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 Condoyer - La capitale démanteliée - 2/4

La capitale démantelée

De porte en porte

Le Journal — 22 octobre 1930

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Dessin de Bognard.

Par un de ces beaux matins d'automne dont la lumière blonde s'ajoute à la rousseur des feuilles, je suis parti à la découverte de ce qui fut « les fortifs ». Dans ma candeur j'avais emporté deux plans. Mais l'un était trop vieux et l'autre trop neuf. L'un figurait le passé et l'autre l'avenir. Entre ces deux stades, il n'y a qu'un homme qui puisse percevoir le présent dans ses moindres transformations : c'est M. Doumerc, directeur du Plan de Paris. Car, en vérité, il ne pousse ou ne croule pas une maison dans Paris sans qu'elle ait sa répercussion en carré rouge ou bleu sur son plan. C'est donc à son obligeance que je dois de m'être orienté.

Ce fut un voyage kaléidoscopique. Dès la porte de Versailles, face à l'immense parc des Expositions qui a depuis longtemps fait oublier ici la vision des fortifs, les terrains plats s'étalaient jusqu'aux bâtiments de l'aéronautique. Au fond la banlieue de Vanves et d'Issy-les-Moulineaux se découpait en silhouette mauve. Mais bientôt tout s'effaça derrière une forêt d'échafaudages d'où commencent de sortir l'École supérieure d'aéronautique, des pâtés d'immeubles, et l'annexe de ce mystérieux bassin de la Marine où des maquettes de navires évoluent dans des tempêtes artificielles.

Passé le boulevard Victor, séparé du champ de manœuvres par une simple palissade, passée la Seine, un vestige de bastion longeant le boulevard Murât imposa l'arête rigoureuse de son redan sur une perspective enfumée de machines fouisseuses dominées par un héron d'acier qui pêchait du bout de son bec effilé des pierres d'une demi-tonne.

Façades nouvelles, palissades encore, échappées sur des rues dont l'alignement est gêné par quelque museau de maison condamnée à mort, premiers squares de la porte de Saint-Cloud et, soudain, tout s'éclaircit en une longue, simple et fraîche suite de tennis, de pelouses, de champs de sports qui faisaient alterner jusqu'à la moderne piscine de la porte Molitor leurs tapis vert tendre et leurs rectangles de terre teintée, semble-t-il, de cinabre. Tout ici respirait la joie de vivre et les libres jeux.

Dès lors, jusqu'à la Muette, au long du boulevard élargi, s'égrenèrent les hôtels blancs ou ocrés qu'on démaillote peu à peu de leurs échafaudages et que séparent des squares dont la verdure neuve tranche comme une couleur fraîchement peinte sur les frondaisons plus sombres du Bois.

Le Bois lui-même, derrière leur alignement, apparaissait débarrassé de ses futaies d'acacias embroussaillées : élaguée, ratissée avec des sentiers sinuant dans l'herbe comme des couleuvres, cette bande nettoyée formait une douce transition entre la ville et lui.

Les chantiers de la porte Dauphine remirent tout en confusion jusqu'à une alignée d'immeubles, nouveaux, bordés de jardinets qui tempéreront avec le temps ce que ces façades se haussant par décrochements peuvent avoir d'un peu frigide. Sans magasins sur une certaine étendue pour ne pas gêner le commerce déjà existant, puis, au contraire, truffés de boutiques là où le développement de ces voies nouvelles en imposera plus tard la nécessité, les immeubles cessèrent d'un coup. Aussitôt les échafaudages reprirent avec des intervalles où des miettes de fortifs évoquaient quelque tranchée éboulée.

Jusqu'à la porte de Saint-Ouen, l'Etat s'étant réservé le terrain pour ses aménagements militaires et ferroviaires, rien n'avait été touché. Mais de là jusqu'à la porte Clignancourt s'allongeait une cité énorme peuplée de 25.000 personnes et qui en recevra une dizaine de mille encore. Puis ce fut l'aspect classique des fortifs et le sinistre boulevard Macdonald car, comme l'Etat, les chemins de fer du Nord et de l'Est se sont réservé, pour leur extension et les travaux d'agrandissement de la gare de la Villette, toute une bande de remparts qui n'échapperont pas pour cela à leur destin.

Ensuite, plus de fortifs : un mur de soutènement pour la déviation du boulevard Sérurier, la palissade noire qui subsiste du temps du dérasement et que le voisinage exploite, l'hiver, comme bois de chauffage, la haute butte du Chapeau-Rouge qui deviendra l'un des plus beaux parcs de Paris, les terrains réservés par l'Etat. Les chantiers reparurent zébrés par tous les câbles électriques que nécessitent aujourd'hui les machines à perforer, défoncer, fouir et cimenter.

