UNE ÉVOCATION DU
13E ARRONDISSEMENT DE 1860 AUX ANNÉES 30
Jeudi 30 juin 2022
Le 13e dans la littérature
Littérature
Bloc-Notes Parisien
Le père Hydrogène, chiffonnier
Au temps où je pratiquais Bartholle et Cujas, les chiffonniers étaient une des curiosités crépusculaires du quartier Latin. Nous habitions sur les hauteurs de Sainte-Geneviève, et ces hauteurs, entre chien et loup, se mettaient soudain à fourmiller d'êtres sombres, sordides, poilus, chevelus, bossus, sortis on ne sait d'où, allant on ne sait où et qui se répandaient dans les ténèbres. Le long des rues noires, leurs lanternes couraient comme des bluettes de feu le long d'un papier brûlé.
Un de ces chiffonniers surtout était un type. On l'appelait le père Hydrogène, corruption de Diogène. Il habitait à dix minutes du jardin des Plantes, à la barrière des Deux-Moulins, dans une cité dénommée la «Villa des chiffonniers». Cette cité existe encore, sans doute. C'était un ramassis de cabanes à lapins occupées par une populace en guenilles ― populace pauvre, honnête et vagabonde. Cette bohème crottée dormait le jour et vaguait la nuit.
Elle grouillait, aux rayons du soleil, à l'heure du coucher elle foisonnait, au clair de la lune, à l'heure du lever. De huit heures du soir jusqu'à minuit, cela travaillait à mort et, de minuit à cinq heures du matin, buvait à mort aussi.
Le père Hydrogène logeait dans une de ces lapinières et, dans cette lapinière, au fond d'un tonneau défoncé débordant de chiffons. Le tonneau du chiffonnier et sa gaie philosophie lui avaient valu son surnom de Diogène - devenu Hydrogène. Le père Hydrogène se blottissait tout entier dans sa futaille, car il était quoique bien moulé et bien musclé petit, petit, petit. Si petit qu'il n'avait pu, malgré ses efforts, atteindre la taille réglementaire au conseil de révision. Un fameux chagrin pour lui car, dans ce corps-là, la nature avait mis un patriotisme de grenadier et une humeur belliqueuse de coq. Il avait traversé les victoires et conquêtes de l'Empire, sinon soldat de fait, du moins soldat dans l'âme. Il ne parlait que de la France et de l'Empereur, et les arrosait fidèlement et quotidiennement l'un et l'autre plus que de raison. Si le chauvinisme était sa vertu par excellence, l'ivrognerie n'était pas son moindre défaut.
Chaque soir, la hotte au dos, la lanterne à la main et le crochet au poing, il s'en allait ― brûle-gueule entre les dents et bondé de sacré-chien ― de ci, de là, titubant, chassant sur ses semelles, ne s'en prenant à personne, mais apostrophant éloquemment les tas de balayures. Tout à coup, certain soir, un paquet blanc assez volumineux l'attira. II abaissa sa lanterne et reconnut un enfant nouveau-né. Est-il mort ou vivant ? Le chiffonnier allonge la main, le paquet vagit. Le père Hydrogène se redresse, déplace sa casquette et se gratte l'oreille. Il reste un moment perplexe et dégrisé. Mais une bonne idée lui est venue et il pousse un gros rire. Il relève le paquet, entre au mastroquet, s'ingurgite un verre de fil-en-quatre et biberonne l'enfant, comme il peut, d'une tasse de lait.
Le lendemain, le chiffonnier se présentait à la mairie avec l'enfant. Il conta son aventure. C'était un garçon; il l'adoptait et priait de l'inscrire. « Sous quel prénom ? — Napoléon, répondit-il pompeusement en levant sa casquette. Et sous quel nom? — Amblard, » dit Hydrogène. On rit autour de lui. Et laissa rire et remporta le marmot.
