Littérature

 La petite Miette

La petite Miette

par Eugène Bonhoure (1889)

TROISIEME PARTIE
La revanche de Furet

[...] En arrivant, au coin de la rue Jenner, il aperçut le vieux Poil-aux-Pattes qui accourait en gesticulant.

— Patron! patron! courez vite là-bas. On vous réclame. Il y a un malheur.

— Un malheur ! s'écria Furet.

— Oui, patron... La petite a disparu.

VI
Furet sur la piste

Furet partit tout courant. Il trouva Mme Reynaud folle de douleur et de colère. Elle parlait de s'adresser à la justice, de porter plainte. Puis, elle voulait courir chez Valdonnier. Si ce n'avait été son extrême faiblesse, elle y serait allée sur le champ.

— Attendons Furet, lui disaient Julie et la mère Fricotte. Quand Furet sera là, nous verrons que faire.

Le premier cri de Furet, en arrivant, fut :

— C'est ce bandit qui nous l'a reprise.

— Mais nous la lui reprendrons ! s'écria Marie. C'est ma fille, à présent et personne ne peut me la refuser.

— Sans doute, dit Furet. Mais il faut d'abord savoir où elle est. Comment a-t-elle disparu ? Quelqu'un a-t-il vu ce brigand… ou sa femelle ?

— Non, personne. La petite était allée chez le pharmacien porter l'ordonnance du docteur. Et elle n'est pas revenue. Alors, je suis allé voir. Le pharmacien m'a répondu qu'elle avait attendu un bon moment que la chose fût prête, mais qu'elle était partie déjà depuis une heure au moins. Et depuis personne ne l'a vue.

— Où demeure le pharmacien? demanda Furet.

Au coin de la rue Corvisart et de la rue Croulebarbe.

— Est-ce qu'il y a deux chemins pour y aller ?

— Oui, peut-être. on peut passer par le boulevard. Mais, c'est plus long. Elle a pris par la rue des Reculettes. C'est toujours par-là que nous passions quand nous y allions ensemble.

— Attendez-moi cinq minutes dit Furet, je vais voir.

Il revint au bout d'une demi-heure, un petit paquet à la main.

— C'est clair comme le jour, fit-il. Elle a été enlevée au détour de la rue des Reculettes.

— Comment le savez-vous ?

— Oh ! ça n'est pas bien malin. Ce méchant boyau de rue en zig-zag n'est pas balayé tous les jours, et il n'y passe jamais personne, ce n'est pas pavé, de sorte que les voitures et même les piétons y laissent leur trace. Je viens d'examiner la rue. Personne n'y est passé depuis l'affaire. Eh! bien, il est sûr que depuis plusieurs jours on vous guettait.

— On nous guettait ? Mais comment pouvez-vous le savoir ?

— Miette a été enlevée dans la rue et ceux qui l'ont enlevée, car ils étaient deux, un homme et une femme, ont stationné là longtemps et ils y sont venus plusieurs fois.

— Un homme et une femme ? M. Valdonnier et Sarah.

— Non, ce ne sont pas eux. Mais laissez-moi vous conter ce que j'ai vu, et vous comprendrez.

Au coin de la rue des Reculettes et de la rue de Gentilly, tout près du mur, il y a un endroit battu, où certainement on a monté la garde longtemps. Et c'est une femme, qui guettait. Cette femme, de temps en temps, probablement quand il venait quelqu'un, passait derrière le mur, dans le terrain vague qui est avant d'arriver au bout de la rue. Il y avait un homme, là, un homme qui fumait la cigarette, car il y en a des douzaines de bouts par terre. Et des cigarettes drôlement faites encore. Preuve qu'on a guetté longtemps. Et il y en a qui ont été mouillée par la pluie. Preuve qu'on guettait depuis au moins avant-hier, puisque c'est hier dans la nuit qu'il a plu.

L'homme est resté longtemps assis sur une grosse pierre et il s'ennuyait ferme. Il a creusé la terre avec son talon, à petits coups. Ça veut dire qu'on trouve le temps long à ce travail-là. D'ailleurs, il y a de la cendre de tabac, des allumettes et des bouts de cigarettes tout plein autour de ce caillou. L'homme est chaussé de souliers à clous et il a des guêtres. À chaque coup de talon, ses guêtres se marquaient dans la terre qui se soulevait et se tassait derrière son pied.

