Amours séniles.
Le Matin — 25 juin 1904
Subissant l'influence de l'été de la Saint-Martin, Paul Perrotel le « père Paul » comme on l'appelle dans le quartier des Gobelins bien qu'âgé de cinquante-huit ans, déclara sa flamme à une marchande de pommes de terre frites de la rue de Tolbiac, Louise Fléchel, qui compte, elle, cinquante-cinq ans. Les vieux amants s'installèrent rue Bourgon, dans un petit appartement qui fut on ne sait comment ni avec quel argent garni d'un modeste mobilier.
Une courte lune de miel, bientôt suivie de querelles, de disputes et de scènes violentes. On criait du matin au soir, rue Bourgon, et aussi on se battait.
Soudain, le « père Paul » tomba malade et, comme sa maîtresse ne lui prodiguait pas les soins qu'il jugeait nécessaires à son état, le vieillard s'en fut à l'hôpital. Lorsqu'il en sortit, trois semaines plus tard, il trouva l'appartement vide. Louise était partie, emportant tous les meubles.
« — Mes meubles ! Mes beaux meubles ! » gémissait le père Paul en se désolant. Et, dans un état de colère indicible, le vieillard se mit à la recherche de sa maitresse.
Comme Louise Fléchel sortait hier de son nouveau domicile, rue des Gobelins, pour aller vendre ses frites, elle rencontra une porteuse de pain qui l'avertit :
« — Méfie-toi Voici plusieurs jours que le « père Paul » rôde par ici. Je crois qu'il te cherche. »

Louise continua sa route mais, au moment où elle arrivait dans la rue Abel-Hovelacque, son ancien amant, sortant d'une porte cochère, s'élança sur elle et lui porta dans le dos un coup de canne à épée. La malheureuse s'enfuit en poussant des cris épouvantables et se réfugia chez un marchand de vin.
« — Arrachez-moi ça Arrachez-moi ça » hurlait-elle désespérément.
Le vieux morceau de fleuret qui armait la canne de Perrotel était, en effet, resté piqué dans le dos.
Tandis qu'on s'empressait autour de la blessée, le « père Paul » sortait de sa poche un rasoir et tentait de s'ouvrir la gorge. Les deux blessés ont été transportés à l'hôpital Cochin. Louise Fléchel est à peine égratignée, l'arme étant restée fichée dans l'étoffe du corset. Quant au « père Paul », sa blessure ne semble pas non plus présenter de gravité, bien que le cou ait été assez profondément entamé.
M. Yendt, commissaire de police, a ouvert une enquête.
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Sur la ruelle des Reculettes
Historique
"Les Reculettes" dans la presse
- La ruelle des Reculettes et la Bièvre - 1914
- Dans la ruelle des Reculettes (Gabriel-Ursin Langé, 1928)
- La sente des Reculettes devient une rue - 1932