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La photographie est de Charles Marville et a été prise vers 1876. La rue d'Alésia est déjà achevée. La construction de la rue de Tolbiac subit beaucoup de retard compte tenu de l'ampleur des travaux.
UNE ÉVOCATION DU
13E ARRONDISSEMENT DE 1860 AUX ANNÉES 30
Jeudi 1er juin 2023
Le 13e dans la littérature
Littérature
Contes des mille et un matins
Bouscot
Le Matin — 14 mai 1909
Voilà bien dix qu'on me répète : « Vous qui avez connu Bouscot, contez-nous donc sa vie. »
Conter la vie de Bouscot ? Quelle entreprise ! Et puis, contant sa vie, il faudra, au bout de l'histoire, en arriver à sa mort qui fut une bouffonne et pitoyable mort. Ce serait trop triste.
D'ailleurs, pour raconter une telle existence, il faudrait trouver des images, forger des phrases neuves et il y a si longtemps qu'on trouve des images et qu'on forge des phrases que la provision doit être épuisée. Enfin, fixer l'histoire de ce petit Bouscot qui fut la plus folle, la plus misérable, la plus irréelle, la plus belle histoire qu'il ait, lui-même, jamais écrite, le suivre dans ses grandes envolées, dans ses chutes et dans ses retraites où il disparaissait jusqu'au prochain coup d'ailes qui l'emportait au-dessus des cimes, dans les nuages, hors de notre vue… non, non !
Il avait quitté le village comme tant de petits frères, pour venir faire éclore à Paris les idées qui bourgeonnaient dans sa tête, et il avait débarqué sans autre bagage, les mains dans les poches, le nez au vent, et, dans le gousset, quelques pièces et un sou percé pour regarder la Lune travers.
Nous l'invitions à dîner de temps autre. Il nous apportait sa jeunesse, son soleil et le parfum de ses Landes. Quel être charmant et qu'il nous disait donc de jolis vers !
De quoi vivait-il ? Nul de nous n'aurait su le dire. Son équipage n'était pas brillant : le même veston, les mêmes chaussures, le même chapeau, tout cela râpé mais strictement propre. Nous ignorions même où il perchait sa misère insouciante.
Certains soirs, il nous arrivait avec de grandes balafres aux joues.
— Ah ça ! Bouscot ! faisait-on. Ta main tremble quand tu te rases ?
Il répondait « Oui ! » drôlement et semblait avoir hâte de changer de sujet.
D'autres fois, il apparaissait avec des cheveux noir de jais, rouge queue de vache ou jaunes comme un soleil, la raie de côté, la raie au milieu, coiffés en brosse ou taillés aux enfants d'Edouard, mais toujours avec des coups de ciseaux malheureux qui formaient des escaliers. Nous feignions de n'y pas faire attention — et lui de même ses cheveux, bast ! ils étaient si au-dessus de son front qu'il ne s'en occupait point. Mais il arriva, un jour, la figure comme rongée par un acide.
— Ne m'en parlez pas, nous dit-il, ça m'assommait de me raser. J'ai voulu en finir avec ma barbe, j'ai essayé d'une pâte épilatoire, et, ma foi, j'ai mis la dose un peu trop forte.
La barbe de Bouscot repoussa pourtant et nous revîmes de nouvelles balafres. Avec ses joues tailladées, il finissait par ressembler à un étudiant allemand.
Un beau soir, il entra tout fringant, vêtu de neuf, fumant un gros cigare bagué, et tenant à la main un jonc de cinq ou six louis.
— Un héritage, Bouscot ?
II avait sa face de Chinois qui s'amuse en silence.
Cependant, à la fin du dîner, nous nous aperçûmes qu'il devenait blême, et, soudain, dans une brusque détente, lâchant son sourire et crispant les mains sur son estomac, il se rejeta en arrière, tomba sur le parquet et se mit à se tordre sans un mot.
Nous le crûmes empoisonné. Le médecin qui accourut tenta de le questionner, mais le petit Bouscot avait les dents serrées et faisait : « Non, non, non… » de la tête. Mais quand il comprit qu'on voulait le conduire à l'hôpital, il s'agrippa aux meubles et pria, entre deux hoquets, qu'on le transportât chez lui.
