UNE ÉVOCATION DU 13e ARRONDISSEMENT DE 1860 AUX ANNÉES 30

Le feuilleton

Episode # 43

XIII
Le guet-apens
(suite)

Il devait, la nuit suivante, s’introduire dans la Maison-Blanche avec Mazamet et explorer attentivement le souterrain.

L’entreprise pouvait devenir très périlleuse, car si Marcel n’osait pas y pénétrer lui-même de peur d’être surpris dans son ténébreux travail, il devait en faire garder soigneusement les abords.

Aussi, Raulhac et Mazamet s’étaient-ils promis de s’y rendre armés jusqu’aux dents, tandis que de loin, Nivollet et Férussac surveilleraient les abords de l’habitation.

Berthe, qui le savait, était fort anxieuse de connaître les résultats de l’entreprise, et elle essayait alors, par son travail acharné, de tromper les angoisses de l’attente.

Elle était seule.

Jules était allé prendre son premier déjeuner chez Nivollet, et Madeleine ayant congé ce jour-là, qui était un jeudi, il devait passer avec elle la plus grande partie de la matinée.

Fatiguée de son assiduité, Berthe suspendit son travail pendant quelques secondes, et elle allait le reprendre lorsqu’elle aperçut une femme d'une quarantaine d'années, en cheveux et pauvrement vêtue, qui descendait précipitamment la pente de la Butte-aux-Cailles.

Voyant cette femme se précipiter vers sa maisonnette, en lui faisant signe de venir la rejoindre, Berthe se leva en palissant.

Elle était encore si nerveuse que la moindre inquiétude et même une surprise un peu forte, la remplissaient de crainte et lui donnaient des battements, de cœur

La pensée de Jules, absent depuis le matin, s’était présentée tout à coup à son esprit.

Elle courut à la barrière.

Comme elle y arrivait, cette femme la rejoignit.

— C’est y vous qui êtes la dame de M. Nivollet ? lui demanda l’inconnue d’un ton familier et grossier, en parfaite harmonie avec ses manières communes et son allure de chiffonnière.

Voyant Berthe rougir :

— Je veux dire, reprit-elle, la dame est la parente de M. Nivollet ?... Madame Berthe.

— C’est moi.

— Eh bien ! ma petite dame, c’est M. Nivollet qui m’envoie vous chercher. Il est arrivé un petit accident... Oh ! ce n’est rien, ajouta-t-elle en voyant Berthe obligée de s’appuyer sur la barrière, tellement elle était émue, et M. Nivollet m'a bien recommandé de vous dire de ne pas vous tourmenter. C’est à vous qu’il est, ce joli petit garçon de quatre à cinq ans qu’on voit toujours courir avec Mamzell Madeleine.

— Jules ! s’écria Berthe.

— Justement.

— Oh ! mon Dieu ! Que lui est-il arrivé ? Dites-le-nous, je vous en supplie, ne me faites pas languir.

— Rien de grave, je vous le dis... En jouant avec mamzelle Madeleine, il est tombé dans la Bièvre, et, comme on n’a pu le repêcher tout de suite, il a perdu connaissance. Mais ça n’était rien, et, à l’heure où je vous parle, il doit avoir déjà rouvert les yeux.

Berthe ne songea pas à l’invraisemblance de cette histoire.

Elle ne se dit pas que, si l’accident était arrivé, Nivollet, loin de l'envoyer chercher, se serait empressé de lui en taire la nouvelle, et ne la lui aurait apprise du moins qu’en lui annonçant le retour de l’enfant à la vie et à la santé.

Elle vit son Jules bien-aimé, son unique consolation en ce monde, évanoui, peut-être en danger, et, sans en demander davantage, elle se précipita hors du jardin, tête nue, oubliant tout, même de prendre des vêtements de rechange pour son fils.

En la voyant partir d'un pas si résolu et si précipité, l’inconnue ne put réprimer un mouvement -de joie.

— Bon ! murmura-t-elle, la voilà qui s’emballe.

Et s’apercevant qu’elle montait le chemin qui mène à la Butte-aux-Cailles :

— Pas par-là, lui cria-t-elle. Venez par ici, ce sera plus court !

En même temps, elle prenait un sentier aboutissant à une porte pratiquée dans la clôture, du côté de la rue de Tolbiac.

Avant qu’elle ne fut arrivée à cette porte, Berthe l’avait rejointe.

— Ne vous pressez pas tant, ma petite dame, lui dit-elle en la voyant marcher d’un pas si rapide qu'elle avait peine à la suivre. Nous avons le temps.

Mais Berthe ne l’écoutait pas.

Heureusement pour l’inconnue, la rue de Tolbiac, où s’élèvent à peine quelques maisons, était à peu près déserte à cette heure.

Les ouvriers qui la sillonnent le matin pour se rendre à leurs ateliers, étaient passés depuis longtemps, et midi n’avait pas encore ramené ceux qui retournent prendre leur déjeuner chez eux.

À peine s’y trouvait-il quelques gamins faisant l’école buissonnière.

