Les rixes du quartier des Gobelins
Le Petit-Parisien — 19 mai 1894
Depuis quelque temps le quartier des Gobelins est le théâtre de rixes continuelles. Il ne se passe pas de jour sans que de violentes querelles ne se produisent, entre les ouvriers français et italiens des raffineries de sucre du boulevard de la Gare. Avant-hier, vers minuit, un grand rassemblement avait lieu, place Pinel. Il s'agissait, comme toujours, d'une discussion qui s'était élevée à la sortie d'un cabaret, au sujet du règlement de consommations. Des paroles on ne tarda guère à en arriver aux coups. Les quinze ou vingt ouvriers qui se querellaient sortirent leurs couteaux et, se précipitant les uns sur les autres, se frappèrent avec acharnement. Il y eut plusieurs arrestations, et quatre blessés qui furent soignés par le docteur Rochette, avenue des Gobelins.
La même nuit, devant la cité Doré, une bataille semblable eut lieu entre des ouvriers français et italiens. Enfin, à tout instant, les commissaires de l'arrondissement ont à interroger un grand nombre d'individus accusés d'avoir frappé leurs femmes à coups de canne ou de couteau.
Une femme frappée de sept coups de couteau par son amant chiffonnier
Une tentative d'assassinat vient encore de mettre ce quartier en émoi. Une femme a été frappée de sept coups de couteau par son amant, un chiffonnier, demeurant dans la cité Jeanne d'Arc.
Voici les faits : Il y a deux mois, vinrent habiter cité Jeanne d'Arc, dans le corps de bâtiment situé 27, rue Nationale, le nommé Arthur Humbert, chiffonnier, âgé de trente-huit ans, et sa maitresse, Marie Marchetti, âgée de trente ans. Ils vivaient maritalement depuis dix ans et avaient eu huit enfants. Les uns sont morts ; les autres, on ne sait ce qu'ils sont devenus, sauf deux qui leur restent une charmante petite fille et un garçon. La mère est encore enceinte.
Humbert d'une nature très violente, passait les soirées dans les cabarets du quartier, ne buvait que de l'absinthe ou de l'eau-de-vie. Souvent Il rentrait chez lui dans un état d'ébriété complète et lors de terribles querelles éclataient entre lui et sa compagne. On remarquait chez cet homme de fréquents accès de colère que les uns attribuaient à l'alcoolisme et les autres à la folle.
Lundi dernier, vers huit heures du soir, Humbert, en proie à une violente surexcitation, courut chez la concierge de la cité et lui dit « Oh ! madame, voyez-vous, mes enfants pleurent là-haut… Ils vont mourir… Vous n'entendez pas leurs cris ? »
Les enfants étaient absents en ce moment.
La femme Marchétti avait une peur terrible de son amant. Plusieurs fois elle avait quitté son domicile et était allée passer les nuits dans des terrains vagues, où sa mère, qui demeure également cite Jeanne-d'Arc, lui apportait un peu de nourriture.
Vendredi soir, Humbert et sa maîtresse étalent attablés dans un débit de vins de l'avenue des Gobelins. À la suite d'une discussion, Marie Marchetti se sauva sur l'avenue. Humbert la poursuivit et lui porta plusieurs coups de couteau dans la poitrine. La malheureuse, en essayant de se débattre, reçut plusieurs autres blessures. Elle tomba sans connaissance sur le sol, perdant son sang en abondance.
Pendant que des passants relevaient la victime et la transportaient à la pharmacie Rochette, des gardiens de la paix s'emparaient du meurtrier qu'ils conduisirent au commissariat de police de M. Molier.
La victime a été frappée de sept coups de couteau, dent deux au sein, deux au côté gauche, un dans le dos et deux autres au côté droit. Elle a été transportée d'urgence à l'hôpital de la Pitié.
Quant au meurtrier, il a été écroué au Dépôt.