UNE ÉVOCATION DU 13e ARRONDISSEMENT DE 1860 AUX ANNÉES 30

Le feuilleton

Episode # 53

III

Horizons bleus.

Le lendemain, dans l’après-midi, Berthe Percieux était assise devant sa maisonnette, à l’ombre de son buisson de rosiers.

Encore un peu pâle et languissante, elle était cependant presque remise des émotions terribles qui l’avaient agitée, le jour de son enlèvement, pendant qu’elle était prisonnière à la Maison-Blanche.

Ces émotions, qui pouvaient amener un retour de fièvre et lui donner un délire peut-être mortel, s’étaient apaisées beaucoup plus facilement qu'on ne l’avait espéré tout d’abord.

La joie d’être délivrée et surtout de devoir sa délivrance à son Jules, avait produit chez Berthe une réaction si vive et si profonde que les sources de la vie s’étaient rouvertes dans son âme et l’avaient animée d’une force de résistance inattendue.

Jules et Madeleine ne l’avaient pas quittée, pour ainsi dire, depuis son retour à la maisonnette. Ils étaient alors assis sur des chaises basses, l’une à sa droite, l’autre à sa gauche, et de ses bras qu’elle avait laissé retomber sur leurs épaules, dans une attitude caressante, elle les serrait contre elle pour leur montrer les gravures d’un volume illustré.

Perdue dans ses pensées, et les yeux fixés sur les fleurs de son jardinet, elle écoutait leur babil d’un air distrait et répondait quelquefois tout de travers à leurs questions, ce qui les faisait rire aux larmes.

Se sachant trop bien gardée maintenant pour que les agents de Marcel pussent renouveler leur tentative, elle goûtait pleinement la sensation douce que donne, après de grands dangers, la certitude de n’avoir plus à les craindre.

Si quelquefois une inquiétude lui traversait l’esprit, elle avait trait à Raulhac. Elle éprouvait une sorte d'intérêt pour cet homme qui, après lui avoir fait tant de mal, se dévouait avec une ardeur si grande et si peu de souci de lui-même, pour le réparer.

Il lui était pénible de n’avoir pas eu de ses nouvelles, ni de celles de Mazamet, depuis le moment où ce dernier s'était glissé tout effaré dans le jardin de Nivollet pour lui apprendre l’arrestation de son ami. Quoi qu’on eut fait pour le retenir, Mazamet s’était enfui quelques instants après en disant qu’il avait un moyen sûr de délivrer le prisonnier, qu’il allait y recourir sans retard, et il était allé chercher un refuge dans l’intérieur de Paris.

Berthe eût voulu savoir ce qu’il était de venu depuis lors, et si vraiment il travaillait à la délivrance de son ami.

Peut-être attendait-elle des nouvelles, car ses yeux, depuis quelques instants, se fixaient sur le sentier conduisant à sa maisonnette avec une persistance visible.

Enfin Nivollet y parut avec Férussac.

Après l’audacieuse tentative de Troussardière et de Marcel, Nivollet avait craint, s’il venait pour une cause ou pour une autre à disparaitre, de laisser Berthe à leur discrétion.

Voulant, sans plus tarder, lui assurer une protection qui pût, au besoin, remplacer la sienne, il avait, avec le consentement de la jeune femme, conté son histoire à Férussac, et tout ce qu’ils savaient sur le compte de Marcel y compris l’assassinat de Lucien Percieux.

Férussac, qu’il avait la veille conduit chez Berthe, avait promis de s’informer de Raulhac auprès d’un jeune magistrat de ses amis, attaché au parquet de la Seine et de leur communiquer ce qu’il en pourrait apprendre.

Il venait évidemment s’acquitter de sa promesse et la joie de le revoir, autant que l’appréhension de l’attente, avait empourpré les joues de Berthe.

Le jeune peintre lui avait été sympathique à première vue, et elle s’était vivement intéressée à son persévérant amour pour Valentine, lorsque Nivollet lui en avait raconté l’histoire.

Elle s’était levée, avait remis le livre d’images à Madeleine et avait envoyé les deux enfants continuer leur lecture dans la maisonnette.

Férussac et Nivollet avaient un air joyeux que Berthe remarqua sur la champ.

— Nous vous apportons des nouvelles qui ne vous satisferont pas entièrement, sans doute, mais qui sont de nature à vous rassurer, madame, dit Férussac après avoir salué Berthe et pour répondre aux interrogations muettes de son regard.

— M. Raulhac est remis en liberté ? demanda Bertha avec vivacité.

Férussac sourit.

— Il ne pourrait l’être déjà, même si son innocence était reconnue, dit-il, et il n’est pas probable qu’il le soit de sitôt, car il aggrave sa situation par son attitude, au lieu de l’améliorer.

