UNE ÉVOCATION DU 13e ARRONDISSEMENT DE 1860 AUX ANNÉES 30

Le feuilleton



Episode # 48

XV

Pris au piège
(suite)

Tout occupés de leur travail, ses deux ennemis ne l’avaient point vu.

Un instant après, il avait disparu.

Arrivé dans le vestibule, il en ouvrit la porte extérieure avec précaution et fit un signe de détresse à l’un des agents, qui se tenait en observation à l’extrémité la plus proche de l’allée.

Un instant après, les deux hommes de Troussardière l’avaient rejoint.

— Vous entendez ce bruit ? leur dit-il. Ce sont deux des prétendus amis de notre prisonnière qui attaquent, dans la cave, la porte du souterrain, où sans doute ils la croient enfermée.

— Vous les avez vus ? demanda l’un des agents.

— Oui, tout à l'heure.

— Et la prisonnière ?

— Je ne sais ce qu'elle est devenue. Je ne suis pas encore monté au premier étage.

L’agent franchit en quelques bonds les marches de l'escalier.

Un instant après, il redescendait.

— La porte de la chambre est enfoncée, dit-il, le nid vide et l’oiseau envolé.

— Que font-ils alors dans la cave ? demanda Marcel avec vivacité.

— Je l’ignore, répondit l’agent. Vous devez le savoir mieux que nous.

Marcel avait haussé les épaules d’un air affecté :

— Tout cela ne serait pas arrivé, M. Percieux, reprit l'agent, si vous nous aviez laissés dans la maison, comme nous voua l’avons proposé.

— Je vous y aurais laissés, répartit Marcel d'un air irrité, si vous ne m’aviez pas affirmé que personne n’avait été témoin de l’enlèvement. On vous a vu et l’on est entré dans la maison par le chemin que vous avez pris vous-même.

Ni Marcel ni ses limiers n’avaient prévu l’intervention de Madeleine et de Jules, deux enfants.

Il y a toujours ainsi dans les plans les mieux combinés une part d’imprévu qui échappe à tous les calculs.

C’est la part de la Providence.

— Il ne sert à rien de récriminer, répartit le second agent d’un ton conciliant. Le temps presse, il faut adopter un parti. Que nous commandez-vous de faire, M. Percieux ?

— Vous le demandez ! s’écria Marcel. Mais de les arrêter. Vous avez vos revolvers

— Oui, monsieur.

— Moi, j’ai le mien. En route alors !

Et il se dirigea du côté de la cuisine.

Les deux agents de Troussardière étaient d’anciens soldats.

Ils suivirent bravement Marcel.

Le bruit avait cessé.

Fatigué d’avoir frappé si fort et si longtemps, voulant aussi s’assurer si ce bruit, tout souterrain qu’il fût, ne s’entendait pas au dehors, Raulhac s'était arrêté.

Tout en s’essuyant le front, il prêtait l’oreille.

— Il y a quelqu’un dans la cuisine, dit-il tout à coup en pâlissant. On vient d'y marcher, j'en suis sûr.

— Que faire alors ? dit Mazamet d’un air perplexe.

— Nous sauver si nous en avons encore le temps, et, si nous sommes attaqués passer sur le corps des gens qui tenteront de nous arrêter. Viens !

Il jeta ciseau et marteau sur le sol et s’élança dans le caveau, revolver au poing.

Au moment où il y débouchait avec Mazamet, Marcel y entrait par l’autre porte avec ses deux hommes.

— Sauve-toi, dit-il à demi-voix à Mazamet, et ne t’occupe pas de moi. C’est convenu, tu le sais ; tu sais aussi, si je] suis pris, ce que tu dois faire.

Mazamet, sans répondre, sauta sur la table, s’élança vers la lucarne et la franchit d’un bond désespéré.

Raulhac, pour couvrir sa retraite, s’était jeté, le revolver au poing, sur Marcel.

Mais avant qu’il n’eût le temps de presser la détente de son arme une main de fer lui servait le poignet ; deux hommes, le saisissant au corps, le renversaient sur les dalles et son revolver s’échappait de sa main détendue par la douleur.

— Ah !t c’est vous, misérable ! s’écria Marcel en feignant de reconnaître alors Raulhac pour la première fois.

— Oui, c’est moi, mon très cher, dit l'armateur d’un ton goguenard. Tu ne t'attendais pas sans doute à me rencontrer ? Ni moi non plus, je l’avoue.

— Vous ne vous contentez pas, parait-il, de faire du chantage. Vous entrez par effraction dans les habitations pour les dévaliser.

