Lieux et monuments

 Le printemps sur la zone

Le printemps sur la zone

Le Journal — 22 avril 1933

On disait que le beau dimanche de Pâques serait une date fatidique pour la zone. A partir du 16 avril la zone devait commencer à se désagréger définitivement, à lâcher les derniers lambeaux de terrain municipal auxquels elle se cramponne encore.

Mais la zone semble ne point s'en soucier. Sa mort a été annoncée si souvent. Toutefois, n'étant pas maitresse de son avenir et, comme il est bien possible, après tout, que ce printemps soit le dernier que la zone savoure, peut-être convient-il d'en fixer, sans plus attendre, quelques ultimes images.

Au printemps, la zone devient le paradis des humbles. Aussi le choix d'une pareille époque pour sa fin comporte-t-il un peu de cruauté…

C'est à décembre qu'on eût dû fixer l'agonie de la zone alors que ses couleurs charbonneuses ou acides, sa lèpre, sa boue, son air affadi en composent un tableau propre à vous dispenser de tout platonique regret.

Mais maintenant ! Coppée l'aimerait à défaut d'Huysmans pour qui la nature n'était intéressante « que débile et navrée ». Ces tronçons de zone qui, l'hiver, apparaissent au pied des façades orgueilleuses, rigides et neuves, comme des campements de barbares sous les murs de l'opulente cité, les voici devenus, par la grâce du printemps, des îlots de verdure d'où les fumées montent fines et droites dans les crépuscules paisibles.

L'herbe a couvert de son tapis velouté des bandes de terre étendues en plages arides et grises où traînaient en manière d'épaves les ressorts de sommiers, les boîtes de conserves, les débris informes de choses en tôle encroûtées de rouille. Il y a ainsi, près de la poterne des Peupliers, un désert qui est devenu pelouse et sert de transition à l'illusion campagnarde qu'offre la zone. Un âne y broute, cet âne qu'on rencontre toujours au pays des zoniers et qui semble mis là pour les peintres à tendance anecdotique. Couchés sur le dos ou en chien de fusil, un journal déployé sur le visage, des hommes sont éparpillés au soleil, abandonnés contre les dépressions du sol dont la courbe est plus propice à l'indolence. L'un d'eux a traîné au cagnard le squelette d'un lit-cage et, sans souci des rosaces que les ressorts lui laisseront dans les reins, somnole là-dessus, l'air Innocent, la face au ciel où flottent d'insignifiants nuages.

Traversés parfois par le cri des enfants joueurs, peuplés aussi de silhouettes de femmes assises occupées à quelque tricot dont les aiguilles scintillent, ces espaces de repos en marge de la grande ville viennent mourir contre les haies en barbe de chemineau, les barrières faites de matériaux insolites dont des rideaux de feuillage, des buissons d'aubépine voilent pour un temps l'indigence. Au-dessus, la jeune verdure emmitoufle, les toits de planches et de papier goudronné. Et les fleurs des arbres fruitiers saupoudrent le tout de neige ivoirine ou rose.

C'est, là, aux portes de Châtillon, d'Orléans, de Gentilly, à la porte, de Bicêtre où la fraicheur d'une Bièvte au gargouillis plus évocateur que la vue crée plus de luxuriance encore, c'est là que la zone, plus bourgeoise qu'ailleurs, fait mieux oublier Paris. Tout le monde ne peut courir à cent kilomètres chercher la nature simple en son renouveau. Alors, les zoniers qui travaillent, vivent ou viennent ici par délassement accueillent par tous leurs seins l'illusion de la nature. Si jamais l'homme a aimé son jardin pour le rêve de tenir un univers dans sa main et sous son œil, c'est bien ici.

Coulez un regard par chaque trouée de feuillage, entre deux planches, sous l'arcade tremblante et verte qu'un rameau dessine au-dessus d'une porte rafistolée : le jardinet est un poème. Les légumes s'offrent avec la régularité de vers bien alignés, bien calligraphiés, par strophes de carottes, de salades, de radis, de fleurs simples. Des coquilles Saint-Jacques les encadrent ou les soulignent de festons naïfs. Et si vous désirez un cul-de-lampe à ce poème, il se trouvera toujours quelque touffe de lilas pour en tenir lieu...