C'est ainsi que nous connûmes son adresse.
Il habitait tout là-bas, aux Gobelins, dans un pâté de bicoques en carton que bousculent des rues à noms magnifiques rue des Cinq-Diamants, rue de l'Espérance, rue de la Butte-aux-Cailles…
C'était un grenier propre et clair qui lui ressemblait mais bien sûr qu'il y a des maisons qui ressemblent à des gens !
Dans un coin, un petit lit de fer rafistolé de cordes, un escabeau, et, cloués au mur, un béret de la Lande et une branche de pin avec ses fruits durs — le pays C'est là que Bouscot berçait ses rêves de poète. Pas de table, pas d'encrier, pas une feuille de papier, rien pour immobiliser sa pensée vagabonde.
On l'étendit sur son lit, des voisins arrivèrent et quand il fut plus calme, un de nous s'offrit passer la nuit.
— Comme pour une femme en couches fit tristement Bouscot.
Non point ! Il ne voulait personne. Il nous serra les mains et nous congédia gentiment.
Le lendemain matin, lorsque je revins aux nouvelles, sans le rassemblement qu'il y avait devant une porte, je n'aurais pas reconnu la maison.
Eh bien ! le petit Bouscot venait de mourir ! Était-ce possible ?
— Je l'ai entendu frapper à la cloison, faisait une grosse femme qui me suivait dans l'escalier. Je débarbouillais mes drôles ; je suis entrée chez lui. Il avait le cou tendu, les bras raides et il respirait, respirait. Ah mon Dieu ! J'ai couru chercher son ami le coiffeur. C'est lui qui a reçu son dernier soupir.
— Oui, monsieur, c'est moi qui ai reçu son dernier soupir ! reprit un grand bonhomme barbu qui se tenait fièrement à la tête du lit de Bouscot. Et on peut le dire, parfaitement ! J'étais son ami… et son bienfaiteur, monsieur ! Je lui fournissais la nourriture, les vêtements et je payais son loyer.
Mais, tout à coup, montrant le poing, il éclata :
— C'est ce cochon de pharmacien qui qui me l'a empoisonné avec ses sales inventions ! Moi, n'est-ce pas, j'étais bon pour M. Bouscot, alors M. Bouscot me rendait de petits services il m'aidait à dresser des garçons. Nous avions fait un arrangement. Comme sa barbe poussait vite, mes apprentis le rasaient le matin et le soir. Nous avions aussi une convention pour les cheveux : taille, teinture et coups de fer. Que voulez-vous, pour apprendre le métier à ceux qui veulent y goûter, on ne peut tout de même pas les faire opérer sur des mannequins !... Et maintenant, à cause de ce cochon de pharmacien, tout est fichu Cette canaille-là avait éventé mon truc et il avait traité avec M. Bouscot pour ses sales drogues, à faire engraisser ou à faire maigrir. M Bouscot les essayait et lui faisait de rapports où il constatait qu'il avait souffert de l'estomac ou bien qu'il n'avait pas souffert. Tout ça pour dix francs par mois, deux habits neufs par an et une canne dont il avait eu envie ! Si c'est pas malheureux ! Justement, hier, M. Bouscot m'avait dit « Firmin, je prends ce soir une drogue pour faire venir la poitrine c'est rigolo, hein ? Oui, oui ! C'est rigolo ! Et pour moi, donc ? C'est rigolo, peut-être ?
Il se croisa les bras et nous restâmes tous les deux silencieux devant ce cadavre.
— C'est pas tout ça, recommença le coiffeur, il va falloir s'occuper de la toilette D'abord, on va lui laisser sa canne. Depuis deux jours qu'il l'avait, il ne la quittait plus.
Mais s'étant approché de la figure de Bouscot, il se releva vite en s'écriant :
Elle a repoussé ! Ah nom d'un chien ! Elle a repoussé !
