Littérature

 Le faiseur de momies - 2e partie - chap. 10 (suite)

DEUXIÈME PARTIE

Sur la piste

X
Comment Frisquet retrouva la piste et ce qui s’en suivit
(suite)

Précédemment

— Alors, voilà, commença sans autre préambule l'agent qui était pressé d'aller droit au fait. Je suis inspecteur de la police secrète…

À ces mots, le cocher fit un mouvement involontaire à la fois de répugnance et d’effroi.

— Tranquillisez-vous, reprit Bardet, il n'y a rien à craindre pour vous, au contraire, la petite opération que je vais vous proposer ne peut que faire du bien à votre bourse.

— Mais je ne suis pas un mouchard protesta vivement l'automédon avec indignation.

— Vous n'êtes pas poli, l'ami, riposta l'agent avec un petit air offusqué que démentait son sourire, mais je vous pardonne pour cette fois, j'en ai entendu bien d'autres. Il ne s'agit pas pour vous de moucharder.

— Alors ?...

— Voici ce dont il s'agit… Je suis en train de filer un particulier qui risquerait de me reconnaître sous mon déguisement actuel. Il faut donc absolument que j'en prenne un autre.

— Très bien, fit le cocher qui commençait à comprendre. Et vous avez songé à moi ?

— Justement. Je vous demande donc de vouloir bien changer d'habits avec moi et de me prêter votre voiture pour le reste de la journée.

— Et que me donnez-vous pour ça ?

— Vingt francs tout de suite et vingt autres quand je vous ramènerai votre roulante ici ce soir.

— Ça vaut plus ! Ma journée me rapportera davantage. Et puis il y a le risque.

— Quel risque ?

— Eh tiens, qui me prouve que c'est vrai tout ce que vous me racontez là ? Est-ce que je sais, moi, si vous êtes de la Sûreté ?

— Et ça ?

Bardet fouilla avec précipitation dans une poche intérieure de son gilet et en tira ses papiers et sa carte d'inspecteur qu'il mit sous les yeux du cocher.

— Je ne dis pas non… convint celui-ci, mais il y a toujours la question de galette... Mettez dix francs de plus et l'affaire est dans le sac.

— Allons ! concéda Bardet, qui vit bien qu'il fallait en passer par les exigences de l’automédon sous peine de rater sort affaire… c'est, entendu, vingt-cinq à l'aller et vingt-cinq au retour.

— Non, aboulez les cinquante tout de suite, sans ça rien de fait.

L'agent sortit de son portefeuille le billet de cinquante francs que lui avait donné M. Ducroc et le mit dans les mains du cocher qui en palpa le papier entre son pouce et son index et le regarda minutieusement par transparence pour s'assurer qu'il était bon.

— Oh fit Bardet, agacé de ces manières, ce n'est pas un billet de la Sainte-Farce.

L'automédon ouvrait la bouche pour protester tout en serrant le précieux papier au fond d'un vieux porte-monnaie graisseux, mais l'agent lui coupa la parole :

— Maintenant dépêchons-nous. Je n'ai qu'une minute.

Ils passèrent dans une arrière-salle, où l'échange des vêtements fut fait en un tour de main.

Pour compléter son déguisement, Bardet avait troqué sa perruque noire contre une autre perruque aux cheveux demi-longs, d'un blanc gris qui s'agrémentait de deux favoris courts de la même couleur, en côtelettes, tandis que son visage, au nez maintenant rubicond, se sillonnait de mille rides et se hérissait des poils courts et rudes d'une barbe qui paraissait avoir huit jours de date.

Cette métamorphose si complète, dont le brave cocher s'émerveillait, n'avait pas duré plus de dix minutes.

Quand l'agent Bardet sortit de là, tout cassé et le dos rond, son meilleur ami n'aurait pas pu le reconnaître. Il avait l'air d'un vieillard de soixante-dix ans.

Une fois dehors, son premier soin fut de s'assurer, par un rapide coup d'œil du côté du restaurant voisin, si son homme n'avait pas bougé. Non, il devait être toujours là, car Frisquet, vigilante sentinelle sans en avoir l'air, continuait de ronfler au soleil comme s'il n'avait eu personne à garder.

Satisfait de cette constatation, le cochet improvisé monta péniblement sur son siège, où il parut, le chapeau de cuir de travers sur l'oreille, s'absorber profondément dans la lecture d'un journal trouvé dans la poche de celui dont il avait revêtu la défroque.