Une guirlande de curieux se déployait au long des boulevards ; devant le spectacle de ce travail, de ces bâtisses qui poussent par colonies, ils ouvraient des yeux comme les fenêtres sans volets des maisons expropriées sur la droite pour cause de non-alignement.

Plus loin monta le tumulte des chantiers de l'Exposition coloniale dont les silhouettes exotiques seront en leur temps remplacées par des immeubles à loyer modéré. Enfin, alternant avec des bastions à déraper, cernés par la fatale palissade, mais surtout avec des terrains nivelés où s'élèvent seuls des postes casernes condamnés, noirs et grilles closes, les chantiers me ramenèrent vers la Cité universitaire et, de là, vers mon point de départ.

Des manèges de chevaux de bois écrasaient leurs mélodies, des roulettes de loterie grinçaient tout au long du chemin. La fête s'allongeait sans vergogne et débordait dans les terrains libres. Car, s'il libère 376 hectares sur lesquels ont ainsi commencé de pousser les maisons qui abriteront 250.000 habitants, le dérasement des « fortifs » a, dès à présent, comblé d'aise les roulants. Cela, pour quelques années, va leur servir de fameux champ de foire.

Émile Condroyer.

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Sur la Zone...

Le commencement de la fin de la Zone

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Dans l’étau des grands buildings (Série d'articles de Pierre Humbourg - 1931)

Divers aspects de la zone dans les années 30

Les Zoniers

Faits divers

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Enceinte continue – rive gauche

Cette partie de l’enceinte, beaucoup moins avancée que celle de la rive droite n’aura guère que vingt-huit à trente fronts bastionnés. Elle commence à la dernière maison de la gare d’Ivry et s’en va aboutir à la Seine, un peu au-dessous du pont de Grenelle, vis-à-vis Auteuil. (1841)

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Les boulevards extérieurs et le boulevard du Transit dans le 13e arrondissement

La transformation des anciens boulevards extérieurs sur la rive gauche, entre l’ex-barrière d'Enfer et le pont de Bercy, est terminée dans la partie qui traverse le quatorzième arrondissement, et se continue à travers le treizième. (1863)

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Des nouvelle du puits artésien de la Butte-aux-Cailles

Nous avons déjà entretenu nos lecteurs des travaux du puits artésien qu'on est en train de creuser sur la butte aux Cailles dans le XIIIe arrondissement.
Ce puits étant arrivé à la première nappe d’eau, on vient d’y descendre une puissante cuve en fer du poids de 6 000 kilogrammes, destinée à maintenir cette nappe dans sa position souterraine... (1864)

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Une visite aux fermes de Paris

Nous sommes dans le quartier Croulebarbe. Passée la rue Corvisart, la Bièvre, invisible, sous nos pieds, nous empruntons la rue du Champ-de-l'Alouette un nom bien joli et nous voici dans la calme et pittoresque rue des Tanneries. Une vraie province... (1940)

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Travaux de Paris

À quelques pas du parc de Montsouris, dont les travaux sont poussés avec la plus grande activité, dans la partie du 13e arrondissement située entre la rue du Pot-au-Lait et celle de l’Espérance, s’étend une région inhabitée, encaissée entre la Bièvre et un autre bras de ce petit cours d’eau qu’on appelle la rivière morte. (1868)

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Saviez-vous que... ?

En 1863, le marché aux chevaux du boulebard de l'Hôpital se tenait le mercredi et le samedi de chaque semaine et le premier lundi de chaque mois.

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Henri Rousselle était conseiller municipal en 1915. Plus tard, il fut président du conseil général

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Le 3 octobre 1923, à 9 h30, le laboratoire municipal faisait enlever un obus de 37 en face du 88 de la rue de la Glacière.

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Le point culminant du sol naturel du 13e arrondissement dépasse légèrement les 63 mètres. Il est situé au milieu de la rue Vandrezanne. Le point le plus bas est sur les quais de Seine à proximité du pont National. Si l'on prend en compte les espaces situés au delà du périphérique, le point culminant serait situé avenue de la porte de Gentilly en lisièse de cette commune. Les prés submersibles de la Glacière étaient à une côte moyenne de 35,80 mètres.

L'image du jour

Le carrefour des Gobelins vu depuis le boulevard de Port-Royal.