Verlaine à la Butte-aux-Cailles
Le Rappel — 24 octobre 1905
Comme on le sait, c'est dans le minuscule square de la Butte-aux-Cailles que sera placé le buste du « Pauvre Lélian ».
Ce poétique coin de Paris est un peu un coin perdu, et lorsque je l'habitais, les amis avaient l'habitude de me railler :
— On n'habite pas un quartier pareil ! C'est hors Paris ! Il n'y a que des apaches, là-haut !
Qu'il y ait des « apaches », c'est indéniable. Mais ceux qui, chaque jour, viennent prendre le soleil ou « l'information » sur la place d'Italie sont-ils pires que ceux du « Sébasto » ?
Cette Butte-aux-Cailles, et tout ce quartier de la Maison-Blanche, constituent un des endroits les plus pittoresques de Paris et un de ceux qui offrent les plus beaux horizons.
C'est le matin qu'il faut aller dans ce mignon jardinet où va reposer l'effigie-de l'auteur des Chroniques de l'Hôpital ; il est presque toujours désert ; l'air y est pur, le silence animal. Parfois, en automne, quand souffle le vent tiède de l’Océan, on entend chanter les cloches graves de Sainte-Anne de la Maison-Blanche, et l'on se croirait dans quelque douce ville de province.
À côté, c'est le puits artésien, dont on a fort parlé l'an dernier, autour tout un réseau de rues curieuses que j'ai décrites en quelques articles, jadis, la rue du Moulin-des-Prés, la rue Michal, la rue Buot, la rue Martin-Bernard, la rue Vandrezanne ; au loin, c'est la colline mélancolique de Bicêtre, Villejuif… et la campagne.
Pour son sommeil de pierre, Verlaine ne pouvait rêver mieux que cet asile solitaire et paisible.