Littérature

 La Cité Jeanne-d'Arc

La Cité Jeanne-d'Arc

"Un gosse"

roman par Auguste Brepson

Extrait précédent

 

Première partie

[...] Le matin, de bonne heure, nous revîmes l'homme au crochet. Ce brave type venait nous signaler, dans la cité Jeanne-d'Arc où il demeurait, une chambre moyennant trois francs par semaine.

XI

La cité Jeanne-d'Arc est ce vaste ensemble de bâtiments noirs, sordides et lugubres percés comme une caserne de mille fenêtres et dont les hautes façades s’allongent rue Jeanne-d'Arc, devant la raffinerie Say.

Il y a trois cites accolées l’une à l'autre : une grande et deux petites. Elles sont chacune partagées en profondeur par une ruelle de terre battue. Celle de la grande la perce d'outre en outre et forme un passage qui commence rue Jeanne-d'Arc et aboutit rue Nationale, tandis que les autres se terminent en cul-de-sac.

Dès qu'on a franchi la grille de la première, une odeur épouvantable, faite de mille relents, mais où prédomine celui des latrines, vous suffoque et vous soulève le cœur.

Le sol de la ruelle file noir et gras, gorgé de fange et jamais sec, entre les hautes bâtisses funèbres et s'élargit un moment, au milieu, en une petite place où se dresse une borne-fontaine.

De chaque côté du passage se voient des sortes de boutiques obscures, aux vitres fêlées, dépolies de crasse, et où se viennent écraser des faces difformes, pour suivre d'un œil soupçonneux et colère l'étranger qui, d'aventure, passe par là assez bien vêtu.

Puis çà et là, des porches donnant accès aux étages s'ouvrent noirs, comme des gueules de cavernes, et vous soufflent au passage une odeur d'humidité et de moisissure, ainsi qu'en exhalent les caves. Si l'œil plonge au fond de ces couloirs, il finit par distinguer confusément, parmi les ténèbres accumulées, des linéaments blêmes qui sont, les marches et la rampe d'un escalier.

Quelquefois cette ombre a l'air de se mouvoir : une tête pâle en émerge et bientôt apparaît un être misérable et sordide, farouche, et poignant, qui clignote à la lumière du jour comme un hibou jeté brutalement au soleil.

Aux fenêtres sans volets — car on a bien prévu que jamais le regard d'or de celui-ci ne tomberait dans ce cloaque — pendent des guenilles et des linges immondes ; mais on n'y voit ni une fleur, ni un oiseau : dans cet air empesté ils s'étiolent vite et meurent.

On entend dans les étages des gosses qui piaillent ; quelquefois les cris d'une dispute où il s'en dit de salées ; des gens qui s'interpellent d'une croisée à l'autre ; et quelquefois aussi, tout là-haut, d'une mansarde, vers le ciel qui coule entre les toits comme un ruisseau d'azur en été et de boue en hiver, une voix de femme, jeune, mais éraillée, qui chante un refrain canaille.

Le soir, cette crevasse cache son ignominie en d'épaisses ténèbres qui la comblent jusqu'aux bords et que trouent çà et là la flamme courte d'une chandelle dans les étages et, en bas, les points jaunes de quelques quinquets.

Gare ! alors, au passant qui, ignorant des mœurs de la cité, s'aventurerait dans cette sentine sans en raser les murailles... il risquerait fort de recevoir sur la tête des choses liquides et solides très nauséabondes, les habitants de cette cour des miracles ne se gênant pas, la nuit venue, de vider leurs pots de chambre par la fenêtre !

Aussi les gamins ont-ils fait sur cette déplorable pratique, une chanson qu'ils braillent dans l'obscurité sur l'air de Savez-vous planter des choux ?, tout en ayant soin de se tenir dans les encoignures :

Avez-vous par charité,
Un pot de m... (bis)
Avez-vous par charité,
Un pot de m... à nous jeter ?

Désir qui ne tarde pas à être exaucé, car d'un peu partout des fenêtres s'ouvrent et des « flocs » sonores s'écrasent sur le sol et rejaillissent en éclaboussures.

Et c'est là l'origine de cette abominable odeur suspendue à l'état permanent dans l'atmosphère du passage.

Les deux autres cités ne sont guère mieux tenues et habitées que celle-ci, mais sont encore cependant loin d'atteindre à sa misère et a son infamie.

Elle est le réceptacle de tous les vices et de toutes les détresses. Et dans ses deux mille alvéoles obscurs et fétides où s'agitent des larves qui sont des humains ! dans tous ses couloirs ténébreux et funèbres, parmi tous ses escaliers, recoins et encoignures sordides et au milieu de toute son ombre et de son infection se tapit ou rôde, continuellement en quête d'une proie, un spectre dévorant : la tuberculose.

C'est dans la grande cité que nous étions venus échouer.

