Les maraudeurs du 13ème
Le Gaulois — 17 décembre 1870
Dimanche dernier, il s'est passé sur le bord de la Bièvre, dans l'enceinte de Paris, un fait qu'on ne saurait trop hautement signaler à l'opinion publique et aux autorités.
Une centaine d'hommes, de femmes et d'enfants, avaient pénétré dans une propriété privée avec des haches, des scies, suivis de voitures de transport, abattant et coupant tranquillement de beaux arbres. La propriétaire, s'étant plainte timidement, avait été menacée et maltraitée. Par bonheur, un élève de l'École polytechnique et des gardes nationaux de service aux environs sont intervenus et ont empêché ce pillage de s'accomplir jusqu'au bout ; ils ont eu de la peine ; il a fallu mettre la baïonnette au canon ; nous ne savons même pas s'il n'y a pas eu menace de faire feu.
Les maraudeurs ne comprirent même pas la défense qui leur était faite. « Cet arbre est à moi, disait l'un d'eux, je l'ai abattu ». On voit combien la propriété est prompte à reparaître, elle disparaît sous la forme du Tien et reparaît bien vite sous celle du Mien. Il a fallu arrêter une quinzaine de gens. Une vive émotion a suivi cette affaire. On annonçait qu'on reviendrait dans la journée ou dans la nuit. Deux hommes qui causaient ensemble disaient « Quand on a besoin, il faut bien prendre. ― Oui, répondait l'autre, mais il faut demander la permission. » On voit à quelle condition de pure forme est soumis ce droit que produit la nécessité d'avoir ce qu'on n'a pas.
L'incident de dimanche n'était pas le premier. Les voisins disaient que de trois cents arbres, il en restait à peine cinquante et tous étaient atteints.