UNE ÉVOCATION DU 13e ARRONDISSEMENT DE 1860 AUX ANNÉES 30

Le feuilleton

Episode # 56

V

La tentative d’évasion

La journée du lendemain parut à Raulhac d'une longueur interminable.

À l'invincible ennui, à la torpeur douloureuse qui s’emparent plus ou moins de tout prisonnier pendant les premières heures de la détention cellulaire, s’ajoutaient chez lui la fièvre de l’attente et la crainte d’être découvert.

Il tremblait qu’on n’entrât dans sa cellule et qu’on n’y découvrit la rupture des deux barreaux si habilement dissimulée qu'elle fût.

Il appréhendait aussi d'être appelé chez le juge d’instruction, redoutant que, pendant son absence, on ne fît dans sa literie des perquisitions qui feraient découvrir, avec ses outils, sa tentative d’évasion.

Aucune de ces craintes ne se réalisa.

Il ne reçut point de visite et le juge d’instruction ne le manda point au Palais de justice.

Ce dernier attendait, pour tenter une seconde fois de le faire sortir de son mutisme, que sa force de résistance fût émoussée par quelques jours de solitude.

À l’heure du dîner, en venant reprendre la gamelle du prisonnier, Mazamet glissa par l’ouverture du guichet deux paquets volumineux que Raulhac s’empressa de faire disparaître, comme le précédent, en les glissant sous ses couvertures.

Ce fut le seul évènement de la journée.

Raulhac, le service terminé, avait ouvert les paquets.

Il y avait trouvé deux cordes à nœuds très fines, mais solidement tressées.

La première était étiquetée : fenêtre ; la seconde, mur d’enceinte.

À cette dernière, deux fois plus longue que l’autre, était fixé par une épingle un papier sur lequel Raulhac lut :

« Jeter la corde par dessus le mur. Quelqu’un se trouvera de l’autre côté pour la recevoir. »

Un éclair de joie brilla dans le regard de Raulhac.

Cet avis dissipait sa dernière crainte.

De deux à cinq heures, gagné par l’assoupissement qu'amène tôt ou tard l’immobilité, il fit, la tête appuyée sur ses mains, un long somme dont il se réveilla brisé, mais qui ce pendant avait retrempé ses forces.

Comme la veille, il se mit à l’œuvre à minuit.

À l’aide de la scie ou du tiers-point, il rompit ou descella toutes les attaches de sa fenêtre, dont il avait, le matin, reconnu la situation et attentivement examiné la force de résistance.

L’enlevant alors avec précaution, il la déposa sans bruit sous sa table, déjà placée dans la même situation que la veille. Ÿ

Puis il reprit sa scie et attaqua l’attache inférieure du dernier barreau situé sur sa gauche.

Tout le favorisait.

N’étant plus arrêté par l’obstacle de la fenêtre, il pouvait, sans se courber atteindre les barreaux, dont la partie basse, celle précisément qu’il allait attaquer, se trouvait juste à la hauteur de ses bras.

L’obscurité était encore plus grande que la veille.

Dans la soirée, un vent d’ouest s’était élevé.

Il soufflait maintenant en tempête et chassait devant lui de gros nuages noirs dont les masses pesantes roulaient de tous côtés dans le ciel et s'entrechoquaient lourdement.

À peine laissaient-elles filtrer çà et là, à travers leurs déchirures, des lueurs dont le reflet blafard éclairait vaguement la baie de la fenêtre.

Attaqués de la même manière, mais à leur partie basse, les barreaux déjà sciés la veille à leur partie supérieure, étaient, quelques minutes avant deux heures, complètement détachés de la grille.

Bien qu’il eût observé les mêmes précautions que la nuit précédente Raulhac, enhardi par son succès de la veille, pressé d’ailleurs par le temps, avait attaqué les deux barreaux d'une main plus vigoureuse et plus sûre.

Il avait mis aussi bien moins de temps à les rompre.

L’avance gagnée allait lui permettre d’exécuter, la nuit même, sa tentative d’évasion.

Après avoir placé les deux barreaux détachés du grillage sous la table, auprès de la fenêtre, il procéda posément, mais avec une attention minutieuse, à ses préparatifs de départ.

Il acheva de s’habiller.

Il eut soin, toutefois ; de ne pas mettre ses bottines.