Et le poète est là qui fignole sans cesse son œuvre. La casquette sur la nuque, en manches de chemise ou bleu de jardinier, il sarcle, défonce, arrache, plante, sans se départir d'une placidité de paysan qui a bien mesuré son temps au soleil. Parfois, il reçoit, promène un couple de visiteurs dont le feutre et le col de solide lapin trahissent la ville oubliée, quoique si proche. Le maître de céans explique à grand renfort de gestes amples, et sa voix, par instant, monte dans le bel après-midi.

Il est des néophytes qui s'attardent dans la contemplation d'une racine et d'autres qui, en dépit de l'avenir incertain, s'installent, tendent des barbelés derrière les haies, plantent, bêchent, préparent une terre grise dont on ne croirait pas à la voir si truffée de ferraille et de-choses inavouables, qu'il en pourra sortir la moindre laitue.

— Le fer, ça fortifie, pas ? me dit l'un d'eux que je contemple. A ce compte-là, cette terre c'est pis que du muscle à Rigoulot.

Les maisons ne sont pas toutes des bicoques de planches ou de tôle avec, un peu à l'écart, la rustique garde-robe comme une guérite de caisses à savon. Il en est de fort bonne mine qui bâillent au soleil, laissent voir tout leur ameublement standard, propret et simple, copieux en bibelots. La ménagère est près du seuil; quand son travail ne la retient pas vers les endroits moins nobles où le seigneur du lieu entrepose sa récolte de ferraille. Les bavardages voltigent dé jardinet, en jardinet, cessent à l'approche de l'inconnu que vingt paires d'yeux suivent dans la sente ainsi que dans la rue principale d'un village. Alors, un après l’autre éclatent les aboiements des chiens au poil-gras, vautrés sur les seuils et qui, reniflant l'étranger à trois mètres, se donnent des airs méchants pour justifier l'écriteau fameux.

C'est peut-être le soir que l'illusion campagnarde risque d'être altérée. La zone chante trop. Tendues en tous sens au bout des perches dominant de guingois, la verdure, toutes les antennes entrent en branle pour le délassement des mélomanes allongés dans leurs-transatlantique décolorés, bien à l'aise dans leurs cotonnades ou leur pilou. Mais, portés par des ondes plus courtes et moins suaves, des effluves arrivent parfois qui n'évoquent point les labours ni la forêt. La zone se manifeste par ce qu'elle a de moins illusoire : l'odeur.

Ce n'est qu'intermittent. D'ailleurs, on s'habitue. Et puis comment ne pas se dire que tant que le problème des habitations ouvrières n'aura pas été convenablement résolu, c'est une manière de chance de pouvoir vivre non dans un logement étriqué, ou une mansarde obscure mais sur un coin de cette zone bourgeoise et printanière, verte comme une touffe de mouron.

Émile Condroyer.

Poterne des Peupliers par Eugène Atget — 1913

Voir aussi :

La capitale démantelée : Les survivants (1930)

Petit voyage dans la zone - Émile Condroyer (1931)



Sur la Zone...

Le commencement de la fin de la Zone

Les articles d'Émile Condroyer

La capitale démantelée (1930)

Autres textes d'Émile Condroyer

Voyage au pays des zoniers (Série d'articles de Pierre Bénite - 1930)

Dans l’étau des grands buildings (Série d'articles de Pierre Humbourg - 1931)

Divers aspects de la zone dans les années 30

Les Zoniers

Faits divers

Lieux

Abattoirs de Villejuif (1903)


A.O.I.P. (rue Charles Fourier) (1933)


Arts et Métiers (Ecole des ) (1903)


Asile Nicolas Flamel (rue du Château-des-Rentiers (1904)


Austerlitz (Village d') (1884)


Barrière Croulebarbe (1865)


Barrière des Deux Moulins (1865)