En réalité, il réfléchissait ; l'homme rouge qu’il apercevait par dessus son journal en le baissant un peu, avait fini de déjeuner. Il sirotait maintenant son café qu'il arrosait copieusement de petits verres de cognac.

Il était à présumer qu'il allait bientôt s'en aller, à moins qu'il n’attendît quelqu'un, ce qui n'était guère probable, car il ne donnait aucun de ces signes d'impatience involontaires par où se traduit l'ennui de l'attente.

Mais comment s'en irait-il ?

C'était la grosse question.

À pied peut-être, s'il demeurait dans le quartier ou dans quelque endroit pas trop éloigné, auquel cas ce serait un jeu d'enfant de le suivre. En omnibus ou en tramway et alors la difficulté ne serait pas plus grande.

La porte du petit restaurant s'ouvrit et l'homme en sortit.

Il était probablement étourdi par le grand air à la suite des libations trop copieuses auxquelles il venait de se livrer, car il marchait d'un pas légèrement titubant, son melon de travers et son gilet débraillé, en souriant de ce rire bête et content qu'ont tous les ivrognes.

Il s'arrêta un moment au milieu du trottoir pour se reprendre à trois fois à allumer une cigarette, puis il jeta autour de lui des regards hébétés comme s'il cherchait quelque chose qu'il ne trouvait pas.

Enfin ses yeux tombèrent sur les fiacres alignés devant lui au bord du trottoir et il marcha résolument droit à ce vieux cocher qui avait l'air de dormir maintenant, tassé et ratatiné sur son siège et qui le regardait venir à travers ses paupières mi-closes.

Le chien avait suivi l'inconnu.

— Cocher, cria celui-ci d'une voix avinée qu'il s'efforçait de rendre digne, êtes-vous libre ?

— Ah ! dame ! fit le pseudo-automédon d'une voix chevrotante en sursautant, autant pour avoir l'air de s'éveiller que sous le coup d'une émotion bien naturelle, en voyant le bon pochard venir se jeter de lui-même dans la gueule du loup, ça dépend où vous allez, bourgeois ?

— Quartier de l'École-Militaire !... Avenue Lowendal… numéro 18.

— Ça tope… Montez…

L'inconnu s'engouffra dans le fiacre, s'affala lourdement sur la banquette, où il ne devait pas tarder à s'endormir profondément aux cahots de la voiture qui lui semblaient un bercement délicieux.

Le fiacre s'ébranla, suivi à la course par le brave Frisquet, qui ne songeait pas à quitter son gibier.

Il est probable que, dans la voiture, le sommeil béat de l'ivrogne eût été troublé par des cauchemars s'il eût pu voir le sourire de triomphe dont s'illumina le visage sarcastique de son singulier cocher.

Mais comment l'aurait-il vu ? Consciencieusement il cuvait son vin, et il ronflait à poings fermés quand le fiacre s'arrêta devant le numéro 18 de l'avenue Lowendal.

Bardet dut l'éveiller.

Il ouvrit machinalement un œil, puis l'autre, regarda avec ahurissement ce petit vieux cocher qui le secouait par le bras, sans bien se rendre compte de l'endroit où il se trouvait…

Tout d'un coup, il parut se souvenir, sauta à bas de la voiture, paya le prix de la course, qu'il accompagna d'un pourboire, et s'enfila, un peu honteux, dans sa maison en saluant d'un signe de tête familier sa concierge qui, sur le pas de la porte, le regardait passer d'un œil goguenard.

— Il est rien éméché, le bourgeois ! fit Bardet à la brave femme tout en ayant l’air de compter sa monnaie.

— Ah ! répondit celle-ci, qui ne demandait pas mieux de lier conversation, ça lui arrive plus souvent qu'à son tour... À part ça, c'est un brave homme, et depuis un an qu’il est ici... Mais il parait qu'ils sont tous comme ça dans son pays.

— Dans son pays ?

— Bé oui ! c'est un Alboche, donc ! Un M. Harschfeld qu’on l'appelle... un ancien avocat… figurez-vous…

Mais Bardet ne l’écoutait plus. Il savait maintenant ce qu'il voulait savoir. C'était dans cette maison que demeurait l'inconnu. Quant à son nom, qu'il s'appelât Harschfeld ou autrement, cela ne faisait rien à la chose, il ne serait pas long à le retrouver et à en apprendre davantage.

Pour le moment, ce qui lui importait, c'était de courir au plus vite à l'Académie rendre compte de sa mission, remplie à son honneur. Honneur dont une partie devait revenir, il est vrai, en toute justice, au flair merveilleux de Frisquet qui avait accompli là un véritable miracle.

