Littérature

 Robespierre par Henri-Jacques Proumen - 1932

Robespierre

par Henri-Jacques Proumen

Le Populaire : organe du parti socialiste (S.F.I.O.) — 16 juillet 1932

Il pouvait avoir cinq ans, ce petit Riquet de la rue Croulebarbe. On lui en eût donné quatre tout au plus, tant il était fluet Son pauvre petit corps se dandinait sur deux longues pattes de faucheux qui prenaient assise dans deux godasses démesurées, où ses petons devaient se donner de l'air, à droite, à gauche comme le grain d’un grelot. Avec cela, une pauvre figure pâlotte et trop longue, deux grands yeux trop noirs, ardents comme de la braise, un menton pointu et un nez morveux, que le bon Dieu avait, d'une croquignole, retroussé en croupion de poulet. Pas beau, certes, le petit Riquet ! Pas bien gracieux non plus : silencieux presque toujours, et la lèvre tremblante, comme s'il allait pleurer, lorsqu'on lui parlait.

Il n'avait pas de camarades de jeux. J'entends par là que les petits gars de la place d'Italie, de la ruelle des Gobelins et de la rue des Marmousets ne l'enrôlaient pas lorsqu'ils partaient, baguette au poing, faire le siège du marché Mouffetard. Autrefois pourtant, lorsqu'il avait quatre ans, Riquet avait joyeusement patrouillé par les venelles et les ruisseaux. Il avait connu l'ivresse des macules, la joie des souliers pleins d'eau, qui font : « flic, flac », lorsqu'on les traîne. C'était au temps où Jeanjean, le frère de Riquet, son ainé de deux ans, vivait encore et défendait son cadet contre les poings de Poupou-Bamban, de Tutur- blair-de-chat et de Dodore-la-Trouille. À présent que Jeanjean était mort, on rossait l'infortuné Riquet, tant et si bien qu'il se disait gémissant et contus :

« J'veux plus les voir, ces animaux-là ! Y m'fichent des gnons à me démolir ! »

Il les fuyait par peur, et baguenaudait, seul, sa figure pâle perdue parmi les figures anonymes et innombrables. Parfois, le soir, recru, morose comme les enfants auxquels personne n'adresse une parole ou un sourire, il demandait à sa mère qui réchauffait la soupe :

— Jeanjean est devenu un ange, dis, petite maman ?... Mais y m'a laissé tout seul!... C'est bien embêtant !

Maman le regardait avec des yeux fixes, tout rouges, sans répondre.

Un beau jour que Riquet trôlait tout seul, à sa coutume, dans la rue Croulebarbe, il lia connaissance avec Robespierre. Celui qui portait ce nom glorieux n'avait rien de la sobre élégance ni de la froide raison du conventionnel. Il ne portait ni habit à hauts revers, ni cravate éblouissante, ni perruque poudrée. Il avait de grands yeux pleurards et une moustache boueuse, de vastes oreilles tombantes et de grosses pattes torses. Robespierre était un chien.

Un pauvre chien mi-épagneul mi-griffon, coiffé, par un carabin facétieux, du nom de l'Incorruptible. Il avait passé de mains en mains pour devenir, enfin, le gardien et le compagnon de Mme Puivert, la vieille crémière de la rue Croulebarbe, la voisine de Riquet.

Ah ! la chaude sympathie qui, dès la première heure, poussa Riquet et Robespierre l'un vers l'autre, à la manière de deux âmes qui se sont cherchées longtemps à travers le monde et se trouvent enfin, pour se palper, s'étreindre, se compléter, se comprendre ! Puis la tendresse, la confiance, le perpétuel besoin l'un de l'autre, lorsqu'ils se connurent mieux ; Riquet, qui avait tant souffert des petits hommes méchants, avait un ami, un grand ami, qui se roulait avec lui, éperdument, dans la poussière, jappait joyeusement, sa queue frisée en panache frétillant, et se guindait jusqu'aux pauvres joues maigres du gosse pour y appliquer, en baisers humides, la caresse de sa langue.

