Littérature



DEUXIÈME PARTIE

Sur la piste

XIX
Dans la gueule du loup
(suite)

Précédemment

Huit heures du soir sonnaient dans l'éloignement quand Sébastien Blanc déboucha dans la rue Croulebarbe déjà complètement déserte et éclairée parcimonieusement par la lueur tremblotante de quelques rares becs de gaz.

Tout de suite, il prit le trottoir qu'il avait à sa gauche, suivant la palissade de clôture du jardin qui descendait vers la Bièvre,

Tout de suite, il prit le trottoir qu'il avait à sa gauche, suivant la palissade de clôture du jardin qui descendait vers la Bièvre, et il laquelle, le vent d'ouest lui apportait par bouffées la rumeur du Paris lointain, un grand trou d'ombre piqué de mille feux rouges et jaunes.

Le policier s'était surpassé pour la circonstance, et sa nouvelle, métamorphose était un véritable chef-d'œuvre. L'honnête M. Golbert avait fait place à un type de miséreux plus vrai que nature.

Des vêtements qui tombaient en loques, un veston troué aux coudes, un pantalon rapiécé aux genoux et effrange par le bas, des souliers bâillant, aux talons éculés, absence de linge complète et un-foulard crasseux au cou.

Joignez à cela une face patibulaire au nez rouge, envahie par une barbe hirsute poivre et sel, une haleine qui empestait l'alcool à plein nez, et vous aurez une idée encore affaiblie du sacripant incarné par Sébastien Blanc, une de ces têtes effrayantes qui pullulent aux environs des terrains vagues et dont l'apparition subite au tournant d'une rue déserte fait, avant le coup de couteau, mourir de terreur le passant attardé.

Sous ces apparences de détrousseur de grands chemins, Sébastien se sentait le cœur assez mal à l'aise. Si brave qu'il fût, il ne se dissimulait pas ce que son entreprise avait de périlleux.

La ruelle des Gobelins

Sans doute, il était admirablement déguisé, mais il connaissait par avance le milieu dans lequel il allait se risquer et il savait par expérience que dans ce monde de souteneurs et de repris de justice, le moindre mouvement d'oubli, la moindre faute d'argot pouvaient le trahir et le placer dans un danger mortel.

D'ailleurs tous ces gens-là se connaissaient, et l'arrivée d'un inconnu parmi eux devait suffire à éveiller leurs soupçons. N'étaient-ils pas continuellement sur leurs gardes, à cause de la police, qui usait de tous les déguisements possibles et imaginables pour pouvoir pénétrer dans leurs repaires ?

Aussi fut-ce le cœur battant d'angoisse, quoique par un effort d'énergie extraordinaire il n'en laissât rien paraître, qu'il poussa d'une main tremblante, mais résolue, la porte du cabaret borgne.

Il se trouva dans une salle basse et longue, aux murs blanchis à la chaux, éclairée par des lampes à pétrole, dont la lumière était affaiblie par l'épaisse fumée qui montait des pipes et des « crapulos ».

Derrière le comptoir en zinc, encadrée entre des bouteilles et des litres d'alcools les plus variés placés par étages, trônait une femme aux énormes bras nus et rouges, à la face mafflue et luisante de graisse, fendue d'un sourire d'aménité vulgaire et dont les petits yeux reflétaient la cupidité. De temps à autre, cette matrone équivoque descendait du siège où était juchée sa pesante personne pour répondre à un appel de sa clientèle brutale qu'elle venait servir en personne.

La salle était comble et les gens s'entassaient par véritables grappes humaines sur des tabourets boiteux, autour des tables trop étroites, devant des saladiers de vin chaud.

C'étaient, sous la clarté brumeuse des lampes qui faisait saillir durement les traits, des visages pâles et tirés de voyous imberbes dont le plus vieux n'avait pas trente ans. Des cheveux pommadés ramenés aux tempes en accroche-cœur, des cravates aux tons criards, l'éternel mégot collé aux lèvres, éteint souvent, comme s'ils n'avaient plus la force de tirer dessus. De-ci, de-là, des filles casquées de cheveux gras, aux faces bestiales, usées, fripées, avachies par la basse noce, assises sur les genoux de leurs, seigneurs et maîtres.

Toute l'armée du vice et du crime.