Il siffla donc son fidèle compagnon qui l'attendait assis, la langue pendante, et, rendant la main à sa bête, il partit au trot allongé après avoir salué, en portant deux doigts à son chapeau de cuir bouilli, la concierge, qui en resta la bouche ouverte de saisissement au milieu de ses confidences commencées.

— Eh bien, mais en voilà un mal appris qui me brûle la politesse… Allez donc causer aux gens !...



Le 13e en littérature

La Cité Jeanne d'Arc

Les mémoires de Rossignol

par
Rossignol

Ma « clientèle » de la rue Sainte-Marguerite disparaissait peu à peu. Elle s'était réfugiée cité Doré, qui donne rue Pinel et boulevard de la Gare, ou cité Jeanne-d'Arc, près de la rue Nationale, dans le treizième arrondissement.

(1894)

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Les Gobelins

Zizine

par
Alexandre Arnoux

Dans le quartier des Gobelins, un gymnase. Des athlètes donnent une représentation suivie par une foule fervente. Dans cette foule un couple a attiré l’attention du narrateur. Elle, Zizine, femme superbe ; lui, petit, contrefait, douloureux. Milarot, champion du monde, est dans la salle.

(1938)

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La Folie Neubourg

Le faiseur de momies

par
Georges Spitzmuller et Armand Le Gay

Le promeneur qui remonte le boulevard Auguste-Blanqui dans la direction de la place d'Italie, est frappé par l'aspect pittoresque d'une vieille maison enclose dans le triangle formé par ce boulevard, la rue Edmond-Gondinet et la rue Corvisart.

(1912)

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La rue du Pot-au-Lait

Le drageoir aux épices

par
Joris-Karl Huysmans

Quelle rue étrange que cette rue du Pot-au-Lait ! déserte, étranglée, descendant par une pente rapide dans une grande voie inhabitée, aux pavés enchâssés dans la boue...

(1874)

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La gare de la Maison-Blanche

Le drame de Bicêtre

par
Eveling Rambaud et E. Piron

Honoré fit halte avenue d'Italie, devant la station du chemin de fer de Ceinture. Il sauta sur le trottoir en disant :
— Cherche, Bob, cherche !

(1894)

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Butte-aux-Cailles

Le Trésor caché

par
Charles Derennes

Depuis toujours on habitait, mon père et moi, sur la Butte-aux-Cailles ; encore aujourd'hui, ce quartier-là n'est guère pareil à tous les autres. Mais si vous l'aviez vu du temps que je vous parle ! Des cahutes s'accrochaient à la butte comme des boutons au nez d'un galeux ; ça grouillait de gosses et de chiens, de poux et de puces...

(1907)

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Ruelle des Reculettes

La petite Miette

par
Eugène Bonhoure

— Où demeure le pharmacien? demanda Furet.
— Au coin de la rue Corvisart et de la rue Croulebarbe.
— Est-ce qu'il y a deux chemins pour y aller ?

(1889)

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Saviez-vous que... ?

En 1897, il y avait un magasin de porcelaine au 196 de l'avenue de Choisy dans laquelle le cheval du fiacre n°7119 entra le 26 mars…

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Le 13 juillet 1880 furent organisées des retraites au flambeau dans les principaux quartiers du 13ème arrondissement et le 14, eût lieu à 2 heures, une grande cavalcadre au profit des écoles. Des fêtes forraines se tenaient sur les places et avenue de l'arrondissement et des concerts furent donnés par les sociétés instrumentales et chorales.

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En 1860, Il y avait un commissariat pour deux quartiers dans chaque arrondissement de Paris. Pour le 13e, ces commissariats étaient installés 36 route d'Italie pour Croulebarbe et la Maison-Blanche et 62 boulevard de l'Hôpital pour les quartiers de la Salpêtrière et de la Gare.

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Le 23 novembre 1897, vers quatre heures, un employé de banque, M. Henri L…, âgé de 40 ans, habitant boulevard de Port-Royal, se présentait au commissariat de police du quartier Croulebarbe et demandait à voir le commissaire en personne.
Mis en présence de M. Yendt, le pauvre employé déclara que Dreyfus était innocent et que c'était lui-même qui avait dérobé et vendu les documents à l'Allemagne. Puis, il prononça quantité d'autres paroles incohérentes.
M. L… fut envoyé l'infirmerie spéciale du Dépôt.

L'image du jour

Rue de la Fontaine-à-Mulard