À propos d'anarchie
Le Journal — 14 juin 1896
La théorie anarchiste ne semble pas avoir de bien fervents adeptes en les habitants des rues Gérard et du Moulin-des-Prés, dans le treizième arrondissement. La preuve en est que quelques-uns d'entre eux, qui réunis discouraient sur l'explosion du boulevard Haussmann, ont fait passer un fort mauvais quart d'heure à un énergumène qui par conviction ou en manière de paradoxe, faisait une apologie ampoulée de la propagande par le fait.
Quelqu'un de bon sens voulut faire observer à l'orateur qu'une bombe n'était pas un argument et frappait généralement des gens qui n'étaient pour rien dans notre organisation sociale.
« — Vous êtes tous des lâches et des imbéciles, s'écriait alors l'inconnu ; vous mériteriez bien d'être réduits en miettes.
» Vive l'anarchie ! Mort aux bourgeois ! continuait l'énergumène. Vous sauterez tous ! Je m'en charge. »
Un rassemblement considérable s'était formé ; les dernières menaces de l'anarchiste avaient surtout soulevé la colère de la foule.
« —A mort ! à mort ! » criait-on de toutes parts.
Et la foule, se surexcitant en criant, se mit en mesure, tout comme en la libre Amérique, de lyncher l'anarchiste.
Cette décision impromptue avait déjà reçu un commencement d'exécution quand M. Lilmann, sténographe à la Chambre, qui passait à ce moment, s'interposa et proposa de livrer le condamné à la justice régulière.
En conséquence, l'anarchiste dont le visage était inondé de sang et qui avait reçu de graves contusions, a été conduit au poste où M. Rocher, Commissaire de police, a procédé à son interrogatoire.
Cet individu a déclaré se nommer Alphonse Bargot, âgé de trente-huit ans, demeurant rue Traversière ; mais il a refusé de donner des explications.
— J'ai dit ce que je pense, a-t-il répondu au magistrat ; je refuse de répondre aux questions des policiers.
En présence de l'attitude du prisonnier, le commissaire l'a fait écrouer au Dépôt.