Des propos orduriers s'échangeaient. Une voix éraillée et canaille braillait des couplets obscènes. Des parties de cartes se déroulaient avec des injures, des cris, des menaces, des coups de poing sur la table, parfois des verres brisés. Il y avait de la luxure et du sang dans l'air. On sentait que tout ce monde n'attendait que la première occasion pour jouer du couteau.

Quand Sébastien entra, tout d'un coup le brouhaha cessa comme par enchantement. Les parties de cartes s'arrêtèrent. La chanson resta figée sur les lèvres du chanteur. Tous les yeux se fixèrent sur le nouveau venu.

Qui était-il ? Personne ne le connaissait. Par conséquent, il fallait se méfier.

Le policier était trop fin pour ne pas remarquer l'impression qu'il causait. Mais il feignit de ne pas s'en apercevoir. Il rendit son œil atone comme celui d'un homme aviné, s'efforça de ne pas jouir d'une grande solidité sur ses jambes et chercha d'un regard circulaire un siège pour s'asseoir.

Puis voyant que toutes les places étaient occupées et qu'il n'y avait pas un seul tabouret libre, il roula des yeux de détresse et vint s'adosser au zinc du comptoir en contemplant l'assistance d'une face si stupide que toute la salle éclata d'un rire homérique.

Il avait conquis son public. La méfiance s'envolait.

Une voix éraillée de femme cria à l'autre bout de la salle.

Par ici, l'aristo !... on va t'en faire une de place… T'as qu'à payer un saladier à la compagnie et t'en verras la farce.

Sébastien esquissa un geste grotesque de remerciement, et portant ses mains à ses yeux pour s'en faire un abat-jour, il essaya de distinguer, à travers la fumée, celle qui lui avait parlé.

Puis il s'avança, trébuchant, dans la direction de la voix. C'était dans un coin tout au fond. Le groupe se desserra pour lui faire place. Il se laissa tomber lourdement sur le tabouret qu'on lui tendait.

— Eh ben mon vieux, fit la fille qui l'avait appelé, après s'être assise sans façon sur les genoux de son voisin, c'est pas pour te faire un reproche, mais t'en as une pochetée !...

— Une pochetée, moi ? riposta Sébastien avec une belle indignation d'ivrogne, en même temps qu'il prenait galamment le menton de sa voisine.

— Dame ! répondit la fille, c'est moi qui suis saoule peut-être ? C'est même mieux qu'une pochetée : une muffée.

On rit.

Puis voyant que l'ivrogne menaçait de devenir plus entreprenant :

— Et puis d'abord, à bas les pattes, vieux dévergondé !... Tu ferais mieux d'abouler ton auber…

— C'est juste, la belle enfant. Ne nous fâchons pas…

Et il commanda d'une voix de rogomme :

— Allons, la mère, un saladier pour ces messieurs !

Mais il avait à peine fini de prononcer ces paroles qu'une main s'abattit sur son épaule. En même temps, une voix ironique, qui n'avait rien de l'accent gras et trainant des faubourgs, celle-là, cria derrière lui :

— Bonsoir, monsieur Sébastien Blanc !

Il se retourna avec un haut-le-corps.

L'homme rouge était devant lui, le visage dissimulé sous un loup de velours noir et le considérait avec un sourire railleur.

En même temps toute la salle s'était levée dans un élan de colère et de stupeur à la fois.

Le nom du détective était bien connu et redouté de tous ces escarpes qui tremblaient devant lui. Sébastien avait envoyé tant des leurs à la guillotine et aux travaux forcés ! Mais jamais ils n'auraient cru qu'il oserait ainsi s'aventurer parmi eux... chez eux. Ils le tenaient, ils allaient lui faire payer cher son audace !

Déjà des couteaux sortaient des poches et lançaient des lueurs sinistres, des bras se levaient prêts à frapper. Des hurlements de fureur emplissaient la salle :

— À mort ! À mort !... Crevons-le… Saignons-le !...

Sébastien se jugea perdu.

Cette fois, c'était fini il allait y laisser sa vie.

Il n’avait plus qu'une chose à faire, mourir bravement et défendre sa peau le plus chèrement possible.

