Littérature

 La petite Miette

La petite Miette

par Eugène Bonhoure (1889)

PREMIÈRE PARTIE
Histoire de trois enfants

1
Un père improvisé

Ce jour-là, 3 octobre 1886, le train express de Bordeaux — deuxièmes et troisièmes classes — avait eu plus d'une heure de retard et le service de l'arrivée s'en ressentait.

Dans l'agitation confuse du débarquement, dans la bousculade fiévreuse de la distribution des bagages, un petit groupe de trois personnes — une vieille femme et deux enfants — tournoyait presque au hasard, au gré des remous de la foule, sans direction apparente, visiblement désorienté, perdu.

La femme était vieille mais droite encore, de forte encolure, un peu massive, gauche d'allures et l'air très fatiguée du voyage. L'aînée des enfants pouvait avoir treize à quatorze ans ; la plus jeune huit ou neuf. La femme tenait à la main deux petits bouts de papier et regardait autour d'elle avec une expression marquée de désappointement et d'inquiétude.

La foule s'écoulait et la bonne femme donnait des signes de plus en plus visibles d'embarras et d'ennui. Pourtant elle se fit délivrer sa malle, appela un douanier.

— Qu'y a-t-il là-dedans ? fit le gabelou.

— Des vêtements, des papiers, toute notre fortune: quoi ! et pas de contrebande allez !

Le douanier soupesa la petite malle, puis la marqua d'un trait de craie.

— Restez-là dit la vieille aux petites filles. Je vais chercher une voiture.

Comme elle sortait, un homme en costume de garçon d'hôtel, avec une calotte sur la tête, une serviette roulée autour des reins, s'approcha d'elle.

— Vous ne trouvez pas les gens qui devaient vous attendre? fit-il avec un accent provençal très prononcé.

— En effet, répondit la femme… et ça me contrarie bien.

— Mais où allez-vous, madame ? Est-ce bien loin ?

— Je ne sais pas… Voici l'adresse.

— Oh ! c'est tout près, fit l'homme.

C'est la première fois que vous venez à Paris, alors ?

— Oui, la première fois. Mais… où sont les voitures, ici ?

— Les voitures ? Il n'y en a plus.

Seulement si vous voulez, je puis vous conduire. Il n'y a pas pour dix minutes de chemin.

— Mais… ma malle.

— Si elle n'est pas trop lourde, je la porterai bien. Ça sera toujours moins cher qu'une voiture.

― Je suis bien un peu fatiguée ; mais j'irai tout de même. La tête me tourne un peu de tout ce vacarme ; la marche et le grand air me feront du bien. Et toi, Miette ? tu n'es pas trop fatiguée pour marcher un peu ?

— Non, maman Coutard. Mais, dis, est-ce que nous serons bientôt arrivées ?

— Oui, mon enfant, dans dix minutes. Comme à Bordeaux, de la gare chez nous.

— Oh! bien, alors, j'irai. Viens, Julie.

Et Miette prit la main de Julie qui n'avait rien dit et qui, les bras ballants, semblait ne faire attention à rien.

L'homme prit la malle sur son dos et se mit en route. En sortant de la gare il prit le boulevard de l'Hôpital.

La ligne de tramways qui dessert aujourd'hui cette voie n'existait pas encore. Entre les deux murs nus de la Salpêtrière et du Jardin des Plantes, il y avait là, de la place Walhubert à la rue Jenner, un bon kilomètre de route déserte, sans une maison, sans un passant. Les quelques becs de gaz qui étaient censés éclairer cette solitude ne faisaient qu'en signaler l'étendue et qu'en augmenter encore l'obscurité.

― Ne marchez pas si vite, dit la bonne femme au commissionnaire. Les enfants ne peuvent pas vous suivre; ni moi non plus, du reste, j'ai les jambes brisées.

— Comme c'est noir ! maman Coutard, fit la petite Miette.

Et il n'y a pas de maison. C'est pas beau, Paris.

Malgré la recommandation de maman Coutard, l'homme allongeait le pas.

— Mais attendez-nous donc ! cria la mère Coutard d'une voix impatiente. Nous ne pouvons pas vous tenir pied.

— C'est que la malle est lourde fit l'homme qui, pourtant s'arrêta, non sans hésitation.

— Eh bien ! posez-la un moment. Ça me donnera le temps de souffler. Je ne sais pas ce que j'ai, moi, mais je n'en puis plus.

Et la pauvre femme, en effet, toute haletante, fit trois ou quatre pas, comme au hasard, battant l'air de ses bras.

— Ah ! Mais ! ah ! mais la tête me tourne. Ah ! je n'y vois plus.

Et, trébuchant sur un tas de cailloux au bord de la route, elle s'y laissa tomber, lourdement.

— Ah ! je me sens mal… je ne puis plus. Ah !... Miette… Julie... Ah !...

Elle se tordit dans une convulsion et glissa sur les pierres.

— Maman Coutard, oh ! maman! qu'avez-vous ? dites ! répondez !...

Pas de réponse. Un râle sourd, des mouvements convulsifs, un trépignement saccada. Miette, ses bras jetés au cou de la malade, la couvrait de baisers et l'appelait avec désespoir.

