Littérature



La vie, Cité Jeanne-d'Arc

"Un gosse"

roman par Auguste Brepson

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Première partie

XII

Quand je me vis dans une étroite chambre plongée dans une perpétuelle pénombre par cinq étages de murailles terreuses dressées devant une fenêtre livide, entre quatre murs de cachot pollués et suintants et couverts d'inscriptions crapuleuses gravées dans le plâtre, que je respirai un air alourdi de miasmes et foulai un plancher feutré de crasse entre les fentes duquel s'enfuyaient des cafards, j’éprouvai un immense découragement. J’eus l’impression nettes qu'une puissance invisible et formidable nous avez saisis, qu'il était inutile de regimber, qu'elle nous tenait bien et nous ne lâcherait plus.

Ce taudis donnait au premier, sur le passage. Si je voulais voir le ciel, il me fallait me pencher par la fenêtre et tourner la tête, au risque de me tordre le cou. J'y renonçai bientôt. Mais ma soif de le contempler était telle que je finis par trouver un moyen qui contentât mon désir malgré tout et sans inconvénients.

Ayant découvert dans une caisse de fouillis un éclat de miroir, je m'en emparai et grimpé sur une chaise, près de la fenêtre ouverte, je le tins au dehors à bras tendu et l'orientai de façon que le ciel s'y reflétât.

Oh ! ce coin de ciel où parfois passait un oiseau, combien d'heures l'ai-je contemplé, quand j'étais seul !... lorsque ma grand'mère n'avait pu m'emmener avec elle chercher au diable la pâture quotidienne !

Il faisait ma consolation et aussi mon désespoir.

Dès que je l'avais logé dans mon morceau de glace, c'était toujours le même enchantement brusque : l'impression que d'un seul coup tout son azur entrait en moi et me submergeait. Et, peu à peu, à le fixer, j'éprouvais un engourdissement délicieux d'où j'avais bien du mal à sortir...

Quand j'arrachais mes yeux de ce morceau d'infini et que je retombais dans le crépuscule de la pièce, quel dégoût et quelle tristesse alors !... Mais un désir impérieux et violent me prenait aussitôt : celui du dehors, de l'air, du soleil et de l'espace... Et toujours me torturait la même vision   un square rempli d'enfants tapageurs faisant s'écrouler les tas de sable, parmi les ombres des marronniers étendues sur le sol inondé de soleil, comme des guenilles pleines de trous lumineux.

XIII

Peu de temps après notre arrivée dans la cité nous eûmes un soir une visite bien inattendue. Nous étions sur le point de nous coucher quand on frappa à la porte... Un homme entra dont l'aspect tout d'abord m'effraya. Dans sa longue jaquette râpée on sentait flotter un corps de squelette, et, sous la visière de sa casquette de velours verdi, ses grands yeux noirs entourés d'un cerne et profondément enfoncés brillaient d'un feu sombre, avec une expression égarée, dans une figure de cire. Il avait le dos voûté, la barbe longue, la respiration sifflante et paraissait accablé.

J'eus bien du mal, dans ce spectre, à reconnaître mon père ; mais ma grand'mère, elle, l'avait reconnu aussitôt et n'avait pu retenir un cri de stupéfaction douloureuse, il sourit amèrement en hochant la tête et dit, d'une voix enrouée avec une tranquillité lugubre : « Oui, je suis foutu ! » Puis, parcourant du regard notre taudis, que rendait encore plus misérable la lueur pauvre de notre chandelle, ce fut à son tour d'être péniblement étonné. Il ne restait plus que mon lit et celui de ma grand'mère, notre table, deux chaises et un petit poêle tout fêlé. Notre joli petit buffet étagère avait encore disparu, bazardé au moment d'emménager dans la cité.

Il n'eut que ces simples mots, mais qui résumaient bien toute notre misère : « A ce point-là ! »

Ma grand'mère ne put que lui répondre en secouant la tête, car elle éclata en sanglots.

Il restait immobile au milieu de la chambre, ne pensant même plus à m'embrasser, perdu soudain en une rêverie morne. Et tout à coup des larmes jaillirent de ses yeux creux et roulèrent sur ses joues décharnées, silencieusement…

Alors, tout cela était tellement sinistre que mon cœur, gonflé de tristesse depuis longtemps, creva, et qu'à mon tour je pleurai éperdument.

Mon père me souleva et m'étreignit convulsivement sur sa poitrine, cherchant à me consoler. Je sentais ses os à travers ses vêtements. L'impression m'en fut pénible.

Il me reposa et s'expliqua sur son arrivée inopinée : Inquiet sur notre sort et sentant qu'il « n'irait plus bien loin », il avait voulu coûte que coûte nous revoir. Il avait emprunté de l'argent à un marinier qui l'était venu visiter à l'hospice et s'était, traîné jusqu'au train. Il avait ou bien du mal à nous trouver... il était exténué.

Il parlait par saccades, essoufflé ; et, soudain, une toux effroyable le courba en deux. Il étouffait, suffoquait, râlait. Il n'en finissait plus... Je crus qu'il allait rendre l'âme ; la sueur m'en venait de le voir. Enfin, il se calma ; essuya avec son mouchoir l'écume sanglante qui lui mouillait la bouche et se jeta haletant sur le lit de ma grand'mère.

