UNE ÉVOCATION DU 13e ARRONDISSEMENT DE 1860 AUX ANNÉES 30

Le feuilleton

Episode # 55

IV

Où Mazamet débute dans un nouveau rôle
(suite)

À force de s'enquérir, Mazamet avait fini par apprendre qu’un de ses anciens matelots, complice de ses opérations de baraterie, était gardien à Mazas.

Blessé dans un de ces naufrages volontaires et dégoûté du métier, cet homme avait obtenu le poste de gardien dans les prisons de la Seine, grâce à ses bons états de service dans la marine de l'État.

Lorsque Mazamet lui eut fait part, à mots couverts, des projets et des craintes de Raulhac, il se mit entièrement à sa disposition.

Il venait justement d’apprendre que l’inspecteur de Mazas attendait, pour remplir une place vacante, un gardien de la prison d'Angers, qui devait arriver dans une huitaine de jours et dont il avait reçu déjà tous les papiers.

Il fut convenu que si Raulhac était pris en voulant pénétrer dans le souterrain, et conduit à Mazas, Mazamet s’y présenterait le lendemain, vêtu de l’uniforme de gardien, et muni d’une malle portant un numéro d’enregistrement de la gare d’Angers.

Toutes les mesures avaient été prises en conséquence, et c’était pour ce motif que Raulhac, surpris par Marcel, s’était laissé arrêter et avait, par un simulacre de résistance, assuré la fuite de Mazamet.

C’était dans la certitude de trouver des complices tout dévoués à l’intérieur de la prison qu’il avait puisé l’étonnant sang-froid dont il avait fait preuve en face de Marcel et qu’il avait exagéré d’ailleurs par bravade, afin d'inquiéter son ennemi.

De là aussi venaient ses refus de répondre aux questions du commissaire de police et du juge d’instruction.

Tout s’était d’ailleurs passé comme il avait été convenu.

Raulhac pris, le gardien complice de Mazamet s’était donné le soir même, grâce à un de ces remèdes dont certains matelots ont le secret, une fièvre violente qui devait le rendre, pendant plusieurs jours, incapable de tout service.

Mazamet, le lendemain malin, s’était fait conduire à la prison avec sa malle. Il s’y était donné pour le gardien d’Angers dont on attendait la venue.

Il avait dit que remplacé quelques jours plus tôt qu’il ne l’espérait, il avait cru bien faire en se rendant tout de suite à son nouveau poste.

Son costume, sa malle, prévenaient tout soupçon.

Comme on avait besoin de lui, d’ailleurs, on n’y regarda pas de trop près.

On l’installa tout de suite au poste du gardien malade, et, depuis la veille, il s’acquittait de ses fonctions à la satisfaction générale.

Il avait conquis, par sa bonne tenue et son respect des règlements, la sympathie de ses chefs, qui s’applaudissaient déjà d’avoir fait une si bonne recrue.

Son lit fait, le gaz éteint, Raulhac se coucha.

Il n’eut pas de peine à se tenir éveillé.

La fièvre de l’impatience bouillait dans ses veines et l’agitait sur son matelas.

À minuit il se leva. Il avait constaté que le surveillant de nuit, sa promenade réglementaire faite sur le balcon, se retirait ensuite à l’extrémité centrale de la galerie et n’en sortait plus qu’en entendant sonner l’heure suivante.

On sait que Mazas se compose de six ailes ou divisions partant d’un rond-point central et venant aboutir à l’enceinte extérieure en divergeant comme les rayons d’un cercle.

Un aile de la prison Mazas

Chaque division est double et chacune de ses parties comprend un rez-de-chaussée et deux étages de cellules reliés à la construction similaire par un toit vitré.

Pour que le jour puisse arriver jusqu’au rez-de-chaussée par ce toit et par le grand panneau vitré qui ferme extérieurement les galeries, il n'existe de planchers ni au premier ni au second étage.

Ils sont remplacés, de chaque côté, par un étroit balcon extérieurement protégé par une balustrade en fer, suffisant d’ailleurs pour accéder aux cellules et permettre aux gardiens et au chariot roulant sur des rails qui porte la nourriture aux prisonniers d’y circuler facilement.

Une coursive de la prison Mazas

Cette disposition, qui rend l’emprisonnement sûr et la surveillance facile, servait cependant Raulhac en ce sens qu’il entendait venir les surveillants et se trouvait à l’abri de toute surprise intempestive.

Située à la partie médiane de la galerie, sa cellule se trouvait assez loin du gardien pour que ce dernier ne pût percevoir, de son poste de repos, le bruit du travail secret du prisonnier.

Raulhac n’en prit pas moins les précautions les plus minutieuses pour en dérober les traces.

