L’ara et le chiffonnier
Le Figaro — 3 septembre 1896
Une fruitière de la rue Dolomieu, Mme V..., était hier en proie à la plus profonde désolation. On lui avait volé son Jacquot, un magnifique ara multicolore et plus qu’octogénaire, que lui avaient pieusement légué ses grands-parents.
Jacquot n’était point un oiseau banal et malgré son grand Age, ne se répétât pas trop souvent. Son répertoire était des plus variés ; tantôt, se souvenant de sa première éducation, qui lui avait été inculquée par un matelot, il jurait comme un Templier, surtout quand les gamins lui tiraient sa magnifique queue rouge. Si, au contraire, on s'arrêtait pour l'admirer, Jacquot, se campant fièrement sur son perchoir, faisait entendre des airs d'opéra ou se complaisait dans l’imitation des chanteurs des rues. Il était, de plus, tout fier de se rendre utile et, dès qu’un client franchissait le seuil de la boutique, il criait de sa plus belle voix :
— Voyez caisse ! Il y a du monde.
Les talents variés que possédait cet oiseau faillirent causer sa perle. Il excita la convoitise d’un chiffonnier, Baptiste Guinet, demeurant rue du Pot de-fer, qui, profilant de l'inattention de Mme V..., vola Jacquot.
Toute en larmes, l’infortunée fruitière alla conter sa peine au commissaire de police de son quartier, M Perruche.
— Consolez-vous, ma brave dame, lui dit le magistrat, vous retrouverez certainement votre perroquet. Tous les oiseaux de celle race étant fort intelligents, vous n’avez qu’à aller vous promener dans le quartier en appelant Jacquot, il ne manquera point de vous répondre. Je vais vous faire, déplus, accompagner par un agent qui me ramènera le voleur sans aucun doute.
Ainsi fut fait. La brave dame et l’agent, après une course assez longue, arrivèrent rue du Pot de Fer, Mme V... clamant toujours d’une voix désolée :
— Jacquot ! Jacquot !
De joyeux cris répondirent à cet appel.
— Plan ! Rataplan ! Portez armes ! Voyez caisse !
Point de doute, c’était Jacquot qui répondait. Les cris partaient d’une vieille bicoque qu'habitait le chiffonnier. Et, de suite, on découvrit l'ara que Guinet avait enfermé dans une malle.
L’oiseau a été rendu à son perchoir et Guinet enfermé au Dépôt.