Et, plein d'entrain, il courut à la fenêtre, appela un gamin dans la rue et lui commanda de courir à sa boutique : « Tu ramèneras Emile ! Tu lui diras d'apporter son rasoir, le blaireau et la poudre de savon. Dépêche-toi !... Émile ! Tu entends ? Émile, le nouvel apprenti qui est entré hier ! »
— Ça lui fera la main, à ce gosse, fit-il en se retournant.
Le 13e en littérature
La Cité Jeanne d'Arc
par
Rossignol
Ma « clientèle » de la rue Sainte-Marguerite disparaissait peu à peu. Elle s'était réfugiée cité Doré, qui donne rue Pinel et boulevard de la Gare, ou cité Jeanne-d'Arc, près de la rue Nationale, dans le treizième arrondissement.
(1894)
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Les Gobelins
par
Alexandre Arnoux
Dans le quartier des Gobelins, un gymnase. Des athlètes donnent une représentation suivie par une foule fervente. Dans cette foule un couple a attiré l’attention du narrateur. Elle, Zizine, femme superbe ; lui, petit, contrefait, douloureux. Milarot, champion du monde, est dans la salle.
(1938)
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La Folie Neubourg
par
Georges Spitzmuller et Armand Le Gay
Le promeneur qui remonte le boulevard Auguste-Blanqui dans la direction de la place d'Italie, est frappé par l'aspect pittoresque d'une vieille maison enclose dans le triangle formé par ce boulevard, la rue Edmond-Gondinet et la rue Corvisart.
(1912)
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La rue du Pot-au-Lait
par
Joris-Karl Huysmans
Quelle rue étrange que cette rue du Pot-au-Lait ! déserte, étranglée, descendant par une pente rapide dans une grande voie inhabitée, aux pavés enchâssés dans la boue...
(1874)
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La gare de la Maison-Blanche
par
Eveling Rambaud et E. Piron
Honoré fit halte avenue d'Italie, devant la station du chemin de fer de Ceinture. Il sauta sur le trottoir en disant :
— Cherche, Bob, cherche !
(1894)
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Butte-aux-Cailles
par
Charles Derennes
Depuis toujours on habitait, mon père et moi, sur la Butte-aux-Cailles ; encore aujourd'hui, ce quartier-là n'est guère pareil à tous les autres. Mais si vous l'aviez vu du temps que je vous parle ! Des cahutes s'accrochaient à la butte comme des boutons au nez d'un galeux ; ça grouillait de gosses et de chiens, de poux et de puces...
(1907)
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Ruelle des Reculettes
par
Eugène Bonhoure
— Où demeure le pharmacien? demanda Furet.
— Au coin de la rue Corvisart et de la rue Croulebarbe.
— Est-ce qu'il y a deux chemins pour y aller ?
(1889)
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Saviez-vous que... ?
La marché découvert des Gobelins — que l'on appelle aujourd'hui le marché Auguste-Blanqui — remplaça le marché couvert à compter du 9 mai 1898 et, comme maintenant, se tenait les mardis, vendredis et dimanches.
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La création de la caserne des pompiers de Port-Royal fut décidée en 1883.
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Le 29 juin 1901, la température atteignit 33° à Paris et ce jour là, vers midi, Mme Louise Lesire, âgée de cinquante- deux ans, demeurant 157, rue Jeanne-d’Arc, fut frappée d'insolation, boulevard Saint-Marcel. Elle mourut dans la pharmacie où on l’avait transportée pour lui donner des soins. (Le Figaro - 30 juin 1901)
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En 1869, on décida que l’avenue située entre la place d'Italie et la rue de Gentilly, allait devenir avenue Sœur Rosalie, pour perpétuer la mémoire de la femme vertueuse dont le dévouement fut si utile à tant de nos braves soldats. On se souvient que c'est cette héroïque sœur de charité qui, en juin 1848, couvrit de son corps un officier de la garde mobile que les insurgés voulaient massacrer, et qu'elle eut le bonheur de sauver.
La photographie est de Charles Marville et a été prise vers 1876. La rue d'Alésia est déjà achevée. La construction de la rue de Tolbiac subit beaucoup de retard compte tenu de l'ampleur des travaux.