Il était là avant que Miette passât dans la rue. On voit ses pas qui viennent du côté de la rue Croulebarbe et, près du mur, Miette qui courait, a marché dessus. Elle courait puisque son talon est à peine marqué, et elle appuyait sur les pointes. Après que Miette a été passée, l'homme est parti, marchant très vite. La femme a dû suivre Miette. Elle est allée jusqu'au bout de la rue. L'homme est allé chercher une voiture — le fiacre 2135 —  et il l'a conduite au second tournant de la rue des Reculettes.

— Comment! vous savez le numéro du fiacre! Alors nous allons savoir où elle est ! s'écria Marie.

— Non, madame, non. L'homme a pris le fiacre, mais il n'a pas pris le cocher. Il a simplement emprunté la voiture pendant que le cocher déjeunait. J'ai su ça par le marchand de vin de la rue Croulebarbe. La voiture est restée là un bon moment. Le cheval a piétiné et l'homme a fait deux cigarettes. La femme montait la garde au coin de la rue Croulebarbe. Quand Miette est passée, en revenant, on a dû la prendre par surprise, parce qu'elle a traversé la rue pour aller jusqu'à côté de la voiture. Ses pas sont marqués dans la boue, au milieu de la rue. Et quand on l'a attrapée, elle a dû se débattre, car voilà le paquet du pharmacien qui a été jeté à quelques pas derrière la voiture.

— Elle a pu le jeter de dedans la voiture, voiture, qu'elle marchait.

— Non. La voiture est partie du côté de la rue Croulebarbe et le paquet se trouvait du côté de la rue de Gentilly. Et la voiture s'en est allée grand train. Elle a tourné dans la rue Croulebarbe et gagné le boulevard. Et là on ne voit plus rien.

—  Mais comment êtes-vous sûr que ce n'est pas M. Valdonnier et Sarah ?

—  M. Valdonnier fume le cigare ou la pipe et la Sarah n'a pas des pieds comme ceux de la femme, des pieds tout petits, chaussés d'escarpins sans talons. Et la femme est plus petite que Sarah.

— Ah! par exemple ! fit la Fricotte. Alors, on l'a vue !

— Non, personne n'a vu ni l'homme ni la femme.

— Alors comment pouvez-vous dire si elle est petite ou grande ?

— Pendant que la femme guettait au coin de la rue de Gentilly —  et elle a dû y guetter longtemps, pendant plusieurs jours elle s'appuyait contre le mur. Il y a de la mousse et de petites plantes, plein la muraille. Elle les a froissées, et elle a arraché la mousse avec ses doigts à l'endroit où elle a appuyé la main. L'endroit où son épaule a froissé les plantes est de quatre doigts plus bas que l'endroit où vient la mienne, même en me courbant, comme on fait quand on guette. La femme est donc plus petite que moi et comme Sarah est plus grande, ce n'est pas elle. D'ailleurs Sarah n'a pas ce pied là.

— Mais qui cela peut-il être. Qui donc a intérêt à enlever ma fille, si ce n'est M. Valdonnier.

— Ça, c'est autre chose. Que ce soit cette canaille qui ait fait faire le coup, c'est possible, c'est même probable quoique… peut-être… Mais ça c'est une chose que nous saurons quand nous voudrons. Il n'y a qu'à aller trouver M. Valdonnier.

— J'y allais, dit Marie.

— Ah! voilà… faut réfléchir un brin. Vous comprenez bien que s'il n'est pas venu la réclamer ouvertement, carrément, c'est qu'il se doute bien que vous avez fait ce qu'il faut pour ne pas la lui donner. S'il nous l'a fait voler, c'est qu'il savait bien que vous pouviez la lui refuser. Alors, naturellement, il a fait le coup en cachette. Il vous dira qu'il n'en sait rien. Il est capable de vous reprocher de l'avoir laissé enlever. Que sait-on ce dont ce gredin-là est capable. Et, sans vous faire tort, madame, vous n'êtes pas de force avec un filou comme celui-là. Il vous roulerait que vous n'y verriez rien... Et pourtant. il faut y aller, car il est bien clair qu'il ne viendra pas vous trouver. Ce serait vendre la mèche. Vous comprenez. Oui… il faut y aller. Mais. si vous voulez, madame, j'irai avec vous.