L'homme ne bougeait pas. Tout à coup, une voix jeune et vibrante s'entendit à quelque distance. Elle chantait:

…Ça va bien quand il fait beau, Mais s'il tombe de la pluie…

― Au secours! s'écria Miette… Au secours !

L'homme, rapidement, jeta la malle sur son épaule et partit, pressant le pas, courant.

— Hé, monsieur, attendez-nous ! Notre malle!... au secours ! criait Miette.

L'homme disparut au coin de la rue Poliveau. Miette, éplorée, revint à la pauvre femme, qui ne bougeait plus.

— Oh! mon Dieu !... mon Dieu !... maman Coutard, qu'avez-vous ? Pourquoi ne me répondez-vous pas ?

Des pas rapides s'entendirent. Une ombre s'allongea sur la route

— Qu'est-ce qui se passe donc ? fit la voix qui chantait tout à l'heure.

 

Plus loin...

 

Le 13e en littérature

Rue du Banquier

Madame Gil-Blas

par
Paul Féval

Le fiacre tournait court l'angle de la rue du Banquier.
Cela s'appelle une rue, mais c'est en réalité une manière de chemin pratiqué entre des murs de jardins. Il n'y a pas une âme en plein jour.

(1856)

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Barrière des Deux-Moulins

Les Chifffonniers de Paris

par
Turpin de Sansay

En suivant les rues Saint-Victor, du Marché-aux-Chevaux et de Campo-Formio, on arrivait à la barrière des Deux-Moulins, située de l'autre côté du boulevard extérieur.

(1861)

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Barrière des Deux-Moulins

Causerie d'un camarade

par
Jean Loyseau

Allez un dimanche, ou , même , un lundi soir , du côté de l'ancienne barrière des Deux-Moulins : regardez, respirez et écoutez, si vous en êtes capables , tout ce qui frappe à la porte de vos cinq sens : votre odorat percevra je ne sais quelle odeur nauséabonde et méphitique, dans laquelle se mêlent indistinctement la fumée de tabac ; les exhalaisons du cabaret, qui forment , à elles seules, tout un arsenal d'infection...

(1862)

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La Butte aux-Cailles

Les Loups de Paris

par
Jules Lermina

Il est sur la rive gauche de la Seine, au-delà de la rue Mouffetard et de la Montagne-Sainte-Geneviève, un lieu étrange, sauvage...

(1877)

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En remontant le boulevard de l'Hôpital

La petite Miette

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Eugène Bonhoure

Ce jour-là, 3 octobre 1886, le train express de Bordeaux — deuxièmes et troisièmes classes — avait eu plus d'une heure de retard et le service de l'arrivée s'en ressentait...

(1889)

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Rue des Cinq-diamants

La criminelle

par
Jules Lermina

Un plus érudit découvrira l'origine de ce nom singulier, la rue des Cinq-Diamants.
L'étude consciencieuse qui a été faite pour le vieux Paris tentera quelque explorateur des anciennes banlieues annexées : et quel champ plus vaste sera offert à sa curiosité que l'étrange et hideux quartier de la Butte-aux-Cailles ?

(1881)

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Butte-aux-Cailles

Les apaches de la Butte-aux-Cailles

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Lucien Victor-Meunier

Très peu de Parisiens, assurément, connaissent la « Butte-aux-Cailles ». C'est très loin, très loin, passé la place d'Italie, au diable dans ces régions où l'on ne va pas...

(1907)

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Saviez-vous que... ?

L'Hôpital de la Vieillesse pour femmes, autrement dit la Salpétrière, comptait, en 1860, 4422 lits dont 1341 pour les aliénées. En moyenne, par an, dans les années 1850-60 , 2100 aliénées y faisaient leur entrée et 800 y mourraient.

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La retraite du 21e régiment d'infanterie coloniale qui, le 22 mars 1913, passa par les rues de Patay, Jeanne d'Arc, le boulevard de la Gare, les rues Pinel, de Campo Formio, les avenues des Gobelins et de Choisy ne donna lieu à aucun incident.

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En 1930, la piscine de la Butte-aux-Cailles, l'une des rares piscines municipales de l'époque, exigeait de tout baigneur la production ou l'achat d'un morceau de savon.

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En juillet 1895, la petite Jeanne Monseux, âgée de 7 ans, se rendait comme chaque jour chez les époux Lorphelin demeurant boulevard Kellermann afin d’y nourrir leur chèvre qui, depuis quelques jours, affectait un comportement bizarre. Soudain, l’enfant se mit à crier. Les époux Lorphelin se précipitèrent dans la cabane et aperçurent la pauvre petite luttant désespérément contre la chèvre qui lui avait fait au visage et aux bras de profondes morsures, d'où le sang s'échappait.
Il s’avéra que la chèvre était enragée. Elle fut abattue.
Quant à la petite Jeanne, elle fut sans retard transportée à l'institut Pasteur.

L'image du jour

La rue du Château-des-Rentiers à la hauteur du n°169

Le passage Ricaud est immédiatement sous la droite après le marchand de vins.