Un puits artésien
Chez M. Henri Rousselle. — Les eaux thermales de la Butte-aux-Cailles.
La Presse — Lundi 23 novembre 1903
Paris possède depuis jeudi, dans le Treizième arrondissement, à la Butte-aux-Cailles, un puits artésien, dont le débit et la qualité de l'eau dépassent de beaucoup les puits existants jusqu'alors.

Nous avons pu rencontrer ce matin le sympathique conseiller municipal du treizième arrondissement, M. Henri Rousselle, sur l'initiative de qui les travaux avaient été poursuivis et qui, tout heureux du résultat obtenu, nous a donné sur le puits artésien de la Butte-aux-Cailles les renseignements suivants :
— Il y a très longtemps que l'on soupçonnait en cet endroit l’existence de nappes d'eau souterraines et dès l'année 1866, des travaux avaient été entrepris pour la perforation d'un puits.
La guerre, de 1870 les interrompit et ce n'est que vingt-deux ans après, sur la proposition de mon père, M. Ernest Rousselle, alors conseiller municipal du quartier, qu'ils furent repris.
En 1898, un premier résultat fut atteint à la profondeur de 571 mètres 10, on rencontra une nappe d'eau et le débit qui en provint se cubait par 800,000 litres par période de vingt-quatre heures.
C'était là un premier résultat très encourageant et les travaux continuèrent. Jeudi soir, enfin, ils atteignirent la seconde nappe à une profondeur de 582m. 05 et immédiatement l'eau jaillit avec une abondance extraordinaire, de telle façon que le débit se trouva porté à 70 litres par seconde, soit 6,000,000 de litres par jour et non 60,000 litres, comme l'ont indiqué certains journaux. Cette eau, qui atteint 28°, possède des qualités sulfureuses très appréciables ; voici, au reste, sa composition exacte par litre : chaux, 33 grammes ; matières organiques, 0,3 ; chlore, 7 ; azote, nitreux, 0,0, nitrique, 0,0 ; ammoniacal, 0,2 ; oxygène dissout, 3,2 ; résidu sec, 166 ; acide sulfurique 12.

II est inutile de vous dire quels services le puits artésien de la Butte -aux-Cailles va rendre à la population essentiellement ouvrière du quartier. Pour un grand nombre d’ouvriers, l’établissement de bains n’existe pas, d'abord parce qu'il coute trop cher, et, ensuite, parce qu'il n'a pu encore sa faire l’idée de se rendre dans une étroite cabine au confort souvent aléatoire.
La Ville de Paris à qui les travaux ont très peu coûté, va faire construire une piscine municipale dans laquelle toute la population du Treizième pourra venir, et nul doute que l’hygiène du quartier s’en ressente.
Mais là ne se bornera pas seulement l’utilité de notre puits ; son débit permettra d’adjoindre à la piscine un établissement de douches médicinales, et même à l’aide de canalisations faciles à établir d’amener l’eau ferrugineuse dans les asiles Michelet et Sainte-Anne où elle sera d’un précieux secours
Le débit de notre puits est tel que, depuis sa perforation, le puits artésien de la maison Say débite 102 litres de moins par minute.
En quittant M. Rousselle, nous avons pu, grâce à sa recommandation et à l'amabilité de M. Leroy, chef des travaux, à qui revient une bonne part de la réussite, visiter le puits de la Butte-aux-Cailles.
À quelques mètres du sol, l'eau jaillit avec force et avec une régularité parfaite, et l'odeur qu'elle dégage ne laisse aucun doute sur ses qualités ferrugineuses.