Une expression de tristesse se répandit sur le visage de la jeune femme.

— Ne pourriez-vous donc, dit-elle, lui faire parvenir de bons conseils, afin de l’empêcher de se compromettre ainsi ?

— Ce sera l’affaire de son avocat, répartir Nivollet. Il ne faut pas vous en tourmenter.

— Je ne puis, je l’avoue, dit Berthe, m’empêcher de prendre intérêt à son sort quand je songe que c’est en partie pour moi qu’il s’est mis dans cette situation dangereuse.

— C’est avant tout pour lui, madame, répondit Férussac II ne faut pas vous abuser sur son compte. C’est un de ces hommes qui, dans la vie, n’ont d’autre loi que leur intérêt personnel.

— Ne me le noircissez pas, dit Berthe en souriant. Plus tard, quand il sera sorti de prison, si M. Mazamet parvient à l’en tirer, vous me direz de lui tout le mal qu’il vous plaira. Mais à présent, la seule chose dont je veuille me souvenir est l’intérêt qu'il m’a témoignê, et dont il vient de me donner une preuve si éclatante.

Férussac s’inclina.

— Vos scrupules partent d’un cœur trop généreux pour que je ne les respecte pas, madame, répondit-il. Je dois vous dire d’ailleurs que sa conduite actuelle, si elle aggrave sa situation présente, ne compromet en rien l’avenir, et n’ajoute aucune charge sérieuse à celles qui pèsent déjà sur lui. Il se pourrait très bien qu’elle ne fût qu’un moyen calculé de gagner du temps, afin de permettre à M. Mazamet de venir à son secours.

— Mais de quelle manière ? demanda Berthe.

— Nous l’ignorons, répondit Férussac.

— Mais vous savez, ma chère amie, ajouta Nivollet, que Mazamet en nous quittant nous a donné sur ce point des assurances positives. On peut, à cet égard, avoir pleine confiance en lui.

— Il a promis de plus, ajouta Férussac, de nous tenir au courant de tout ce qui surviendrait.

— Qu’a fait, en somme. M. Raulhac ? demanda Berthe a demi rassurée.

— Lorsque le commissaire de police l’a interrogé, il a répondu qu’il ne parlerait que devant le juge d’instruction. Conduit devant ce dernier, il a dit qu’il s’expliquerait à l’audience devant le tribunal.

— Qu’en est-il résulté ?

— Rien de grave. On l’a tout de suite envoyé à Mazas, où l’on compte que deux ou trois jours de détention le feront réfléchir et le décideront à sortir de son mutisme.

— On doit y être bien mal ?

— Non, dit Nivollet, les prisonniers y sont convenablement traités.

— En s’y rendant, ajouta Férussac, il avait un air indifférent, presque satisfait.

— Vous en êtes sûr ? demanda Berthe.

— Je tiens le fait de mon attaché au parquet à qui j'ai rendu, lorsqu’il faisait son droit, quelques services dont il est resté reconnaissant. Je lui ai dit, pour expliquer ma curiosité, que Raulhac était parent d’un de mes amis intimes, et il a mis d’autant plus d’empressement à me renseigner qu’il espère obtenir par mon entremise des informations dont on a, parait-il, grand besoin.

— L’affaire doit, en effet, paraître bien obscure, dit Nivollet.

— Elle excite au plus haut point la curiosité des magistrats et de la police.

— Les soupçons se sont peut-être déjà portés sur M. Percieux ? demanda Berthe avec une visible inquiétude.

— Non, madame, vous pouvez être tranquille à cet égard. M. Percieux a très habilement détourné les soupçons en révélant l’existence de la carrière au commissaire de police, qu’il y a conduit lui-même...

— Le malheureux ! s’écria Berthe en pâlissant. Il a eu cet horrible courage.

— Ç’a été son premier châtiment, dit Nivollet, et ce ne sera pas Sans doute le moins cruel.

— On a reconnu la parfaite exactitude des renseignements qu’il a fournis à la police, reprit Férussac. Les soupçons, d’ailleurs, ne s’arrêtent pas facilement sur un homme dans sa situation, quand rien ne les motive. Mais la découverte de cette carrière, dont on ignorait la conservation, et surtout les efforts inexpliqués de Raulhac pour y pénétrer, ont mis martel en tête à la police. Elle se demande si cette tentative ne se rattache pas à quelque crime de date ancienne, dont les auteurs seraient demeurés inconnus, et les plus fins limiers fouillent en ce moment leurs notes et leurs souvenirs. Ils y cherchent des indices de nature à les mettre sur la voie.

— Pourvu, dit Berthe, qu’ils ne fouillent pas aussi le souterrain !