Il les attacha solidement, de chaque côté de sa poitrine, sous sa jaquette, avec un foulard et des liens, et dans l’intervalle, il plaça le paquet contenant la seconde corde.

De ses outils, il ne prit que les tiers-points, auxquels il joignit la boule de mastic.

Du reste, il fit un paquet, qu'il jeta dans l’orifice du siège servant de cabinet.

Il ouvrit le paquet contenant la corde étiquetée : fenêtre.

Après avoir attaché solidement cette corde aux barreaux de la fenêtre restés intacts, il attendit le passage de la ronde de nuit dans les cours et les préaux.

Il attendit près d’une demi-heure.

Enfin, le pas lent et pesant du gardien résonna sous sa fenêtre.

Lorsqu’il eût vu disparaître la lumière de sa lanterne, et que tout bruit de pas se fût éteint dans les cours, assuré d’avoir une heure devant lui, il fit passer sa corde à travers l’ouverture béante de la grille, et la laissa tomber jusqu’à terre, avec des précautions infinies.

Cette corde était, nous l’avons dit, fine et résistante.

C’était une tresse de fil de chanvre d’une solidité à toute épreuve, offrant de deux pieds en deux pieds des nœuds à peine saillants, suffisants toutefois pour offrir un appui solide aux mains et aux pieds d’un ancien matelot.

Pendant quelques secondes encore, Raulhac prêta l'oreille afin de s'assurer que tout était tranquille.

Puis, saisissant les barreaux à deux mains, il s’enleva par un vigoureux et puissant effort, jusqu'à l’appui de la fenêtre.

Lorsqu’il l’eut atteint, il se replia sur lui-même et passa les deux jambes par l’ouverture pratiquée dans la grille.

Grâce à sa petite taille, il parvint, dans cette situation, à se tenir assis sur l’appui de la fenêtre.

Saisissant alors le barreau le plus proche, à quelques centimètres au-dessus de l'attache de la corde, il fit suivre à son buste, puis à sa tête, le chemin qu’avaient pris ses jambes, en les y aidant aux endroits difficiles, par de fortes pesées de ses bras et de ses mains contre la grille.

Quelques minutes après, son corps, privé de tout point d’appui, n’était plus retenu que par ses mains, convulsivement serrées sur le barreau.

La droite, un instant après, puis la gauche, saisissait la corde.

Il s'y trouvait suspendu dans le vide.

Deux ou trois craquements, perceptibles seulement pour son oreille, et qui le firent pâlir malgré toute sa résolution, se produisirent alors au point d’attache.

Puis ils s’arrêtèrent et la corde, soudainement tendue, devint immobile.

Évidemment, elle était de force à soutenir le poids qu’elle portait.

Raulhac, délivré de cette inquiétude, respira plus librement et se mit à descendre.

Il avait attaché la corde de telle sorte qu’elle était appliquée contre le mur.

Il était, grâce à, cette disposition, moins en évidence et pouvait, de temps en temps, arcbouter ses pieds le long de la muraille, ce qui soulageait d’autant la corde et le reposait lui-même.

Il descendait lentement, posément, en ayant soin de ne pas imprimer des secousses trop fortes à la corde, en évitant surtout de faire le moindre bruit.

Le vent, du reste, soufflait toujours avec la même violence, et couvrait de son bruissement la résonnance des chocs qui ne pouvaient être évités.

Arrivé au premier étage, Raulhac s'y reposa en posant les pieds sur l'appui de la fenêtre correspondant à la sienne.

Il y demeura quelques secondes immobile.

Mais, dès qu'il eut repris haleine, il repartit.

Lorsqu’il eut atteint la fenêtre du rez-de-chaussée, il saisit un des barreaux au passage, posa les deux pieds sur l’appui et ramena doucement la corde à lui.

Se redressant alors autant qu'il pouvait le faire sans détacher la main gauche du barreau auquel elle était cramponnée, il trancha cette corde au-dessus d’un nœud avec un de ses tiers-points.

Le tronçon inférieur, qu'il avait saisi, puis retenu à l'aide de ses dents, était long de trois à quatre mètres.

Il le laissa couler doucement jusqu’à terre.

Puis, se suspendant aux barreaux de la fenêtre, il lâcha prise et tomba sur le bitume, qui couvrait en cet endroit le sol du préau.