Celle-ci me coucha et, s'enveloppant de hardes, se disposa à passer la nuit sur une chaise.

Je ne dormis guère. J'entendais le souffle rauque de mon père et les allées et venues de ma grand’mère qui lui donnait à boire : il avait la fièvre et, un moment, il délira. La vue de notre dénuement lui avait porté le dernier coup.

Le lendemain matin, avec le peu d'argent qui lui restait, il prit un fiacre et arriva pour la visite à la Pitié, où il fut admis aussitôt.

Nous l'allons voir — pas longtemps, hélas ! — le jeudi et le dimanche et lui portons une orange — c'est tout ce que nous pouvons faire, car le gain de ma grand-mère suffit à peine à nous nourrir. Sur les conseils de l'homme au crochet, qui habite un galetas au sixième, elle a acheté, avec l'argent du buffet-étagère, des lacets, quelques boîtes de cirage, des pains de savon minéral et de mine de plomb et s'en va les vendre au marché Saint-Médard.

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Le 13e en littérature

La cité Doré

Coeur d'enfant

par
Charles de Vitis

À la hauteur de la place Pinel et de l’abattoir, entre le boulevard de la Gare et le boulevard de l’Hôpital, s'étend un vaste terrain qui est loué par bail à divers locataires. Le type même de la saleté et de la misère imprévoyante se trouve dans le rassemblement de masures, coupé de ruelles en zigzag et qu’un hasard ironique fait appeler cité Doré. Les cours des miracles devaient être ainsi.

(1899)

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Rue du Banquier

Madame Gil-Blas

par
Paul Féval

Le fiacre tournait court l'angle de la rue du Banquier.
Cela s'appelle une rue, mais c'est en réalité une manière de chemin pratiqué entre des murs de jardins. Il n'y a pas une âme en plein jour.

(1856)

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Barrière des Deux-Moulins

Les Chifffonniers de Paris

par
Turpin de Sansay

En suivant les rues Saint-Victor, du Marché-aux-Chevaux et de Campo-Formio, on arrivait à la barrière des Deux-Moulins, située de l'autre côté du boulevard extérieur.

(1861)

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Barrière des Deux-Moulins

Causerie d'un camarade

par
Jean Loyseau

Allez un dimanche, ou , même , un lundi soir , du côté de l'ancienne barrière des Deux-Moulins : regardez, respirez et écoutez, si vous en êtes capables , tout ce qui frappe à la porte de vos cinq sens : votre odorat percevra je ne sais quelle odeur nauséabonde et méphitique, dans laquelle se mêlent indistinctement la fumée de tabac ; les exhalaisons du cabaret, qui forment , à elles seules, tout un arsenal d'infection...

(1862)

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La Butte aux-Cailles

Les Loups de Paris

par
Jules Lermina

Il est sur la rive gauche de la Seine, au-delà de la rue Mouffetard et de la Montagne-Sainte-Geneviève, un lieu étrange, sauvage...

(1877)

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En remontant le boulevard de l'Hôpital

La petite Miette

par
Eugène Bonhoure

Ce jour-là, 3 octobre 1886, le train express de Bordeaux — deuxièmes et troisièmes classes — avait eu plus d'une heure de retard et le service de l'arrivée s'en ressentait...

(1889)

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Rue des Cinq-diamants

La criminelle

par
Jules Lermina

Un plus érudit découvrira l'origine de ce nom singulier, la rue des Cinq-Diamants.
L'étude consciencieuse qui a été faite pour le vieux Paris tentera quelque explorateur des anciennes banlieues annexées : et quel champ plus vaste sera offert à sa curiosité que l'étrange et hideux quartier de la Butte-aux-Cailles ?

(1881)

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Saviez-vous que... ?

En 1897, il y avait un magasin de porcelaine au 196 de l'avenue de Choisy dans laquelle le cheval du fiacre n°7119 entra le 26 mars…

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La rue du Dessous des Berges est située à 20 mètres au dessus des berges.

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Selon le Figaro du 9 septembre 1899, sur les 266 vieilles lanternes à huile destinées à l'éclairage public que comptait encore Paris, 139 étaient allumées tous les soirs autour de la Butte-aux- Cailles.

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Ferdinand Buisson (1841-1932) fut un des fondateurs de la « Ligue des droits de l'Homme » dont il sera le président, après la mort de F. de Pressensé.
Il fut aussi député du 13e arrondissement.
Ainsi, aux élections générales législatives des 27 avril et 11 mai 1902, il se présenta comme candidat radical-socialiste dans la 2e circonscription du 13e arrondissement de Paris, et fut élu au deuxième tour de scrutin, par 8.468 voix contre 7.747 à M. Paulin-Méry, député sortant, nationaliste.
Il retrouva son siège aux élections générales des 6 et 20 mai 1906, au deuxième tour de scrutin, par 8.887 voix contre 7.764 à son ancien adversaire Paulin-Méry.
À celles des 24 avril et 8 mai 1910, il l'emporta encore sur Paulin-Méry, au deuxième tour, par 8.204 voix contre 7.378.
Mais il subit un échec à celles des 26 avril et 10 mai 1914, où il arriva au premier tour en seconde position après le docteur Auguste Navarre, en faveur duquel il s’est désisté et qui, ainsi, lui succéda.

L'image du jour

Rue de la Fontaine-à-Mulard