— La même crainte m’est venue, et j’ai demandé à mon ami, sans paraître, d’ailleurs, attacher trop d’importance à la question, si l’on avait fait des recherches dans la carrière.

— Qu’a-t-il répondu ?

— Il s’est mis à sourire, et après avoir gardé quelques temps le silence, sans doute afin de faire comprendre que j’avais pénétré sur le terrain réservé au secret professionnel, il m’a dit : Quand on veut prendre les souris, on n’envoie pas les chats dans la souricière.

— Qu’entendait-il par là ?

— Il voulait dire que la police avait tendu dans les souterrains ce qu’elle appelle une souricière, c’est-à-dire qu’elle en faisait surveiller tous les abords par des agents cachés et qu’on ne voulait pas, par des fouilles prématurées, en écarter les personnes ayant intérêt à y venir et qu’on espère y prendre. La fuite de Mazamet a fait sup poser que Raulhac devait avoir des complices.

— Mais ces recherches, si on ne les fait pas tout de suite, on les exécutera prochainement, dans quelques jours peut-être, et l’on découvrira la vérité.

— Ce n’est pas douteux, repartit Férussac. Aussi, en sortant du Palais de Justice, me suis-je directement rendu chez un célèbre avocat, dont la probité n’est pas moins sûre que la science, et je me suis ouvert à lui comme vous m’aviez autorisé à le faire ; je lui ai tout confié. Il pense comme vous, madame, que des fouilles vont être, pratiquées très prochainement dans la carrière, et qu’il faut, de toute nécessité, amener d’ici là M. Percieux à composition.

— Mais comment ? dit Berthe.

— D’une manière très simple et c’est, à mon avis, le seul moyen praticable. Il offre d'aller trouver M. Percieux, de lui dire que ses secrets sont aujourd’hui connus, non seulement de Raulhac, mais de vous, de M. Nivollet et de moi, et qu’il nous suffit de dire un mot pour qu’on pratique des fouilles et qu’on s’assure de sa personne. Alors il le placera dans cette alternative, ou d’être publiquement déshonoré par un procès de Cour d’assises, qui peut lui coûter la tête, ou de se retirer à l’étranger, dans un de ces rares pays d’Amérique où l’extradition n’existe pas encore et d'y vivre, ainsi que Raulhac et Mazamet, d’une pension qui leur sera délivrée dès que, par des aveux écrits et complets, ils auront fourni à la justice les moyens de vous remettre, vous ci votre fils, en possession de votre état civil et de tous vos biens.

— Et vous croyez qu’il y consentira ! s’écria Berthe.

— Comment voulez-vous qu'il refuse ? L’alternative est telle que l’hésitation est impossible. Nous promettons d'ailleurs à M. Percieux — et la promesse sera scrupuleusement tenue dans votre intérêt plus encore que dans le sien — que votre réhabilitation se fera sans éclat et sans bruit et qu’afin de sauver l’honneur de son nom, les charges les plus lourdes, à part celle de l’assassinat de M. Lucien Percieux, qui sera passé sous silence, seront mises au compte de Raulhac et de Mazamet, qui ce nous refuseront pas ce dernier service et ce seront du reste généreusement récompensés.

— Mais, pour que M. Raulhac se réfugie à l’étranger, il faut d’abord qu’il sorte de prison, dit Berthe.

— Nous y avons songé, repartit Férussac et rien n'est plus facile. Si Mazamet ne réussit pas à le faire évader, il inventera pour se disculper, une histoire plus eu moins plausible à laquelle M. Percieux feindra de croire, et notre avocat se charge alors d'obtenir une condamnation légère dont il le fera gracier. Tout dépend maintenant d’une seule chose, de votre consentement.

— Et de celui de M. Percieux ? repartit Berthe.

 
(A suivre)

Ernest Faligan

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Saviez-vous que... ?

La rue située entre la rue du Château des Rentiers et la rue Nationale fut dénommée rue Deldroux, en 1888.
Deldroux était un canonnier qui, en 1871, préféra, mourir que de rendre sa pièce.

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C'est en 1888 que le conseil municipal de Paris décida que la nouvelle rue située entre la place de Rungis et la place du Nouveau Puits-Artésien, de la Butte-aux-Cailles, prendrait le nom de rue du sergent Bobillot.

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C'est le 17 septembre 1901 que fut inauguré le puits artésien de la Butte aux Cailles. L'histoire ne dit pas si ce fut en grande pompe.

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La rue Regnault dans le quartier de la Gare honore le peintre néo-classique français Jean-Baptiste Regnault (1754-1829) et non le peintre Henri Regnault (1843-1871), tué à la bataille de Buzenval, qui, lui, a sa rue dans le 14e arrondissement.

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Troupeau de bœufs, boulevard Arago