L’état de santé de Blanqui
Le Gaulois — 30 décembre 1880

L'état de Blanqui est tellement grave, que la famille, en prévision d'une catastrophe, a fait savoir au public, par les journaux intransigeants, qu'elle-même ne conservait plus d'espoir.
Depuis quelques jours, on observait chez Blanqui un affaissement qui préoccupait ses familiers. Cependant dimanche [26 décembre] il parut mieux portant, et à diner il mangea avec appétit un morceau d'oie. Le lendemain à déjeuner il prit un peu de haricots.
Le soir, il s'en fut à la salle Ragache, rue Lecourbe, où il s'exhiba en compagnie des trois citoyennes, Louise Michel, Paule Minck et Cadolle.
À l'issue de la réunion, le brusque passage d'un milieu chauffé dans l’atmosphère humide de la rue lui causa un frisson : il eut une défaillance dont il se releva aussitôt. Il voulait marcher, mais les personnes qui l'accompagnaient l'obligèrent à monter dans un fiacre où, malgré sa résistance, on le recouvrit d'un gros pardessus.
On le conduisit chez un de ses amis, 25, boulevard d'Italie. Là, il déclara qu'il se sentait très bien et désira se chauffer avant de se coucher. Il resta seul. Tout à coup, son hôte, retiré dans une pièce voisine, entendit un bruit. Il accourut. Blanqui était étendu sur le parquet de la chambre, devant son fauteuil.
—Qu'avez-vous donc ? demanda M.X...
— Oh ! rien, Je ne sais pas comment c'est arrivé. Mais je me relève. Ce n'est rien.
Il se déshabilla. Puis, avant de se coucher, il eut un vomissement et rendit les aliments qu'il avait pris le jour et la veille, et qu'il n'avait pas encore digérés.
Dans le lit, il ne s'endormit pas. Son hôte, inquiet de ces accidents, envoya en grande hâte chercher Mme Antoine, née Blanqui.
Mme Antoine accourut, mais elle arriva trop tard pour recueillir les dernières paroles de son frère.
En effet, à peine Blanqui s'était-il mis au lit que ses yeux se fermèrent. Bientôt il ne-remua plus les lèvres. Sa tête prit une immobilité cadavéreuse qui ne tarda pas à gagner toute la partie gauche du corps.

Le médecin qui fut appelé, M. le docteur Vimont, constata une apoplexie cérébrale et une paralysie du côté gauche. Hier, le malade ne conservait plus que l'usage très affaibli de sa main droite, qu'il portait fréquemment sur son cœur pour indiquer que là il souffrait.
Le traitement fut aussitôt commencé. Il consiste en des révulsifs appliqués sur la peau aux environs du tube digestif et en lavements purgatifs, le malade ne pouvant absorber aucune potion.
Ces prescriptions faites, M. Vimont déclara qu'il n'en espérait pas un heureux résultat, et que le malade pouvait mourir d'un moment l'autre.
Sur-le-champ, en présence de ces pronostics effrayants, la famille télégraphia à Bruxelles au docteur Vaillant, ami de Blanqui.
Celui-ci est arrivé dans la journée d'hier et s'est établi en permanence au chevet du vieillard agonisant. M. Clemenceau est venu dans la journée d'hier. Il a approuvé toutes les prescriptions du docteur Vimont et doit re tourner aujourd'hui, boulevard d'Italie.
Cette visite est la seule que M. Blanqui ait reçue hier. Sa famille, pour éloigner de lui les importuns, n'a donné à personne son adresse qui, d'ailleurs, avait été jusqu'ici soigneusement cachée à tous, Blanqui ayant gardé jusque dans la vie privée ses habitudes de conspirateur soupçonneux.
À la dernière heure, les médecins n'avaient pas recouvré le moindre espoir. Le dénouement arrivera probablement aujourd'hui.
G. Mermeix
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