Et le voilà, dès lors, élevant Napoléon dans son taudis dans son tonneau. L'idée venue sur les épluchures au vieux chiffonnier était tout simplement superbe « Je n'ai pas pu être militaire je dois un tourlourou à la patrie. Vais-je être fier de voir ça en pantalon rouge et un pompon sur le nez? En attendant, faut le pousser. Une bouche de plus ? Bast ! part à deux, et en avant, marche ! »
Et, comme il avait résolu, il fit. Pour cela, il renonça à boire. L'argent des petits verres servit à acheter du lait, puis du chocolat, puis de la viande; car il faisait ponctuellement avancer le petit en grade d'un régime à l'autre. Le pauvre homme se mit à travailler comme un galérien et à tremper l'eau un doigt de vin comme un religieux. Il exécuta des miracles de tendresse et des prodiges d'économie. Il devint, au profit du petit Napoléon, tailleur, savetier, blanchisseur, que sais-je? Tout. Son gamin grandissait, très intelligent et fort gentil. Il le conduisait à l'école communale, où Napoléon remportait la croix. La croix ! Plus tard, il l'envoyait aux cours du soir. Lui couchait toujours dans son fût, avec les chiffons mais le petit garçon dormait dans un lit de noyer, avec des draps propres. Il mesurait continuellement l'enfant. «Pourvu qu'il ait la taille ! ― Oui, il aura la taille ! » ― Et il l'eut en effet.
Quand, en 1855, Napoléon eut la taille et dix-sept ans, il s'engagea sans regimber. Il n'avait jamais entendu causer que de bataille et exalter que l'Empereur.
Le petit soldat était rangé, discipliné, au régiment et affectueux pour son père adoptif. Napoléon eut bientôt les galons de caporal. À cette nouvelle, le père Hydrogène se permit « une culotte », bien que depuis dix-huit ans il fût resté inébranlable. Aux sardines de sergent, le chiffonnier, jubilant et rutilant, ne retrouvait ni son taudis ni son tonneau. Aux galons de fourrier, il crut que Napoléon deviendrait général et plus, peut-être comme l'autre on ne savait pas. Avec les galons de sergent-major, le chiffonnier, enthousiasmé, mijota quarante-huit heures dans le petit-bleu. Son enthousiasme fut tellement complet qu'il en pensa mourir.
— Pas de ça, Hydrogène, ronchonna-t-il. Tu dois vivre si tu veux voir le petit avec des épaulettes.
La guerre anglo-française contre la Chine avait éclaté. Napoléon faisait partie du corps expéditionnaire. « Le gamin a flanqué une raclée à l'armée chinoise à Pa-li-Kao, » racontait un jour le chiffonnier. « Le gamin vient de prendre Pékin ! » chanta-t-il bientôt.
Mais, plus de lettres et grande inquiétude à la barrière des Deux Moulins. Un matin, comme la foudre, y tomba un extrait mortuaire. Deux jours, le père Hydrogène resta dans son tonneau sans boire ni manger. La faim l'en chassa, méconnaissable, hâve, morne, taciturne. Il reprit sa hotte et recommença à vagabonder. Il n'avait plus les reins à la besogne, mais le cœur à l'ivrognerie. A quoi bon maintenant ? Il but, et vieillit étonnamment. Ce n'était plus qu'un spectre d'insecte nocturne ayant de l'osier pour carapace, un crochet pour bec et une lanterne pour œil.
C'est alors que je le rencontrais, battant les murs et rabâchant de Napoléon. Lequel ? On ne savait s'il voulait parler du grand Empereur ou de son petit sergent-major. Le père Hydrogène doit être mort. Brave et digne homme, allez ! J'y pense toujours avec émotion. J'ai enfin trouvé l'occasion de conter son histoire, et je me sens le cœur plus léger.
Il existe à Paris, dans les quartiers perdus, des rues mornes et désertes qu'on traverse avec un sentiment de stupeur.
Un instant plus tard, elle était dehors dans le terrain vague qui descendait en pente rapide vers la vallée de la Bièvre...
Un homme s'arrêta sur la route, près de Gentilly. Il considéra le paysage misérable et puissant, les fumées vénéneuses, l'occident frais et jeune comme aux temps de la Gaule celtique.
Si l'auteur nomme une poterne des Tilleuils, c'est bien de la poterne des Peupliers dont s'agit.
Un des coins de Paris, misérable et sinistre. La longée des fortifications plantées d'arbres en double ou triple rangée, le côtoie pourtant de verdures plaisantes durant la belle saison, mais, en réalité, sépare pour ainsi dire cette région parisienne du reste du monde. Du haut de la rue des Peupliers...
C'est là un quartier étrange, inconnu, à peine soupçonné de la part des Parisiens...
Où Emile Gaboriau fait découvrir le quartier Croulebarbe à ses lecteurs.
