Le Populaire : organe du parti socialiste (S.F.I.O.) — 16
juillet 1932
Il pouvait avoir cinq ans, ce petit Riquet de la rue Croulebarbe. On lui
en eût donné quatre tout au plus, tant il était fluet Son pauvre petit corps
se dandinait sur deux longues pattes de faucheux qui prenaient assise dans deux
godasses démesurées, où ses petons devaient se donner de l'air, à droite, à
gauche comme le grain d’un grelot. Avec cela, une pauvre figure pâlotte et trop
longue, deux grands yeux trop noirs, ardents comme de la braise, un menton pointu
et un nez morveux, que le bon Dieu avait, d'une croquignole, retroussé en croupion
de poulet. Pas beau, certes, le petit Riquet ! Pas bien gracieux non plus :
silencieux presque toujours, et la lèvre tremblante, comme s'il allait pleurer,
lorsqu'on lui parlait.
Il n'avait pas de camarades de jeux. J'entends par là que les petits gars
de la place d'Italie, de la ruelle des Gobelins et de la rue des Marmousets
ne l'enrôlaient pas lorsqu'ils partaient, baguette au poing, faire le siège
du marché Mouffetard. Autrefois pourtant, lorsqu'il avait quatre ans, Riquet
avait joyeusement patrouillé par les venelles et les ruisseaux. Il avait connu
l'ivresse des macules, la joie des souliers pleins d'eau, qui font : « flic,
flac », lorsqu'on les traîne. C'était au temps où Jeanjean, le frère de Riquet,
son ainé de deux ans, vivait encore et défendait son cadet contre les poings
de Poupou-Bamban, de Tutur- blair-de-chat et de Dodore-la-Trouille. À présent
que Jeanjean était mort, on rossait l'infortuné Riquet, tant et si bien qu'il
se disait gémissant et contus :
« J'veux plus les voir, ces animaux-là ! Y m'fichent des gnons
à me démolir ! »
Il les fuyait par peur, et baguenaudait, seul, sa figure pâle perdue parmi
les figures anonymes et innombrables. Parfois, le soir, recru, morose comme
les enfants auxquels personne n'adresse une parole ou un sourire, il demandait
à sa mère qui réchauffait la soupe :
— Jeanjean est devenu un ange, dis, petite maman ?... Mais y m'a laissé
tout seul!... C'est bien embêtant !
Maman le regardait avec des yeux fixes, tout rouges, sans répondre.
Un beau jour que Riquet trôlait tout seul, à sa coutume, dans la rue Croulebarbe,
il lia connaissance avec Robespierre. Celui qui portait ce nom glorieux n'avait
rien de la sobre élégance ni de la froide raison du conventionnel. Il ne portait
ni habit à hauts revers, ni cravate éblouissante, ni perruque poudrée. Il avait
de grands yeux pleurards et une moustache boueuse, de vastes oreilles tombantes
et de grosses pattes torses. Robespierre était un chien.
Un pauvre chien mi-épagneul mi-griffon, coiffé, par un carabin facétieux,
du nom de l'Incorruptible. Il avait passé de mains en mains pour devenir, enfin,
le gardien et le compagnon de Mme Puivert, la vieille crémière de la rue Croulebarbe,
la voisine de Riquet.
Ah ! la chaude sympathie qui, dès la première heure, poussa Riquet et
Robespierre l'un vers l'autre, à la manière de deux âmes qui se sont cherchées
longtemps à travers le monde et se trouvent enfin, pour se palper, s'étreindre,
se compléter, se comprendre ! Puis la tendresse, la confiance, le perpétuel
besoin l'un de l'autre, lorsqu'ils se connurent mieux ; Riquet, qui avait tant
souffert des petits hommes méchants, avait un ami, un grand ami, qui se roulait
avec lui, éperdument, dans la poussière, jappait joyeusement, sa queue frisée
en panache frétillant, et se guindait jusqu'aux pauvres joues maigres du gosse
pour y appliquer, en baisers humides, la caresse de sa langue.