Construites sur un plan uniforme, les cellules de Mazas forment un carré long dont le plus grand diamètre va de la porte à la fenêtre.

L’ameublement en est succinct et la disposition facile à comprendre.

À droite de la porte, en entrant, se trouvent, superposées, les planches où le prisonnier, pendant le jour, range son hamac, son matelas et ses couvertures ; au-dessus, d’autres tablettes où il place les différents objets dont on lui permet l’usage ; dans l'angle droit, un bidon plein d’eau et dans l’angle gauche, le siège lui servant de cabinet, qui, de plus, est utilisé pour l’aération de la cellule, lorsque la fenêtre est close.

Enfin, à droite de l’entrée et à portée de la main, on a placé l’appel, planchette que le prisonnier peut, de l'intérieur de sa cellule, mettre en mouvement et faire saillir à l'extérieur s’il veut réclamer la visite du gardien, mais qu’un mécanisme ingénieux l’empêche ensuite de remettre en place.

De la paroi latérale gauche émerge le bec de gaz, et contre celle de droite sont posés une table scellée au mur et un escabeau retenu par une chaîne trop courte pour qu’on puisse l’approcher de la fenêtre.

Plus près de la porte, et de chaque côté, à un pied du plancher environ, se rencontrent deux crampons en fer. C’est à ces crampons que le prisonnier suspend, par des crochets, le hamac sur lequel il couche, et qui le place, au moyen de l'oculaire, petite lentille enchâssée dans le guichet, sous la surveillance directe du gardien.

Pratiquée tout au fond de la cellule, à la partie supérieure du mur, la fenêtre est extérieurement défendue par deux barres de fer transversales scellées au mur et dans lesquelles sont rivés les barreaux perpendiculaires qui ferment la baie ouverte dans le mur.

Cette fenêtre, d’une seule pièce et très ingénieusement combinée, eut mise en mouvement par une tige de fer Elle ne s’ouvre qu’à sa partie supérieure, en pivotant sur sa base, comme un compartiment de porte-monnaie.

Cette ouverture, dont l’écartement supérieur le plus large ne dépasse pas un pied, suffit amplement, du reste, au renouvellement de l’air, encore activé, pendant la saison froide, par une bouche de chaleur.

Elle est située de telle sorte que le prisonnier ne peut l’atteindre et se trouve dans l’impossibilité d’attaquer les barreaux extérieurs quand toutes choses sont, dans sa cellule, à l'état règlementaire.

Mazas est d’ailleurs si bien construit et surveillé qu’un prisonnier, réduit à ses propres forces, parvint-il à rouvrir les issues formées de sa fenêtre, serait, à moins d’avoir des ailes, dans l'impossibilité de s'évader de sa cellule.

La complicité d’un gardien ne lui suffirait même pas.

Il faudrait qu’il fût assuré de trouver à l’extérieur l'aide indispensable pour franchir les murs, autrement inaccessibles, de la prison.

Ces différents secours, Raulhac se croyait sûr de les obtenir, et bien que l’entreprise, même dans ces conditions presque impossibles à réunir, restât extrêmement difficile et compliquée, elle ne l'effraya pas.

Avant d’être armateur, il avait navigué, et de ces premières années de sa jeunesse, qui avaient été fort rudes, il avait conservé une audace, une souplesse et une patience sourde et tenace qui lui devaient être fort utiles dans la circonstance.

 Pour tout vêtement il avait sa chemise et son pantalon, qu’il avait conservé sous la couverture, et il demeura pieds nus.

Après avoir arrangé ses couvertures de façon que, le guichet, on pût croire qu'il s’y trouvait enveloppé, il se dirigea vers le fond de sa cellule.

Bien que toutes les tables doivent être règlementairement soudées au mur, il arrive souvent que les prisonniers brisent ces attaches, les trouvant incommodes.

La table de Raulhac était libre des siennes. Il l’avait reconnu dès son arrivée, et s’était gardé d’en rien laisser voir.

Il la prit et la posa sous la fenêtre, qu’il avait à dessein laissée ouverte.

En montant sur cette table et en étendant les bras, il put, sans peine, atteindre la grille à sa partie supérieure.

Il avait déposé ses outils à ses pieds.

Avec un des angles, adroitement manié, de ses tiers-points, il pratiqua sur la face intérieure du dernier barreau vertical, sur sa gauche, et tout à la partie supérieure, un trait mince, à peine visible, assez profond cependant pour retenir et guider les dents de la scie.

Il existait entre les barreaux un espace suffisant pour qu’il pût introduire et y faire jouer ses scies à métaux, dont l’armature solide, mais étroite, n’était pas éloignée de la lame de plus de deux ou trois centimètres.