Extrait suivant



En savoir plus sur Auguste Brepson

Lire cet article

Le 13e en littérature

La Cité Jeanne-d'Arc

Un gosse

par
Auguste Brepson

La cité Jeanne-d'Arc est ce vaste ensemble de bâtiments noirs, sordides et lugubres percés comme une caserne de mille fenêtres et dont les hautes façades s’allongent rue Jeanne-d'Arc, devant la raffinerie Say.

(1928)

Lire


Butte-aux-Cailles

La vague rouge

par
J. H. Rosny Ainé

L'homme suivit d'abord la rue de Tolbiac, puis s'engagea par ces voies ténébreuses, bordées de planches, de lattes et de pieux, qui montent vers la Butte-aux-Cailles. Les oiseaux des réverbères dansaient dans leurs cages de verre. On apercevait des terrains fauves, des chaînes de bosselures, des rampes de lueurs, des phares dans un trou du ciel, et, du côté de la Butte, un nuage de feu pâle évaporé sur Paris...

(1910)

Lire


Le quartier de la Gare

Monsieur Lecoq

par
Émile Gaboriau

Le 20 février 18.., un dimanche, qui se trouvait être le dimanche gras, sur les onze heures du soir, une ronde d’agents du service de la sûreté sortait du poste de police de l’ancienne barrière d’Italie.
La mission de cette ronde était d’explorer ce vaste quartier qui s’étend de la route de Fontainebleau à la Seine, depuis les boulevards extérieurs jusqu’aux fortifications.
Ces parages déserts avaient alors la fâcheuse réputation qu’ont aujourd’hui les carrières d’Amérique.

(1869)

Lire


Butte-aux-Cailles

Le trésor caché

par
Charles Derennes

Depuis toujours on habitait, mon père et moi, sur la Butte-aux-Cailles ; encore aujourd'hui, ce quartier-là n'est guère pareil à tous les autres. Mais si vous l'aviez vu du temps que je vous parle ! Des cahutes s'accrochaient à la butte comme des boutons au nez d'un galeux ; ça grouillait de gosses et de chiens, de poux et de puces...

(1907)

Lire


La prairie de la Glacière

Sans Famille

par
Hector Malot

C’est un quartier peu connu des Parisiens que celui qui se trouve entre la Maison-Blanche et la Glacière ; on sait vaguement qu’il y a quelque part par là une petite vallée, mais comme la rivière qui l’arrose est la Bièvre, on dit et l’on croit que cette vallée est un des endroits les plus sales et les plus tristes de la banlieue de Paris. Il n’en est rien cependant, et l’endroit vaut mieux que sa réputation.

(1878)

Lire


Butte-aux-Cailles

Bouscot

par
Gaston Chéreau

Il habitait tout là-bas, aux Gobelins, dans un pâté de bicoques en carton que bousculent des rues à noms magnifiques rue des Cinq-Diamants, rue de l'Espérance, rue de la Butte-aux-Cailles…

(1909)

Lire


Quartier de la Gare

Un crime passionnel

par
J. H. Rosny

Je songe à l'histoire de la petite Jeannette, qui vivait dans le noble quartier de la Gare.

(1908)

Lire

Saviez-vous que... ?

La rue du Tibre, dans le quartier Maison-Blanche, a été ouverte sur l'emplacement d'une voirie d'équarrissage, elle a porté le nom de rue de la Fosse-aux-Chevaux, puis du Tibre, à cause de la Bièvre autour de laquelle ont été groupés des noms de fleuves.

*
*     *

En 1882, un poste-vigie dit encore poste avertisseur, c'est à dire un local où un pompier serait toujours présent afin d'y recevoir la déclaration des personnes venant faire connaître un incendie, était installé au numéro 26 de la rue des Cinq-Diamants.
Chaque poste avertisseur était en communication avec la caserne des pompiers la plus voisine à l'aide d'un télégraphe à cadran.

*
*     *

La rue du Banquier, ancienne rue, doit son nom au banquier Patouillet qui avait déjà donné son nom au territoire compris entre la rive droite de la Bièvre et les terres de St-Marcel sur le chemin d'Ivry. (Clos Patouillet.)

*
*     *

En 1865, les frères Goncourt passaient une journée dans le 13e :
« Jeudi, 16 mars. — Nous avons passé la journée chez Burty, rue du Petit-Banquier, dans un quartier perdu et champêtre, qui sont le nourrisseur et le marché aux chevaux. Un intérieur d’art, une resserre de livres de lithographies, d’esquisses peintes, de dessins, de faïences ; un jardinet ; des femmes ; une petite fille ; un petit chien, et des heures où l’un feuillette des cartons effleurés par la robe d’une jeune, grasse et gaie chanteuse, au nom de Mlle Hermann. Une atmosphère de cordialité, de bonne enfance, de famille heureuse, qui reporte la pensée à ces ménages artistiques et bourgeois du dix-huitième siècle. C’est un peu une maison riante et lumineuse, telle qu’on s’imagine la maison d’un Fragonard. »

L'image du jour

Place Pinel