Les bonnes parties qu'ils firent tous deux ! Doté de pattes véloces, Robespierre détalait ; Riquet le suivait en clochant, de guingois sur ses échasses de héron, il apprit à courir, le pauvre gosse, et même, parfois, il prit l'avantage sur Robespierre. Au vrai, ces moments-là, le barbet regardait l'enfant avec de bons yeux rigoleurs qui semblaient dire :

« Faut bien que j'te laisse gagner de temps en temps ! Si je voulais pourtant... ». Il avait l'air de sourire, vraiment, le brave Robespierre ! Et cette gaîté oui se lisait sur sa face crottée faisait rire aux larmes le petit Riquet. Oui, ce fut Robespierre qui lui apprit à rire...

Qu'importe maintenant à Riquet que les gosses du quartier le dédaignassent ! Il avait Robespierre, son grand ami ! Et même Poupou-Bamban, Tutur-blair-de- chat, et Dodore-la-Trouille n'osaient plus lui allonger des mornifles, en passant, ni même le menacer de loin. Robespierre grondait, les crocs menaçants, sitôt qu'il reniflait de loin leurs guenilles Et, comme ils étaient lâches, ils fuyaient.

Hélas ! le destin renverse comme château de cartes ce que les hommes ont échafaudé pour leur bonheur. Mme Puivert, la crémière, mourut. Ce jour-là, Robespierre erra par les rues et la nuit, vint se coucher devant la boutique fermée. Riquet partagea son pain avec lui. Il supplia ses parents d'adopter Robespierre. Mais le père s'écria, en levant les épaules :

— Un chien ? Penses-tu ! On a déjà toutes les peines du monde à nouer les deux bouts !

— Personne ne lui donne â manger ! dit le petit, des larmes dans la voix.

— Tant pis ! reprit le père avec un geste de lassitude... Après tout, ce n'est qu'un cleb !

Il ne savait pas, cet homme, toute la tendresse qui unissait Riquet à Robespierre, ni la douleur qui déchirait le cœur de l'enfant.

Le lendemain le petit coula un quignon de pain dans sa poche et se dit : « J’le donnerai à Robespierre !... J'lui en donnerai tous les jours » Mais le chien ne vint pas à sa coutume, se jeter sur lui en lui léchant les mains. Le gosse s'informa. Personne n'avait vu Robespierre. Alors, le petit Riquet se dit : « J'm'en vas le chercher. »

Il fureta partout, dans les recoins de la ruelle des Gobelins, de la rue des Marmousets, de la place d'Italie, où il s ébattait avec le chien, Les passants qu’il interrogeait lui tournaient le dos, indifférents. Il s'adressa à un agent de police, fort civilement, son petit bonnet à la main.

— M'sieu. l'agent, vous n'avez pas vu Robespierre ?

— Robespierre ? Ah çà ! morveux, est- ce que tu veux te f... de moi ?

Riquet s'en alla plein de peur. Il enfila l'avenue de Choisy en se disant : « C'est p't'être par là qu'il a filé ? » Le soir on le trouve, défaillant de froid et de faim dans les rues d'Ivry.

******

Le petit Riquet est au lit. Il a la fièvre depuis trois jours et divague :

— On ne retrouvera plus Robespierre. Jamais, jamais !... Qu'est-ce que je vois faire, moi ?. Robespierre ! Pourquoi donc que t'es parti j't'aurais donné à manger puisqu'y n'voulaient pas, les autres!...

Il geint. Ses petites mains caressent un toutou imaginaire, puis grattent le drap.

Près de l'enfant, maman sanglote.

Soudain, les yeux de Riquet s'ouvrent, remplis d'extase. Il balbutie :

— Jeanjean, écoute-moi… T’es un ange toi. Et moi, j'suis un pauvre petit gars pas heureux !... Robespierre, on l'a tué... Il est près de toi. Alors, Jeanjean, viens me chercher !... J'deviendrai un ange comme toi !...

Maman vit, en cet instant, les yeux de Riquet s'allumer d'une splendeur singulière pendant que ses lèvres murmuraient :

— Robespierre, mon vieux cabot...

Puis les lèvres se turent et les yeux devinrent fixes, pleins d'une vision si belle, qu'elle brillait comme un feu d'étoile.

Henri-Jacques PROUMEN
(1879 – 1962)

Le 13e en littérature

La poterne des Peupliers

La vague rouge

par
J. H. Rosny Ainé

Un homme s'arrêta sur la route, près de Gentilly. Il considéra le paysage misérable et puissant, les fumées vénéneuses, l'occident frais et jeune comme aux temps de la Gaule celtique.
Si l'auteur nomme une poterne des Tilleuils, c'est bien de la poterne des Peupliers dont s'agit.