Il en prit une et attaqua résolument la barre à l’endroit entamé déjà par le tiers-point, mais en mettant beaucoup de souplesse et de précision dans ses mouvements.

De l'index de la main gauche, appuyé sur le bord supérieur de la rainure, il suivait et dirigeait le mouvement de la scie.

Au bout de deux minutes, il s’arrêta pour écouter.

Le gardien de nuit n’avait pas fait un mouvement.

Évidemment, il n’avait rien entendu.

Encouragé par ce premier succès, Raulhac se remit à l'œuvre tout en ayant sans cesse l’oreille au guet.

La lune était alors dans son premier quartier.

Elle projetait dans la baie de la fenêtre assez de clarté pour que Raulhac put y diriger ses mouvements, mais trop peu de lumière pour que, du guichet, on pût le distinguer dans l’ombre épaisse qui remplissait le fond de la cellule.

Malgré la puissance de son outil, il lui fallût plus d’une heure pour scier le premier barreau.

La crainte d’éveiller l’attention l’empêchait de donner trop de vigueur à ses mouvements, et à plusieurs reprises il s'était arrêté, inquiété par des bruits partis sans doute des cellules voisines et qui faisaient courir des frissons nerveux dans tout son être.

Une fois même, ayant entendu sonner l’heure, il était descendu de sa table.

Il s’était glissé sous les couvertures de son hamac avec ses outils.

Il avait attendu, pour se relever, que le surveillant eut achevé sa promenade et que la ronde de nuit fut passée.

Lorsque le barreau fut complètement détaché de son attache supérieure, il prit du mastic dans ses doigts et l’appliqua tout autour du trait de scie, de manière à l’oblitérer complètement.

Puis recueillant, avec ses doigts mouillés de salive, la fine limaille de fer tombée sur l’appui de la fenêtre, il en frotta légèrement la surface de l’enduit et la brunit si bien que ses yeux, même fixés dessus, ne parvenaient pas à la distinguer du reste du barreau.

Son visage et son corps étaient mouillés de sueur.

Non que le travail fut pénible en lui-même.

Mais ayant été obligé de se tenir constamment penché sur la partie supérieure de la fenêtre pour atteindre le barreau, il était courbaturé par l’effort et l’émotion dont il n’avait pu se défendre ; la crainte continuelle d’être surpris avaient agité ses nerfs d’un léger tremblement qu’il ne parvenait pas à maîtriser.

Pendant une demi-heure, il demeura couché sur son matelas, afin de donner à son esprit et à son corps le temps de se rasseoir.

Puis il se leva et se remit à l’œuvre.

Le deuxième barreau de gauche, attaqué de la même manière que le premier, fut plus rapidement encore séparé de son attache supérieure.

Mieux au fait des difficultés du travail, Raulhac les avait plus facilement surmontées.

Comme il l’achevait, cependant, trois heures sonnèrent.

Il n’eût que le temps de gagner son lit et de s'y blottir, sous les couvertures.

Le jour commençait à poindre.

Se remettre en besogne, c’eût été s’exposer au risque, presque certain, d'être découvert.

Raulhac ne l’essaya pas.

Il ramena les couvertures sur sa tête et ne fit qu’un somme jusqu’à l'heure du lever.

 
(A suivre)

Ernest Faligan

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Saviez-vous que... ?

C'est en 1888 que le conseil municipal de Paris décida que la rue ouverte entre la rue de Tolbiac et la rue Baudricourt, prendra le nom de rue Larret-Lamalignie.
Larret-Lamalignie, capitaine de frégate, se fit sauter la cervelle plutôt que de rendre en 1871, le fort de Montrouge qu’il commandait.

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Au sein de l'hôpital de la Salpétrière, on remarque la jolie chapelle surmontée d'un dôme, que l'architecte Libéral Bruant bâtit en 1687.

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Avant de recevoir le nom de Paul Verlaine en 1905, la place Paul Verlaine était tout simplement appelée place du puits artésien.

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C’est en 1950 que le nom de Charles Moureu, qui fut professeur à la Faculté de Pharmacie et membre de l’Académie des Sciences, fut attribué à la rue de Gentilly, dans sa partie comprise entre l’avenue Edison et la rue de Tolbiac.
Lorsqu’en 1915, les Allemands utilisèrent pour la première fois les gaz asphyxiants, c’est au professeur Charles Moureu que l’on fit appel pour trouver la formule d’un gaz permettant à nos soldats de répondre par les mêmes armes à ce nouveau procédé d’agression.

L'image du jour

La Bièvre au pied de la Butte-aux-Cailles.(Henri Godefroy, photographe)

Photographie originale sans date mais vraisemblablement autour de 1890 (CC0 Paris Musées / Musée Carnavalet)
Colorisation paris-treizieme.fr