Les bonnes parties qu'ils firent tous deux ! Doté de pattes véloces,
Robespierre détalait ; Riquet le suivait en clochant, de guingois sur ses
échasses de héron, il apprit à courir, le pauvre gosse, et même, parfois, il
prit l'avantage sur Robespierre. Au vrai, ces moments-là, le barbet regardait
l'enfant avec de bons yeux rigoleurs qui semblaient dire :
« Faut bien que j'te laisse gagner de temps en temps ! Si je voulais
pourtant... ». Il avait l'air de sourire, vraiment, le brave Robespierre
! Et cette gaîté oui se lisait sur sa face crottée faisait rire aux larmes le
petit Riquet. Oui, ce fut Robespierre qui lui apprit à rire...
Qu'importe maintenant à Riquet que les gosses du quartier le dédaignassent
! Il avait Robespierre, son grand ami ! Et même Poupou-Bamban, Tutur-blair-de-
chat, et Dodore-la-Trouille n'osaient plus lui allonger des mornifles, en passant,
ni même le menacer de loin. Robespierre grondait, les crocs menaçants, sitôt
qu'il reniflait de loin leurs guenilles Et, comme ils étaient lâches, ils fuyaient.
Hélas ! le destin renverse comme château de cartes ce que les hommes
ont échafaudé pour leur bonheur. Mme Puivert, la crémière, mourut. Ce jour-là,
Robespierre erra par les rues et la nuit, vint se coucher devant la boutique
fermée. Riquet partagea son pain avec lui. Il supplia ses parents d'adopter
Robespierre. Mais le père s'écria, en levant les épaules :
— Un chien ? Penses-tu ! On a déjà toutes les peines du monde à
nouer les deux bouts !
— Personne ne lui donne â manger ! dit le petit, des larmes dans la
voix.
— Tant pis ! reprit le père avec un geste de lassitude... Après tout,
ce n'est qu'un cleb !
Il ne savait pas, cet homme, toute la tendresse qui unissait Riquet à Robespierre,
ni la douleur qui déchirait le cœur de l'enfant.
Le lendemain le petit coula un quignon de pain dans sa poche et se dit :
« J’le donnerai à Robespierre !... J'lui en donnerai tous les jours »
Mais le chien ne vint pas à sa coutume, se jeter sur lui en lui léchant les
mains. Le gosse s'informa. Personne n'avait vu Robespierre. Alors, le petit
Riquet se dit : « J'm'en vas le chercher. »
Il fureta partout, dans les recoins de la ruelle des Gobelins, de la rue
des Marmousets, de la place d'Italie, où il s ébattait avec le chien, Les passants
qu’il interrogeait lui tournaient le dos, indifférents. Il s'adressa à un agent
de police, fort civilement, son petit bonnet à la main.
— M'sieu. l'agent, vous n'avez pas vu Robespierre ?
— Robespierre ? Ah çà ! morveux, est- ce que tu veux te f... de moi ?
Riquet s'en alla plein de peur. Il enfila l'avenue de Choisy en se disant :
« C'est p't'être par là qu'il a filé ? » Le soir on le trouve,
défaillant de froid et de faim dans les rues d'Ivry.
******
Le petit Riquet est au lit. II a la fièvre depuis trois jours et divague :
— On ne retrouvera plus Robespierre. Jamais, jamais !... Qu'est-ce que
je vois faire, moi ?. Robespierre ! Pourquoi donc que t'es parti j't'aurais
donné à manger puisqu'y n'voulaient pas, les autres!...
Il geint. Ses petites mains caressent un toutou imaginaire, puis grattent
le drap.
Près de l'enfant, maman sanglote.
Soudain, les yeux de Riquet s'ouvrent, remplis d'extase. Il balbutie :
— Jeanjean, écoute-moi… T’es un ange toi. Et moi, j'suis un pauvre petit
gars pas heureux !... Robespierre, on l'a tué... Il est près de toi. Alors,
Jeanjean, viens me chercher !... J'deviendrai un ange comme toi !...