— Volontiers, j'allais vous le demander. Allons vite.

Plus avant...


Le 13e en littérature

Quartier Croulebarbe

La vieillesse de Monsieur Lecoq

par
Fortuné du Boisgobey

Connaissez-vous la rue du champ de l’alouette ? Il y a bien des chances pour que vous n'en ayez jamais entendu parler, si vous habitez le quartier de la Madeleine. Mais les pauvres gens qui logent dans les parages l'Observatoire et de la Butte-aux Cailles savent parfaitement où elle est.

(1878)

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Ruelle des Reculettes

Les Monstres de Paris

par
Paul Mahalin

Le noctambule par goût ou par nécessité — comme Paris en a tant compté depuis Gérard de Nerval jusqu'à Privat d'Anglemont — qui se serait aventuré, par une nuit boréale de novembre dernier, à l'une des embouchures du passage des Reculettes, y aurait éprouvé l'impression d'un rêve persistant à travers la veille, et s'y serait cru transporté dans ce monde de la chimère et du fantôme...

(1879)

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Quartier Croulebarbe

Robespierre

par
Henri-Jacques Proumen

Il pouvait avoir cinq ans, ce petit Riquet de la rue Croulebarbe. On lui en eût donné quatre tout au plus, tant il était fluet Son pauvre petit corps se dandinait sur deux longues pattes de faucheux qui prenaient assise dans deux godasses démesurées...

(1932)

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L'octroi de la porte d'Italie

Le drame de Bicêtre

par
Eveling Rambaud et E. Piron

Grâce à l'or du faux baron de Roncières, Paul apporta l'abondance dans la maison de la rue du Moulinet.
On y fit une noce qui dura huit jours.
Perrine avait déserté son atelier de blanchisseuse. Elle tenait tête aux deux hommes, le verre en main.

(1894)

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De la ruelle des Reculettes au passage Moret via la ruelle des Gobelins

Le faiseur de momies

par
Georges Spitzmuller et Armand Le Gay

Il était arrivé à l'angle pointu formé par la manufacture des Gobelins où la voie bifurquait ; à droite la rue Croulebarbe continuait, à gauche c'était la ruelle des Gobelins.

(1912)

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La Butte-aux-Cailles

Coeur d'enfant

par
Charles de Vitis

— Voyons d’abord du côté de la Butte-aux-Cailles, pour tâcher de trouver un logement.
Jacques connaissait l’endroit pour y être venu avec Fifine, une fois ou deux, du temps qu’il vivait chez ses parents.
C’était un quartier misérable situé à proximité de la place et du boulevard d’Italie ; on y arrivait par la rue du Moulin-des-Prés.

(1899)

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La cité Doré

Coeur d'enfant

par
Charles de Vitis

À la hauteur de la place Pinel et de l’abattoir, entre le boulevard de la Gare et le boulevard de l’Hôpital, s'étend un vaste terrain qui est loué par bail à divers locataires. Le type même de la saleté et de la misère imprévoyante se trouve dans le rassemblement de masures, coupé de ruelles en zigzag et qu’un hasard ironique fait appeler cité Doré. Les cours des miracles devaient être ainsi.

(1899)

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Saviez-vous que... ?

En 1887, Camille Claudel vivait dans un atelier loué pour elle par Auguste Rodin, la Folie Neubourg ou Clos Payen, 68 boulevard d’Italie, actuel boulebard Blanqui

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La maison qui, en 1900, était située au 68 du boulevard d'Italie, servait de dépôt au sculpteur Rodin.

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En 1911, selon Le Gaulois, on comptait onze ruelles dans Paris dont trois dans le treizième arrondissement : la ruelle des Gobelins, la ruelle des Kroumirs et la ruelle des Reculettes.

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En 1901, M. et Mme S..., marchands de beurre, habitaient 101, rue de Patay, un petit pavillon isolé.
Devant était un minuscule jardinet, sur les côtés un hangar, et, dans le fond, une remise et des écuries avec un mur de clôture séparant la propriété d’un terrain vague ayant vue sur la rue Albert et sur lequel on élèvait une maison, encore en construction.

L'image du jour

La folie Neubourg sur le boulevard Auguste Blanqui, déjà en partie démolie.