Le boulevard d'Italie
vu par Fortuné Du Boisgobey (1883)
Extrait de "Bouche cousue"
Très
loin des Champs-Élysées, par de là le Luxembourg et derrière l'Observatoire,
s'étend un quartier bizarre.
Ce n'est pas encore la banlieue et ce n'est déjà plus Paris. Le Paris de la rive gauche, le Paris des étudiants, finit au bal Bullier. Quand on dépasse cette frontière du pays Latin, on entre dans un nouveau monde. C'est le calme de la province et la mélancolie du cloître, à quatre ou cinq kilomètres de la place de l'Opéra. Les édifices publics sont des hôpitaux ou des prisons. Il y a un cimetière et une maison de fous. Comme promenade, le parc de Montsouris qui ne ressemble pas du tout au bois de Boulogne ; comme rivière, la Bièvre, qui coule, noire et fangeuse, entre deux rangées de tanneries mal odorantes. Et en fait de curiosités, la fameuse Butte aux Cailles, le Mont Sacré des chiffonniers.
Les chemins ont des noms étranges et champêtres. Il y a la rue du Moulin-des-Prés, la rue du Pot-au-Lait, la rue du Champ-de-l'Alouette.
Le soir, aux tables des restaurants de nuit, les messieurs de la gomme que la passion des découvertes a entraîné dans. ces régions lointaines, racontent leur voyage comme s'ils revenaient de l'Afrique centrale, et les demoiselles à chignon jaune les écoutent avec intérêt.
Il y a cependant là-bas des coins charmants, des oasis verdoyantes, au milieu de déserts de pierre ; il y a de larges routes plantées de vieux arbres.
Il y a le boulevard Saint-Jacques et surtout le boulevard d'Italie que les rêveurs et les sages préfèrent de beaucoup à son quasi homonyme le boulevard des Italiens.
Il n'est ni bruyant, ni tumultueux ; on n'y voit point parader des filles devant des cafés étincelants ; c'est à peine s'il est éclairé au gaz. Mais il a une physionomie à lui. Il n'est pas vulgaire. Il ne s'allonge pas platement comme les voies tirées au cordeau dont on a enlaidi le centre de la ville. Il a des accidents de terrain. Entre la rue de la Santé où il commence et la place d'Italie où il prend fin, il y a une côte et même une côte assez raide.
Et, à gauche en venant de la barrière d'Enfer, cette montée solitaire est bordée de jardins ombreux au fond desquels on entrevoit des maisons closes. De ces retraites silencieuses, il se dégage comme un parfum de mystère qui plaît aux amoureux et aux poètes. On voudrait vivre là avec une femme adorée et lui chanter des vers sous les feuillages.
Presque toutes semblent inhabitées. Il en est une pourtant qui montre, à travers une grille tout enrubannée de lierre, sa façade blanche et ses volets verts. On dirait de loin une bastide provençale. Les fenêtres sont ouvertes, les pelouses sont tondues.
Il y a des fleurs qu'on arrose et des allées qu'on ratisse.
C'était là que vivait, ignorée, la fille de madame de Lorris. Georges Avor, au temps de ses amours avec Jeanne Valdieu, avait acheté pour sa maîtresse cette villa, bâtie par un tanneur ambitieux qui venait de tomber en faillite. Thérèse y était née et y avait grandi, car après la mort imprévue de son père, sa mère l'y avait laissée sous la garde d'une vieille amie qui s'était dévouée corps et âme à l'enfant et qui ...

Le boulevard d’Italie est aujourd’hui le boulevard Auguste
Blanqui.
La partie comprise entre la place d'Italie et la rue de la Glacière porta le
nom de boulevard des Gobelins en 1760; entre la rue de la Glacière et la rue
de la Santé, le boulevard porta le nom de boulevard de la Glacière et fit partie
du boulevard St-Jacques. En 1864 tout le boulevard prit le nom de boulevard
d'Italie qu'il conserva jusqu'en 1905. Nom actuel en souvenir du socialiste
Blanqui (1805-1881), qui passa une grande partie de sa vie en prison. Il décéda,
en 1881, dans un immeuble situé au numéro 25.
Fortuné du Boisgobey, né à Granville le
11 septembre 1821 et mort le 26 février 1891 à Paris, auteur de romans judiciaires
et policiers et aussi de romans historiques s’est probablement inspiré de la
Folie Neubourg située rue Corvisart à l’angle du boulevard d’Italie (numéro
68) pour décrire la villa dans laquelle se dérouleront de nombreuses scènes
de son roman.
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