Aux Gobelins
Le nouveau jardin a été inauguré et ouvert au public
Le Populaire — 20 mai 1938

Il est dû à l’initiative d'Émile DESLANDRES qui pendant 25 années, au nom du socialisme, a représenté le quartier au Conseil municipal.
Lieu de repos des artisans du 17e siècle, il le sera encore au 20e pour une population devenue cent fois plus dense.
L'an dernier, avenue de Choisy, sur l'emplacement de l'ancienne usine à gaz, était érigé, au milieu d'un vaste jardin, l'Institut Dentaire. Dans ce quartier de Paris, à la population si dense, c'était un peu d'air pur et de délassement mis à la portée d'une population travailleuse dont les conditions d'habitat sont très étroites et pour la plupart indignes de la capitale.
D'autre part, c'était un peu de couleur et de gaîté rompant heureusement l'aspect lépreux de cette entrée de Paris.
Le 13e arrondissement n'est-il pas un de ceux qui réclament le plus l'attention de l'urbaniste ?
L’îlot insalubre et le taudis
Des quelques larges avenues récentes, par les immeubles neufs qui y ont été édifiés « pas toujours avec un confort digne de notre siècle » ne masquent-elles pas le taudis sous ses deux formes quasi équivalentes. L'une, c'est l'îlot insalubre caractérisé, reconnu comme un danger, public. Condamné à la démolition par la loi, il lui résiste dans un monde absurde où le travail est stérile s'il n'est acheté comme source de profit. L'autre, c'est le simple taudis. Il se différencie du premier en ce qu'il échappe, à la faveur d'une apparence ou d'une équivoque, à la loi sur l'insalubrité des locaux habités, parfois même seulement grâce à la procédure qui prolonge son honnêteté légale au delà de la vie de ses occupants.
Il faudrait démolir impitoyablement et reconstruire avec de larges espaces libres. Pour que le soleil pénètre partout, ne faudrait-il pas, par la loi, établie, une servitude générale autour de tous les immeubles à usage d'habitation, par exemple une zone non « aedificandi » de deux fois leur hauteur.
Le jardin des Gobelins
Dans l'attente des mesures générales, raisonnées et définitives, ne faut-il pas préserver les espaces libres existants ?
Hier matin, était inauguré, dans le quartier Croulebarbe, un nouveau jardin public. II s'étend sur 22.500 mètres carrés, derrière la Manufacture des Gobelins et le Garde-Meubles National.
C'est à Émile Deslandres que l'on doit cette initiative. Ayant représenté pendant plus de vingt-cinq années ce quartier, au nom du Socialisme, il s’était penché sur les misères et les besoins de la classe ouvrière dont il était lui-même.
Les efforts ont abouti. Le 17 mai 1933, il obtenait un vote de principe du conseil municipal de Paris. Une convention était signée entre la Ville et l'État le 15 mai 1934. .
Le Mobilier National s'installait derrière la Manufacture des Gobelins.
Et la création du nouveau jardin des Gobelins était décidée.
Un quartier historique
Coin de verdure perdu parmi les tristes bâtiments installés sur une rivière devenue nauséabonde; l'emplacement du nouveau jardin existait déjà depuis Colbert. Il avait conservé à travers les siècles la pureté végétale, depuis bien avant que les tanneries, en s'installant sur une Bièvre remarquable, en aient fait une rivière de boue.
N'est-ce pas la pureté des eaux qui avait incité les frères Gobelins, spécialistes de la teinture en écarlate, à s'installer sur ses rives ? »
Depuis, que de changements, et c'est encore à Émile Deslandres que l'on doit l'initiative de recouvrir et transformer en égout une rivière déshonorée par le travail des hommes !
Les jardins des tisseurs
Colbert avait donné aux tisseurs de la Manufacture des Gobelins les jardins sur l'emplacement desquels a été établi le nouveau square.
La tradition veut que parmi les cultures variées ils trouvèrent l'inspiration à leurs œuvres admirables.
Mais comme le disait hier le Préfet : « Ce petit parc agreste était devenu semblable à celui de la Belle-au-Bois-Dormant. »
Enfin il a échappé aux lotisseurs et à la spéculation ! C'est fort heureux au milieu « d'une population devenue cent fois plus dense qu'en 1670 ».
Une admirable synthèse
Tel qu'il se présente maintenant, ouvert au public, le nouveau jardin est une admirable synthèse des vestiges séculaires des artisans tisseurs et de l'art profondément moderne que l'architecte Moreux a su si habilement assortir.
Les grands arbres, les vergers et les haies d'ifs s'harmonisent merveilleusement avec les rampes et les vastes escaliers de béton et de pierre et les mosaïques faites de galets diversement colorés.
L’inauguration
Le Préfet de la Seine, entouré des élus de l'arrondissement, des directeurs des services d'architecture et de travaux de Paris, a présidé l'inauguration préludant à l'ouverture au public. Le ministre de l'Économie Nationale était représenté par le directeur des Beaux-Arts.
Après que la musique de la Garde républicaine a ouvert la cérémonie, des discours ont été prononcés par Le Gall, conseiller municipal, Gélis, député, MM. Failliot, président du conseil municipal et Villey, préfet de la Seine.
Tous les orateurs, sauf Le Gall, ont rendu l'hommage qui lui était dû, à l'initiateur de cette belle œuvre, à Émile Deslandres.
La cérémonie terminée, il ne fallut que quelques instants pour qu'en ce jeudi l'enfance prit possession, à grands cris de joie, de ce que le vieux « typo » avait voulu conserver pour elle.
A. C.
Sur le jardin des Gobelins :
Le verger des Gobelins (1914)
Les jardins des Gobelins menacés ? (1933)
Les textes fondateurs, loi du 6 juillet 1934 et convention :
- article 5 de la convention entre l’État et la ville de Paris pour l’organisation d’une exposition internationale en 1937 (1934)
- Texte intégral sur le site Gallica.fr
Contrairement à la légende habituellement véhiculée par le parti communiste français, René Le Gall (1899-1942), élu pour la première fois au Conseil Municipal de Paris en 1935, n'est absolument pour rien dans la création du jardin ouvert en 1938 et qui porte son nom depuis 1944,
Oasis faubourienne (1937)
Un jardin unique en son genre, celui des Gobelins, va être inauguré la semaine prochaine (1938)
Le square de la rue Croulebarbe - un des plus beaux de Paris - sera bientôt ouvert (1938)
L'inauguration vue par :
- Le Petit-Journal où l'on apprend que le mérite de la création du jardin des Gobelins revient à M. Gelis
- Ce Soir où l'on apprend que le mérite de la création du jardin des Gobelins revient à Louis XIV
- Le Populaire où l'on apprend que le mérite de la création du jardin des Gobelins revient à M. Deslandres
- L'Humanité où l'on apprend que le mérite de la création du jardin des Gobelins revient à M. Le Gall
- Le Journal où l'on apprend que ce "square fortifié" n'a pas du tout plu à M. Descaves