Maman vit, en cet instant, les yeux de Riquet s'allumer d'une splendeur singulière
pendant que ses lèvres murmuraient :
— Robespierre, mon vieux cabot...
Puis les lèvres se turent et les yeux devinrent fixes, pleins d'une vision
si belle, qu'elle brillait comme un feu d'étoile.
Un des coins de Paris, misérable et sinistre. La longée des fortifications plantées d'arbres en double ou triple rangée, le côtoie pourtant de verdures plaisantes durant la belle saison, mais, en réalité, sépare pour ainsi dire cette région parisienne du reste du monde. Du haut de la rue des Peupliers...
C'est là un quartier étrange, inconnu, à peine soupçonné de la part des Parisiens... Où Emile Gaboriau fait découvrir le quartier Croulebarbe à ses lecteurs.
La cité Jeanne-d'Arc est ce vaste ensemble de bâtiments noirs, sordides et lugubres percés comme une caserne de mille fenêtres et dont les hautes façades s’allongent rue Jeanne-d'Arc, devant la raffinerie Say.
L'homme suivit d'abord la rue de Tolbiac, puis s'engagea par ces voies ténébreuses, bordées de planches, de lattes et de pieux, qui montent vers la Butte-aux-Cailles. Les oiseaux des réverbères dansaient dans leurs cages de verre. On apercevait des terrains fauves, des chaînes de bosselures, des rampes de lueurs, des phares dans un trou du ciel, et, du côté de la Butte, un nuage de feu pâle évaporé sur Paris...
Le 20 février 18.., un dimanche, qui se trouvait être le dimanche gras, sur les onze heures du soir, une ronde d’agents du service de la sûreté sortait du poste de police de l’ancienne barrière d’Italie. La mission de cette ronde était d’explorer ce vaste quartier qui s’étend de la route de Fontainebleau à la Seine, depuis les boulevards extérieurs jusqu’aux fortifications. Ces parages déserts avaient alors la fâcheuse réputation qu’ont aujourd’hui les carrières d’Amérique.
Depuis toujours on habitait, mon père et moi, sur la Butte-aux-Cailles ; encore aujourd'hui, ce quartier-là n'est guère pareil à tous les autres. Mais si vous l'aviez vu du temps que je vous parle ! Des cahutes s'accrochaient à la butte comme des boutons au nez d'un galeux ; ça grouillait de gosses et de chiens, de poux et de puces...
C’est un quartier peu connu des Parisiens que celui qui se trouve entre la Maison-Blanche et la Glacière ; on sait vaguement qu’il y a quelque part par là une petite vallée, mais comme la rivière qui l’arrose est la Bièvre, on dit et l’on croit que cette vallée est un des endroits les plus sales et les plus tristes de la banlieue de Paris. Il n’en est rien cependant, et l’endroit vaut mieux que sa réputation.
Il habitait tout là-bas, aux Gobelins, dans un pâté de bicoques en carton que bousculent des rues à noms magnifiques rue des Cinq-Diamants, rue de l'Espérance, rue de la Butte-aux-Cailles…
L'antre de « la Baleine » donnait sur la rue Jonas, comme nous l'avons dit. Cette rue au nom biblique se trouvait dans un grouillement de petites voies étroites, courtes, basses, tortueuses, qui forment un coin à part dans ce quartier.
Ma « clientèle » de la rue Sainte-Marguerite disparaissait peu à peu. Elle s'était réfugiée cité Doré, qui donne rue Pinel et boulevard de la Gare, ou cité Jeanne-d'Arc, près de la rue Nationale, dans le treizième arrondissement.
Dans le quartier des Gobelins, un gymnase. Des athlètes donnent une représentation suivie par une foule fervente. Dans cette foule un couple a attiré l’attention du narrateur. Elle, Zizine, femme superbe ; lui, petit, contrefait, douloureux. Milarot, champion du monde, est dans la salle.