— Par effraction ? je le nie, dit Raulhac. Ce soupirail était ouvert, Et, ne t’en déplaise, ce n’est pas moi qui ai brisé certaine porte que tu trouveras ouverte là-haut.

Qui donc ?

— Tu es trop curieux, mon cher Marcel. Je ne saurais le dire.

— Vous entendez, messieurs ! s’écria Marcel en s'adressant aux agents. Cet homme vient de l’avouer lui-même, il savait qu’une porte avait été forcée au premier étage... Que veniez-vous faire ici ? ajouta-t-il d’un ton rude et menaçant ?

Raulhac ayant gardé le silence, il ajouta :

— Pourquoi ne répondez-vous pas ?

— Parce qu’à toi je n’ai rien à dire

— Si vous vous obstinez dans votre silence, je vais à l’instant même vous faire conduire chez le commissaire de police.

— Comme il te plaira. Mais tu perdras ton temps. Si je parle, ce ne sera que devant le juge d’instruction

— Soit, répondit Marcel. Quand il vous plaira de parler, vous me trouverez prêt à vous répondre

Il fit un signe aux agents, et, quelques minutes après, Raulhac, lié de ficelles, selon toutes les règles de l’art, était porté jusqu’au bout de l'allée, jeté dans un fiacre et conduit chez le commissaire de police.

 
FIN DE LA DEUXIÈME PARTIE
 


TROISIÈME PARTIE

I

La descente de justice.

Raulhac, dans la voiture, n’avait montré ni faiblesse ni colère.

Il promenait de Marcel aux agents un regard indifférent et tranquille, où passait quelquefois une nuance d’ironie.

Il faisait bonne mine à mauvais jeu et avec tant d’aisance et de naturel qu’une inquiétude vague commençait à tourmenter Marcel dans son triomphe.

Arrivé chez le commissaire de police, il ne nia rien, mais refusa de donner aucune explication sur sa conduite, se réservant, disait-il, de se justifier quand il comparaîtrait devant le juge d’instruction.

Le commissaire de police n’insista pas.

Mais il lui fit mettre les menottes et l’envoya au Dépôt, sous la conduite de deux agents, dans une voiture de place payée par Marcel.

Il poursuivit ensuite son enquête.

Avant de quitter la Maison-Blanche, Marcel et les deux agents étaient convenue de passer sous silence, dans leurs dépositions, tout ce qui avait trait à Berthe, et ils s’étaient soigneusement assurés qu’il ne restait pas trace de son passage à la Maison-Blanche.

Ils s’étaient entendus aussi sur la forme qu'ils donneraient à leurs dépositions, s’ils étaient interrogés.

Le commissaire connaissait Marcel de longue date et n’avait pas de motifs de le suspecter.

Il trouvait cependant le silence de Raulhac singulier et se demandait ce qu’il avait pu venir chercher dans cette maison inhabitée.

Aussi adressa-t-il deux ou trois questions à Marcel, en leur donnant la forme, non d’un interrogatoire, mais d’une conversation.

— Ces messieurs, lui demanda-t-il en montrant ses deux compagnons du regard, sont d’anciens agents de police entrés, si je ne me trompe, au service du directeur d’un bureau de renseignements, M. Troussardière ?

— C’est lui qui, sur me demande, les a mis à ma disposition.

— Pour garder la Maison-Blanche ?

— Oui, monsieur.

— Vous aviez donc des soupçons ?

 
(A suivre)

Ernest Faligan

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Saviez-vous que... ?

C'est en 1888 que le conseil municipal de Paris décida que la rue ouverte entre la rue de Tolbiac et la rue Baudricourt, prendra le nom de rue Larret-Lamalignie.
Larret-Lamalignie, capitaine de frégate, se fit sauter la cervelle plutôt que de rendre en 1871, le fort de Montrouge qu’il commandait.

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L'École Estienne est installée à son emplacement actuel depuis novembre 1889 mais n'a été inaugurée que le 1er juillet 1896 par le président de la République, M. Félix Faure.

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L'église Saint-Hippolyte, œuvre de l'architecte Jules Astruc (1862-1935), a été construite entre 1909 et 1924, grâce notamment à la générosité de la famille Panhard.

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Jusqu'en 1865, la rue de Patay (bourg du Loiret où Jeanne d'Arc défit les Anglais en 1429) portait le nom de boulevard de Vitry.

L'image du jour

La Bièvre au pied de la Butte-aux-Cailles.(Henri Godefroy, photographe)

Photographie originale sans date mais vraisemblablement autour de 1890 (CC0 Paris Musées / Musée Carnavalet)
Colorisation paris-treizieme.fr