La cité Jeanne-d'Arc est ce vaste ensemble de bâtiments noirs, sordides et lugubres percés comme une caserne de mille fenêtres et dont les hautes façades s’allongent rue Jeanne-d'Arc, devant la raffinerie Say.
L'homme suivit d'abord la rue de Tolbiac, puis s'engagea par ces voies ténébreuses, bordées de planches, de lattes et de pieux, qui montent vers la Butte-aux-Cailles. Les oiseaux des réverbères dansaient dans leurs cages de verre. On apercevait des terrains fauves, des chaînes de bosselures, des rampes de lueurs, des phares dans un trou du ciel, et, du côté de la Butte, un nuage de feu pâle évaporé sur Paris...
Le 20 février 18.., un dimanche, qui se trouvait être le dimanche gras, sur les onze heures du soir, une ronde d’agents du service de la sûreté sortait du poste de police de l’ancienne barrière d’Italie.
La mission de cette ronde était d’explorer ce vaste quartier qui s’étend de la route de Fontainebleau à la Seine, depuis les boulevards extérieurs jusqu’aux fortifications.
Ces parages déserts avaient alors la fâcheuse réputation qu’ont aujourd’hui les carrières d’Amérique.
Si, par hasard, vous vous aventurez tout là-bas, là-bas, près des fortifications, dans le quartier de la Gare, vous pourrez, si vous passez rue des Chamaillards, voir, paisible, fumant sa pipe au seuil d'une grande porte peinte en marron, un homme frisant la soixantaine... (1896)
Un inconnu abordait, hier soir, vers quatre heures trois quarts, dans la rue Nationale, le sous-brigadier des gardiens de la paix Honoré Mariton, du treizième arrondissement, et lui déclarait : Je viens de tuer un homme qui m'avait emmené dans sa chambre, 1, cité Jeanne-d'Arc. Conduisez-moi en prison.
Six heures et demie du matin. Le gardien de la paix Louis Roupillon, du treizième arrondissement, vient de prendre son service à la poterne des Peupliers, tout là-bas, là-bas, derrière la Butte-aux-Cailles, sous le boulevard Kellermann. (1905)
L'homme qui, la veille, avait étranglé, cité Jeanne-d'Arc, le journalier Jean Guérineau, a consenti à dévoiler enfin son identité.
Il existe rue Cantagrel, au 86, presque à l'angle de la rue de Tolbiac, des ateliers de chromage et nickelage. Le bruit et les odeurs qui en émanent sont tels qu'il est pénible d'habiter dans les parages. (1932)
Le 7 avril dernier, dans l'après-midi, le sous-brigadier Mariton, de service rue Nationale, voyait venir à lui un individu en proie à une violente émotion et qui lui déclara :
— Conduisez-moi au poste, car je viens de tuer un homme qui m'avait emmené dans sa chambre, 1, cité Jeanne-d'Arc.
Le ballon « Le Rêve » partait dans l'après-midi d'hier de l'usine à gaz de la Plaine-Saint-Denis, pour exécuter une ascension libre. Pris dans un courant circulaire, l'aérostat, plana longtemps sur Paris, sans pouvoir s'élever. Vers huit heures du soir il se trouvait à une faible hauteur au-dessus du quartier de la Maison-Blanche, dans le treizième arrondissement... (1901)
Un brave égoutier, M. Pierre S... demeurant 27, rue Harvey, dans le quartier de la Gare, donnait, ces jours derniers, asile à sa nièce, une gamine, de seize ans et demi, Pauline Ohlmann, qui avait épousé, quelques mois auparavant, un charretier nommé Patural et l'avait quitté pour se soustraire à ses brutalités.
En parlant, l'autre jour, du projet de prolongement de la ligne métropolitaine n° 10, actuellement arrêtée à la station Jussieu, vers la gare d'Orléans, terminus envisagé, nous notions que les organisations consultées n'avaient opposé aucune objection à l'administration préfectorale.
Le Syndicat de défense des intérêts généraux du quartier de la Gare, cependant, nous prie de déclarer qu'il a protesté contre le parcours projeté dès qu'il en a eu connaissance. Le quartier de la Gare est le seul qui n'ait point le métro. (1932)
On sait peut-être que la cité Doré, près de l’ancienne barrière des Deux-Moulins, est un quartier composé de cahutes singulières, habitées par des chiffonniers. Quartier modèle s'il en fut... Sa population tient à ce que tout s'y passe pour le mieux, à ce que rien ne vienne entacher la réputation d'esprit pacifique...