Le chemin de fer de Ceinture, presque constamment en tranchée ou souterrains sur la rive gauche de la Seine, offre cependant une agréable éclaircie. C'est lorsqu'il franchit la vallée de la Bièvre. À gauche, du côté de Paris, s'aperçoivent au loin les principaux monuments de la région Sud : l'Observatoire, le Val-de-Grâce, le Panthéon, et plus près, le pittoresque fouillis de la Butte-aux-Cailles et sa jeune église Sainte-Anne ; de l'autre côté, sur la hauteur, la sombre architecture du château de Bicêtre dominant la vallée que l'on devine derrière les fortifications, au niveau desquelles apparaît seulement le coq d'un clocher, qui est le clocher de Gentilly. (1906)
Dans un misérable taudis situé au numéro 54 de la rue du Château-des-Rentiers, vivaient une pauvre vieille femme, Mme veuve Crozier, âgée de soixante-dix ans, et son fils François âgé de trente-six ans, chiffonnier, qui partageait avec sa mère l'unique chambre composant tout le logement.
L'Œuvre des pauvres malades dans les faubourgs commençait, en décembre 1873, par la visite de douze malades à Belleville. Depuis lors, elle s'est graduellement étendue aux quartiers de la Butte-aux-Cailles, de la Tombe-Issoire, de la Glacière, de Montmartre, de Clignancourt et, en dernier lieu, de Plaisance. Cette simple énumération qui donne les parties les plus déshéritées de Paris pour champ de bataille aux courageuses missionnaires de cette œuvre de dévouement, est d'une éloquence qui dispense de tout commentaire. (1874)
Un cocher, M. Louis Bodard, demeurant 5, rue Nationale, attendait, près de sa voiture, hier après-midi, rue du Château-des-Rentiers, à la hauteur du numéro 108, la sortie d'un client.
La nouvelle prison Saint-Lazare sera élevée dans le 13e arrondissement, sur un emplacement presque double de celui qu’elle occupe actuellement et qui est délimité par la rue de Tolbiac (qu’on perce en ce moment), la rue Nationale, le chemin de fer de ceinture et une voie projetée aboutissant à l’avenue d’Ivry. (1877)
Une scène qui rappelle les mœurs américaines s'est déroulée hier, rue du Château-des-Rentiers, non Ioin du bureau de M. Bolot, commissaire de police, dans les circonstances suivantes ...
Il y a cinq ans, le conseil municipal de Paris décidait la réunion par un pont des deux quais de la Gare et de Bercy, afin de partager en deux l'espace de 1200 mètres environ qui sépare le pont National du pont de Bercy. Ce grand travail vient d’être commencé, et déjà le béton coulé dans des batardeaux est arrivé à la hauteur désignée pour recevoir les fondations de pierre. (1879)
La place Pinel, voisine du boulevard de la Gare, dans le treizième arrondissement, a été le théâtre hier soir d'une tentative d'assassinat, encore entourée de mystère. Il était un peu plus de neuf heures et demie...
Hier, à deux heures et demie de l'après-midi, bien au-delà de la place d'Italie, dans le Paris inconnu de la vallée de la Bièvre, les rues étaient par hasard noires de monde. C'était grande fête pour les pauvres, les ouvriers du faubourg déshérité, qui faisaient joyeusement la haie, accueillant avec enthousiasme ceux qui venaient planter définitivement la croix rouge au milieu d'eux. (1908)
Depuis quelque temps, une bande de redoutables gredins qui se dénommaient eux-mêmes les « Terreurs d’Italie » et dont le quartier général était situé boulevard de la Gare, étaient en fort en fort mauvaises relations avec une bande de leurs semblables désignés sous le nom pittoresque des « Casse-cœurs » et résidant le plus souvent boulevard de l'Hôpital.