Berthe passa devant les deux ou trois comptoirs de marchands de vins qui bordent cette partie de la rue, sans qu’on fit attention à son air égaré et à la rapidité de sa marche.

Après avoir dépassé la rue Barrault talonnée par l’angoisse et sentant qu’elle approchait, elle voulut prendre sa course.

Mais l'inconnue qui l'avait rejointe, l’arrêta, et lui montrant une brèche récemment pratiquée dans la palissade.

— Entrez par cette ouverture, dit-elle, vous éviterez le détour.

Berthe s’y laissa machinalement pousser.

Un grand carré de luzerne haute d'un pied environ s'étendait devant elle.

Un sentier passait à travers et le coupait obliquement.

Berthe voulut le prendre.

Mais, au moment où elle s'y engageait, deux hommes couchés dans l'herbe, auprès de la palissade, se précipitèrent sur elle, la saisirent chacun par un bras et l’entraînèrent rapidement dans les cultures.

Berthe avait été si saisie par cette brusque agression, que d'abord elle se laissa passivement entraîner.

Elle n’avait pas même eu la force de pousser un cri ;

Elle était d’une pâleur livide et un tremblement convulsif agitait ses membres.

Le premier moment de la surprise passé, elle chercha du regard la femme qui l’avait amenée.

Elle chercha vainement. L’inconnue, dès qu’elle l’avait vue au pouvoir de ces hommes, s’était enfuie.

Comprenant enfin qu’elle avait été victime d’une trahison, Berthe se débattit, essaya de s’arracher à l’étreinte des hommes qui l’entrainaient.

Mais ces individus qui portaient des jaquettes et des chapeaux mous et avaient la mise d’employés pauvres et solides et vigoureux.

D’une main ferme, sans violence, ils la maintinrent prisonnière, et l’un d’eux tira de sa poche un bâillon fait avec un mouchoir épais, le lui montra :

— Si vous résistez ou si vous crier lui, dit-il d’un ton poli, presque respectueux, vous nous mettrez, madame, dans l’obligation pénible vous appliquer ce bâillon et de vous entrainer de force.

La voyant trembler si fort, qu’elle avait peine à se soutenir, il craignit que l’épouvante ne lui fit perdre connaissance et il ajouta d’un ton plus doux :

— Vous pouvez nous suivre sans crainte, madame. Nous ne vous voulons point de mal et nous ne vous en ferons point. Nous voulons seulement vous empêcher d’en faire, ajouta-t-il en lui lançant un regard significatif.

Se sentant impuissante à se délivrer, Berthe ne prolongea point sa résistance.

Elle se laissa entrainer

Entre ces deux hommes qui marchaient à ses côtés d’un pas calme et posé et se contentaient de lui tenir chacun un bras, elle avait l’air, de loin, de ne subir aucune violence et de faire une promenade.

La présence d’esprit, sinon le sang-froid, lui étaient à demi-revenus.

S’étant vue trop loin des habitations pour qu’en criant et se débattant, elle pût attirer l’attention des personnes les plus voisines, elle était dit que mieux valait attendre une occasion plus favorable d’appeler au secours.

Mais cette occasion ne se présentait point.

Ses deux gardiens, ne se rapprochaient pas comme elle en avait eu l’espoir, soit de la rue Barrault, soit des usines du bord de la Bièvre, où les ouvriers sont souvent appelés pour leur travail hors des ateliers.

 
(A suivre)

Ernest Faligan

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Saviez-vous que... ?

L'église Saint-Hippolyte, œuvre de l'architecte Jules Astruc (1862-1935), a été construite entre 1909 et 1924, grâce notamment à la générosité de la famille Panhard.

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La rue Gustave Geffroy, avant de recevoir le nom de administrateur de la manufacture nationale des Gobelins, s'appela rue Léon Durand jusqu'en 1937. Cette rue fut créée en 1906.

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Alors que la voie de 15 mètres de large qui devait remplacer la ruelle des Reculettes dont la largeur variait de 2 à 7 mètres, aurait pu recevoir un autre nom, c'est sur l'insistance de la commission du vieux Paris pour conserver ce nom pittoresque cinq fois séculaire et sur l'intervention de M. Émile Deslandes conseiller municipal du XIIIè arrondissement que le conseil municipal de Paris décida, en 1930, de substituer simplement la dénomination de rue à celle de ruelle, pour constater cet élargissement décidé en 1910.

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En 1849, face à la barrière des Deux-Moulins, sur le territoire de la Commune d’Ivry, dans la rue principale qui allait devenir la rue Nationale, deux bals se faisaient concurrence : La Belle Moissonneuse au 31 (ancienne numérotation), propriété de M. Latruffe et La Belle-Jardinière exploité par M. Cudat qui fut remplacé par Le Grand Vainqueur.
Le bal de la Belle-Moissonneuse accueillit de nombreuses réunions politiques de 1848 jusqu’en 1876 et ferma ses portes peu après.

L'image du jour

La rue Baudricourt vue de l'avenue d'Ivry vers l'avenue de Choisy

Le côté gauche sur la photo a totalement disparu ; en revanche des immeubles ont subsisté sur le coté droit.