Suite



Le 13e en littérature

Rue des Peupliers

Perdues dans Paris

par
Jules Mary

Un des coins de Paris, misérable et sinistre. La longée des fortifications plantées d'arbres en double ou triple rangée, le côtoie pourtant de verdures plaisantes durant la belle saison, mais, en réalité, sépare pour ainsi dire cette région parisienne du reste du monde. Du haut de la rue des Peupliers...

(1908)

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Quartier Croulebarbe

Les esclaves de Paris

par
Émile Gaboriau

C'est là un quartier étrange, inconnu, à peine soupçonné de la part des Parisiens...
Où Emile Gaboriau fait découvrir le quartier Croulebarbe à ses lecteurs.

(1868)

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La Cité Jeanne-d'Arc

Un gosse

par
Auguste Brepson

La cité Jeanne-d'Arc est ce vaste ensemble de bâtiments noirs, sordides et lugubres percés comme une caserne de mille fenêtres et dont les hautes façades s’allongent rue Jeanne-d'Arc, devant la raffinerie Say.

(1928)

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Butte-aux-Cailles

La vague rouge

par
J. H. Rosny Ainé

L'homme suivit d'abord la rue de Tolbiac, puis s'engagea par ces voies ténébreuses, bordées de planches, de lattes et de pieux, qui montent vers la Butte-aux-Cailles. Les oiseaux des réverbères dansaient dans leurs cages de verre. On apercevait des terrains fauves, des chaînes de bosselures, des rampes de lueurs, des phares dans un trou du ciel, et, du côté de la Butte, un nuage de feu pâle évaporé sur Paris...

(1910)

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Le quartier de la Gare

Monsieur Lecoq

par
Émile Gaboriau

Le 20 février 18.., un dimanche, qui se trouvait être le dimanche gras, sur les onze heures du soir, une ronde d’agents du service de la sûreté sortait du poste de police de l’ancienne barrière d’Italie.
La mission de cette ronde était d’explorer ce vaste quartier qui s’étend de la route de Fontainebleau à la Seine, depuis les boulevards extérieurs jusqu’aux fortifications.
Ces parages déserts avaient alors la fâcheuse réputation qu’ont aujourd’hui les carrières d’Amérique.

(1869)

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Butte-aux-Cailles

Le trésor caché

par
Charles Derennes

Depuis toujours on habitait, mon père et moi, sur la Butte-aux-Cailles ; encore aujourd'hui, ce quartier-là n'est guère pareil à tous les autres. Mais si vous l'aviez vu du temps que je vous parle ! Des cahutes s'accrochaient à la butte comme des boutons au nez d'un galeux ; ça grouillait de gosses et de chiens, de poux et de puces...

(1907)

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La prairie de la Glacière

Sans Famille

par
Hector Malot

C’est un quartier peu connu des Parisiens que celui qui se trouve entre la Maison-Blanche et la Glacière ; on sait vaguement qu’il y a quelque part par là une petite vallée, mais comme la rivière qui l’arrose est la Bièvre, on dit et l’on croit que cette vallée est un des endroits les plus sales et les plus tristes de la banlieue de Paris. Il n’en est rien cependant, et l’endroit vaut mieux que sa réputation.

(1878)

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Saviez-vous que... ?

En 1887, Camille Claudel vivait dans un atelier loué pour elle par Auguste Rodin, la Folie Neubourg ou Clos Payen, 68 boulevard d’Italie, actuel boulebard Blanqui

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L'église Notre-Dame de la Gare, terminée en 1864 par M. Claude Naissant; est un monument assez élégant, construit dans le style de transition du douzième au treizième siècle, mais dont l'intérieur n'offrait, au moins en 1890, rien de curieux.

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A l'école Estienne, en 1896, l'enseignement y est gratuit ; la cantine scolaire, qui fournit aux enfants le déjeuner et le goûter, est également gratuite pour les élèves habitant Paris. Les élèves de la banlieue peuvent apporter leur déjeuner ; ils peuvent aussi prendre leur repas à la cantine, sauf à payer une rémunération fixée par le règlement intérieur.

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C’est le 12 juillet 1926 à 11h45, devant le 2 boulevard de la Gare, aujourd’hui boulevard Vincent Auriol, que fut inaugurée la première fontaine pour chiens et chevaux de la capitale.

L'image du jour

La folie Neubourg sur le boulevard Auguste Blanqui, déjà en partie démolie.