Le saut était de trois mètres au moins.

Mais Raulhac était leste et souple.

Il arriva sans encombre au pied du mur et à peine étourdi par la commotion de la chute.

Les ténèbres étaient si noires en cet endroit qu’il était impossible d’y rien distinguer.

En tâtonnant avec la main, il parvint vite, cependant, à retrouver sa corde.

Mais au moment où il étendait le bras, pour l’attirer à lui, une de ses bottines, que le contre-coup de sa chute avait déplacée, glissa de ses liens et tomba lourdement à terre.

Raulhac étant alors courbé très bas, le bruit de cette chute n’avait pas été très retentissant.

Mais, dans le silence de la nuit, les moindres bruits se répercutent avec une force qui en double l'intensité.

Le choc fut sans doute entendu au rez-de-chaussée de la division, car la voix d’un gardien de nuit s’éleva, grondeuse, et menaça d’une punition sévère le coupable qui troublait de la sorte le repos de la maison.

En même temps, un bruit de pas retentit dans le couloir.

Pelotonné sur lui-même, blotti dans l’ombre d’ailleurs impénétrable du mur, Raulhac attendait, plus mort que vif, la fin de cette algarade.

Elle ne se fit pas attendre.

Le bruit ne s’étant pas renouvelé, le surveillant regagna son poste.

Alors Raulhac remit sa bottine en place après l’avoir attachée plus solidement encore que la première fois.

Il roula rapidement son tronçon de corde, cause première de tout le mal, autour de son corps et gagna le promenoir du préau dont une dizaine de pas au plus le séparait.

Mazas a la forme d’un carré dont les côtés sont, à peu de chose près, de même longueur.

À l’un de ces côtés, celui qui regarde le boulevard Diderot, correspondent les bâtiments occupés par le directeur, quelques employés et les bureaux.

Vers les trois autres se dirigent, en divergeant, les six divisions, régulièrement espacées, qui partent du rond-point situé derrière ces bâtiments, et contiennent les cellules des détenus.

Par suite de cette disposition, les préaux compris entre les différents corps de bâtiments ont l’aspect d’éventails dont les côtés latéraux largement ouverts, dans la direction de l’enceinte, se touchent par la base.

Dans ces cours ou préaux sont situés les promenoirs, bâtiments très ingénieusement combinés, où les détenus, introduits les uns après les autres, circulent sans se voir.

Regardés de l’intérieur, ils ressemblent à d’énormes colimaçons.

Le reste de l’espace est vide, ou bien occupé par des jardins que les gardiens cultivent dans leurs moments de loisir.

Extérieurement, chacun d’eux est fermé par un mur assez élevé, qui relie l’une à l'autre les deux divisions et forme, avec leur façade la plus lointaine, la clôture extérieure de la prison.

Au delà se trouve le chemin de ronde fermé, du côté de la rue, par le mur d’enceinte.

Raulhac était descendu tout près du promenoir, sur les parties bitumées de la cour y donnant accès.

Il en connaissait la disposition.

 
(A suivre)

Ernest Faligan

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Saviez-vous que... ?

La rue située entre la rue du Château des Rentiers et la rue Nationale fut dénommée rue Deldroux, en 1888.
Deldroux était un canonnier qui, en 1871, préféra, mourir que de rendre sa pièce.

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L'église Notre-Dame de la Gare a été construite en 1855 aux frais de la commune d'Ivry

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L'orage remarquable par sa longue durée plus encore que par sa violence, qui éclata le lundi 23 juillet 1906 au soir sur Paris, causa beaucoup de dégâts. Dans le treizième arrondissement, la Bièvre, très grossie, sortit de son lit et inonda le passage Moret, dont les maisons ont dû durent être évacuées. Rue de la Glacière, 25, les ateliers de MM. Dufresne et Rommutel furent envahis par les eaux.

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En 1887, Charles et Alphonse Sécheresse, tous deux domiciliés 13 passage du Moulinet et tous deux marchands de vinaigre, constituaient une société en nom collectif ayant pour objet le commerce de marchand de vinaigre et de conserves. Alphonse en deviendra le seul propriétaire à partir de 1891. Plus tard, il sera condamné pour mise en vente d'huile falsifiée.

L'image du jour

Troupeau de bœufs, boulevard Arago