Sur le puits artésien de la Butte-aux-Cailles
Les travaux de creusement du puits artésien de la Butte-aux-Cailles durèrent globalement près de 40 ans dont 20 durant lesquels ils furent totalement à l'arrêt. Les travaux proprement dits commencèrent en avril 1863 et rencontrèrent de multiples difficultés qui ne permirent pas d'avancer significativement. La Commune de Paris n'épargna pas le puits et les communards incendièrent les installations. Après la Commune, les travaux reprirent mais s'interrompirent dès 1872 ou 1873 faute pour la ville de trouver un accord financier avec l'entrepreneur pour les travaux restant à accomplir mais aussi dans l'attente des résultats définitifs du creusement d'un autre puits artésien, place Hébert.
Première époque (1863-1872)
- Des nouvelle du puits artésien de la Butte-aux-Cailles (Le Siècle - 26 avril 1864)
- Le puits artésien de la Butte aux Cailles (Le Siècle - 27 aout 1865)
- Le puits artésien de la Butte aux Cailles (Le Journal des débats politiques et littéraires ― 18 septembre 1868)
Deuxième époque : le puits oublié (1872-1892)
Une fois les travaux interrompu, le puits artésien de la Butte-aux-Cailles tombe dans l'oubli.
Il faut dire que sa nécessité n'est plus évidente. Paris avait fait face à ses besoins en eaux et l'idée de base du
puits, avoir un jaillissement d'eau en un point haut de la capitale, n'est plus la seule réponse aux problèmes d'alimentation
en eau.
En 1889, le journal Le Figaro pose la question du devenir du puits sans susciter d'écho. En janvier 1892, c'est
le quotidien le Soleil, sous la signature de Marcel Briard, qui pose à nouveau la question mais cette fois,
une réaction semble s'enclencher.
Ernest Rousselle, conseiller municipal du quartier Maison-Blanche, se saisit de l'affaire et finallement, en juillet
1892, le préfet de la Seine décide de relancer les travaux et présente au conseil municipal de Paris un mémoire tendant
à la reprise des travaux interrompus depuis près de 20 ans.
- Le puits artésien de la Butte aux Cailles (Le Figaro - 12 septembre 1889)
- Le puits de la Butte aux Cailles (Le Soleil - 8 janvier 1892)
Troisième époque : reprise des travaux et l'inauguration du puits (1893-1904)
Les travaux reprirent donc début 1893 et dans les premiers jours d'août 1897, l'eau tant recherchée,
enfin, jaillit. Cependant, l'histoire n'était pas terminée car ce n'est pas encore la nappe d'eau visée par les géologues
qui a été atteinte. Il faut encore creuser. La presse se montre de plus en plus critique ou sacarstique à l'égard du
chantier car il est clair que le puits artésien, 35 ans après son lancement, ne répond plus à aucune nécessité. Tout
au plus, sont évoqués un usage pour améliorer le flux des égouts voire l'idée d'une piscine gratuite pour les habitants
du quartier.
Le 16 septembre 1898, la nappe recherchée est atteinte. Les espoirs sont vite déçus, le débit s'avère faible mais suffisant
pour la piscine projetée. En attendant, l'eau, à 28°, s'écoulait dans une vasque à disposition des parisiens à raison
de 600 litres à la minute avant d'aller se perdre dans les égouts. Le puisatier mourut. Deux ans après, sous la direction
du fils du puisatier, on se remit à creuser. Le 19 novembre 1903, une nouvelle nappe était atteinte à la cote 582,40
mètres. Cette fois, on décida d'arrêter les frais. L'inauguration officielle du puits eu lieu le jeudi 7 avril 1904
à 2 heures.
- Reprise des travaux à la Butte-aux-Cailles (Le Soleil - 19 janvier 1893)
- Un travail cyclopéen (Le Soleil - 27 janvier 1896)
- Le puits artésien de la Butte aux Cailles (Le Temps - 11 août 1897)
- Un travail cyclopéen (2) (Le Soleil - 24 août 1897)
- 1898, les travaux ne sont toujours pas terminés (Le Monde illustré – 1er octobre 1898)
- Le puits artésien de la Butte aux Cailles (Le Petit-Parisien - 22 octobre 1898)
- Pour prendre un bain (Le Temps - 24 juillet 1901)
- Un puits artésien (Le Français — 24 septembre 1902)
- Les eaux thermales de la Butte-aux-Cailles. (La Presse — 23 novembre 1903)
- Le puits artésien de la Butte aux Cailles (Le Petit-Journal - 22 décembre 1903)
- Inauguration - Discours de M. de Pontich, directeur administratif des Travaux de Paris, représentant le préfet de la Seine
- Inauguration - Discours de M. Henri Rousselle, conseiller municipal du quartier de la Maison-Blanche
- A propos de l'inauguration du puits artésien de la Butte-aux-Cailles (Le Voleur — 24 avril 1904)