Grandeur et décadence des marchés
Le Petit-Journal — 3 décembre 1901
La démolition partielle du marché de la place d'Italie, dont le Petit Journal a déjà parlé, met en relief le marasme dans lequel se débattent les marchés couverts appartenant à la Ville de Paris. Déjà, les marchés d'Auteuil, de Belleville, de Saint-Maur, de Necker, de Grenelle, de Saint-Germain, des Blancs-Manteaux ont été ou diminués ou supprimés. Cette nomenclature est assez éloquente ; elle montre que le mal sévit aussi bien dans la vieille ville que dans les quartiers extérieurs.
La lente agonie des marchés couverts a plusieurs causes. L'agent le plus actif de leur dé périssement est l'augmentation incessante des marchandes des quatre saisons et des vendeuses au panier, qu'un savant tournoiement, de prudentes évolutions à travers l'enchevêtrement des rues, ramènent toujours aux abords, des marchés couverts, géants pourvoyeurs dont ces pygmées ont juré la perte. Embusquées à l'angle des voies populeuses, ces humbles commerçantes séduisent le client par d'alléchantes invitations, par une mine engageante, qui se rembrunit très rarement, car elle est toujours-tenue en éveil par l'âpre souci de gagner le pain quotidien des enfants.
Le nombre des fruitiers, et surtout des épiciers devenus marchands de légumes, de volailles, de gibier de tout poil et de toute plume, a suivi la même progression. Leurs copieux étalages, leurs appétissantes expositions de comestibles ont débordé des boutiques closes et croulé des vitrines intérieures sur les trottoirs, positions avancées d'où ces « patentés » battent en brèche la prospérité des marchés couverts.
Enfin, on a multiplié depuis quelques années les foires gastronomiques en plein air et l'on a créé des marchés « volants » non loin des marchés couverts. Le public parisien, qui aime flâner, aller, venir et revenir le long des produits avant de se résoudre à faire une emplette, préfère les étalages sous le ciel gris ou bleu aux établissements en fer et en briques, où il est moins libre d'errer en attendant le moment d'avoir fixé son choix. Ces marchés découverts représentent les anciens stationnements sur la voie publique, qui furent interdits après l'an nexion des communes suburbaines et la construction des halles de la périphérie.
Les jours des marchés couverts paraissent donc bien comptés. La clientèle les trouve trop froids, trop solennels. Les acheteurs, ne s’y sentant pas assez libres, s'attardent et, chose plus grave, s'arrêtent aux séductions de la porte.
La liste des condamnés n'est pas encore close et l'administration va l'allonger encore... La réduction du marché de l'Ave-Maria est décidée en principe ; les marchés Wagram et de Popincourt sont menacés. D'ailleurs, ce dernier se trouve-dans un état lamentable ; il tombe en ruines et ses murs délabrés semblent une allégorie frappante de la décadence des marchés couverts.
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