(1910)

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Rue des Peupliers

Perdues dans Paris

par
Jules Mary

Un des coins de Paris, misérable et sinistre. La longée des fortifications plantées d'arbres en double ou triple rangée, le côtoie pourtant de verdures plaisantes durant la belle saison, mais, en réalité, sépare pour ainsi dire cette région parisienne du reste du monde. Du haut de la rue des Peupliers...

(1908)

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Quartier Croulebarbe

Les esclaves de Paris

par
Émile Gaboriau

C'est là un quartier étrange, inconnu, à peine soupçonné de la part des Parisiens...
Où Emile Gaboriau fait découvrir le quartier Croulebarbe à ses lecteurs.

(1868)

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La Cité Jeanne-d'Arc

Un gosse

par
Auguste Brepson

La cité Jeanne-d'Arc est ce vaste ensemble de bâtiments noirs, sordides et lugubres percés comme une caserne de mille fenêtres et dont les hautes façades s’allongent rue Jeanne-d'Arc, devant la raffinerie Say.

(1928)

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Butte-aux-Cailles

La vague rouge

par
J. H. Rosny Ainé

L'homme suivit d'abord la rue de Tolbiac, puis s'engagea par ces voies ténébreuses, bordées de planches, de lattes et de pieux, qui montent vers la Butte-aux-Cailles. Les oiseaux des réverbères dansaient dans leurs cages de verre. On apercevait des terrains fauves, des chaînes de bosselures, des rampes de lueurs, des phares dans un trou du ciel, et, du côté de la Butte, un nuage de feu pâle évaporé sur Paris...

(1910)

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Le quartier de la Gare

Monsieur Lecoq

par
Émile Gaboriau

Le 20 février 18.., un dimanche, qui se trouvait être le dimanche gras, sur les onze heures du soir, une ronde d’agents du service de la sûreté sortait du poste de police de l’ancienne barrière d’Italie.
La mission de cette ronde était d’explorer ce vaste quartier qui s’étend de la route de Fontainebleau à la Seine, depuis les boulevards extérieurs jusqu’aux fortifications.
Ces parages déserts avaient alors la fâcheuse réputation qu’ont aujourd’hui les carrières d’Amérique.

(1869)

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Butte-aux-Cailles

Le trésor caché

par
Charles Derennes

Depuis toujours on habitait, mon père et moi, sur la Butte-aux-Cailles ; encore aujourd'hui, ce quartier-là n'est guère pareil à tous les autres. Mais si vous l'aviez vu du temps que je vous parle ! Des cahutes s'accrochaient à la butte comme des boutons au nez d'un galeux ; ça grouillait de gosses et de chiens, de poux et de puces...

(1907)

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Saviez-vous que... ?

Le 19 juillet 1927, le nom de rue de Gentilly fut donné à la rue du Gaz. Le nom de rue de Gentilly avait été, jusqu'en 1899, celui de la rue Abel-Hovelacque d'aujourd'hui. Cette nouvelle rue de Gentilly perdit ensuite son nom au profit de Charles Moureu et d'Albert Bayet.

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Le pont National, oeuvre des ingénieurs Couche et Petit, a été achevé en 1853. Il portait initialement le nom de pont Napoléon III.

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La passerelle métallique d'une portée de 100 mètres reliant la place de Rungis à la rue Cacheux et au boulevard Kellermann en enjambant la gare dite "de Rungis" avait été inaugurée le 23 juin 1907 en présence de MM. Armand Bernard, secrétaire général de la préfecture de la Seine, et Henri Rousselle, conseiller municipal du quartier de la Maison-Blanche,qui prirent la parole.

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En octobre 1936, une épidémie de diphtérie sévissait parmi les enfants fréquentant les écoles de la rue Daviel et habitant dans l’îlot insalubre de la Glacière. Huit cas dont un mortel étaient établis à la date du 31 octobre.

L'image du jour

rue Nationale - Quartier de la Gare (image colorisée)

La rue Nationale était l'axe majeur du quartier de la Gare. La rue Jeanne d'Arc n'était pas encore transversante et était dédiée à l'industrie. La rue Nationale rassemblait commerces et services. Elle était le centre de l'animation d'une vraie vie de quartier populaire qui fut voué à la destruction par son classement en « ilôt insalubre ».  ♦