche, tandis que du côté droit, nous remarquons de grands vides et d'anciennes carrières en remblais.
Tel est le quartier de la Gare ; il y a beaucoup à faire dans cette localité, et on doit regretter que l'administration communale n'ait pas été plus modeste à l'égard de l'église qu'elle a construite, et plus attentive aux besoins généraux des diverses parties de ce quartier.
Abordons maintenant le quartier de la Maison-Blanche qui, certainement, est la portion la plus moderne du treizième arrondissement ; ce quartier est né, pour ainsi dire, avec le siècle, mais sa véritable extension date sur tout de 1848.
(1) Rapport de M. Lalemand, commissaire de police du quartier des Arcis, au maire du septième arrondissement, le 28 octobre 1848.
Notice administrative, historique et municipale sur le XIIIe Arrondissement (1860)
- État actuel de l'Arrondissement
- Quartier Croule-Barbe
- Quartier de la Salpêtrière : l'hôpital de la Salpêtrière, la gare du chemin de fer d'Orléans
- Quartier de la Salpêtrière : le marché aux chevaux, l'église Saint-Marcel, l'abattoir de Villejuif
- Quartier de la Salpêtrière : la cité Doré
- Quartier de la Gare
- Quartier Maison-Blanche
- La Bièvre