Injustice et gaspillage ?
Le Petit Journal — 21 mai 1923
— Monsieur, me dit cet homme, je suis un ancien mobilisé. J’ai fait la guerre et j'ai une femme et trois enfants. J'habite avenue d'Italie une maison que la Ville vient d’acheter. Nous sommes trente-cinq locataires... Eh bien, la Ville vient de nous signifier trente-cinq congés ! Où veut-elle que nous allions loger, quand elle nous aura mis dehors ?
— …
— Il faut que vote sachiez aussi ceci, monsieur. La maison que nous habitons fait partie d’une propriété qui s’appelle le parc Bréa, que la Ville a acheté au même coup pour construire un secteur électrique et qu’elle a payé 200 francs le mètre. Le propriétaire avait l'intention de ne pas vendre au-dessus de 130 ou 150 francs. Mais quand il a su que c’était la Ville, dame, il a majoré son prix, vous comprenez ! La Ville, c’est nous, et nous sommes tous bons pour payer, n’est-ce pas ?
— …
— Notez, monsieur, que ce ne sont pas les terrains municipaux qui manquent dans le quartier. La Ville, en possède un nombre respectable rue du Château-des-Rentiers, rue Nationale, rue du Gaz, rue de Tolbiac, rue Baudricourt, dont on ne se sert que pour y mettre en réserve des pavés. Rue du Château-des-Rentiers, vers les fortifs, il existe un terrain municipal complètement inutilisable, qu'on a laissé enclore par de petites et grandes constructions. Pendant la guerre, c’était un terrain de jeux. On a même dépensé un millier de francs pour le sabler. À présent, bernique ! En allant vers la place de Rungis, on peut encore voir bien des terrains qui appartiennent à la Ville. Pourquoi donc, je vous le demande, avoir acheté si cher le parc Bréa ? Pourquoi avoir acheté la maison que nous sommes trente-cinq à habiter ? Pourquoi veut-on nous en expulser ? Est-ce que vraiment c'était nécessaire ? Est-ce qu’il n’y a pas là une injustice et un honteux gaspillage des deniers publics?
— …
— Vous ne dites rien ?
— …
André Billy.