Barrière des Deux Moulins - Le cabaret de la mère Marie (1859)


Barrière de Fontainebleau (1865)


Barrière de la Gare (1865)


Barrière de la Glacière (1865)


La Belle Moissonneuse (1864)


La Belle Moissonneuse (1875)


Boucherie de cheval - Première - à Paris (1866)


Boulevard d'Italie (1883)


Le Cabaret du Pot-d’Étain (1864)


Le Champ de l'alouette (1933)


Le Casino du XIIIe (1899)


La chapelle Bréa (1897)


Château Napoléon (1904)


Cité Doré (1854)


Cité Doré (1882)


Cité des Kroumirs (1882)


Clos Payen (1891)


Rue Croulebarbe (1865)


Les Deux-Moulins et le hameau d'Austerlitz (1884)


L'école Estienne (1896)


L'école Kuss (1934)


Eden des Gobelins (1934)


Église Saint-Anne (1900)


L’église Saint-Hippolyte, aux Gobelins (1908)


La « Folie » Neubourg (1906)


La « Folie » Neubourg (1929)


Fontaine à Mulard (rue de la - ) (1904)


La glacière du 13e (1873)


Gare d'Orléans (1890)


Jeanne d'Arc (Statue) (1891)


Parc (Square) Kellermann


Rue Küss (1929)


Lourcine (Hôpital de -) (1890)


Mairie du 13e (1893)


Marché aux chevaux (1867)


Marché aux chevaux, vu par M. Macé, anc. chef de la sûreté (1888)


Marché aux chevaux (1890)


Marché des Gobelins (1867)


Monument aux mères (1938)


Passage Moret (1911)


Hôpital de la Pitié (ancien) (1903)


Hôpital de la Pitié (ancien)(1908)


Hôpital de la Pitié (nouvel) (1910)


Maison des typos (1933)


Place d'Italie (1877)


Place d'Italie - Histoire de la (1925)


Pont Tolbiac (Inauguration) (1895)


Pont Tolbiac (Technique) (1895)


Poterne des Peupliers - Le Cabaret des Peupliers (1880)


Poterne des Peupliers (1930)


Rue des Peupliers vue par J. Mary (1908)


Raffinerie Say (1890)


Raffinerie Say (1905)


Rue des Reculettes (1928)


Ruelle des Reculettes (1914)


La Salpêtrière (1890)


La Salpêtrière (1903)


Le Théâtre des Gobelins (1869)


Le verger des Gobelins (1914)


La Zone (1931)


La Zone (1933)


Saviez-vous que... ?

Le 24 décembre 1939, Paris-Soir nous apprenait que Mme Marthe Pouchenel, 20 ans, avait glissé sur le verglas dans la cour de l'immeuble où elle demeurait, 23, rue Bourgon et avait été admise à l'hospice de Bicêtre.

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Lorsque fut conçu le projet de doter le quartier Maison Blanche d'une nouvelle église, il était prévu que celle-ci s'appela Saint-Marcel de la Maison-Blanche. Ce fut Sainte-Anne qui l'emporta.

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Le 27 juillet 1916, 724ème jour de guerre, un violent orage causait quelques dégâts au 1 de la ruelle des Reculettes et la foudre blessait légèrement aux jambes Mme Paris, une locataire du lieu.

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C'est en 1880 que commencèrent les travaux de construction de la gare de La Glacière-Gentilly sur la petite ceinture parallèlement à ceux de la gare de Grenelle.

L'image du jour

Boulevard Arago vers le carrefour des Gobelins

La création du boulevard Arago fut décidé dans les années 1850 comme moyen de développement du 12e arrondissement d'alors et comme une branche du grand boulevard Saint-Marcel reliant les chemins de fer de Lyon et d'Orléans avec le chemin de fer de l'Ouest et toute la partie sud-ouest de Paris. Ce devait être une voie de 40 mètres de largeur bordée d'une double rangée de plantation traversant "un désert d'immenses terrains vagues qui s'animera et se peuplera très promptement".
Le nom de la voie initialement retenu était Boulevard de la Santé.  ♦