UNE ÉVOCATION DU 13e ARRONDISSEMENT DE 1860 AUX ANNÉES 30

Le feuilleton

Episode # 49

I

La descente de justice.
(suite)

— Il y a quelques jours, passant rue de la Glacière, je suis entré quelques instants dans mon habitation, ce que je n’avais pas fait depuis six mois au moins. Je remarquai, en traversant le jardin, des traces de pas sur l’herbe des allées. J’appris en même temps qu’on avait vu des individus assez bien mis, mais d’allures suspectes, rôder dans les alentours.

— Cela vous donna des soupçons ?

— Je me doutai tout de suite de la vérité. Ce Raulhac est armateur à Bordeaux. Ila été très riche ; mais, aujourd'hui, il est presque ruiné. Comme il avait eu à une certaine époque des relations d’affaires avec mon cousin Lucien, il a imaginé, pour sortir d’embarras, de recourir à mon crédit. Il m’a demandé de lui prêter une somme assez considérable.

— Dont le chiffre était ?...

— De cent mille francs.

Le commissaire de police fit une grimace significative.

— J’ai refusé, reprit Marcel. Alors, il a eu recours au chantage. Il m’a menacé, si je persistais dans mon refus, de révéler des secrets de famille que j’ai, croit-il, intérêt à ne pas ébruiter. Lorsque mon cousin Lucien est mort, des spéculations malheureuses m’avaient presque entièrement ruiné. J’avais dû, pour faire honneur à mes engagements, contracter des emprunts considérables. Lucien, l’ayant appris, m’avait écrit plusieurs lettres où il me reprochait assez vivement mon imprudence. Raulhac avait été, je ne sais comment, instruit de cette particularité.

— Votre cousin lui avait peut-être communiqué ses lettres, avant de vous les envoyer.

— J’en doute Lucien avait trop de délicatesse et de discrétion. Mais il a pu lui en parler incidemment et Raulhac, se méprenant sur leur importance, a cherché probablement à s’en emparer.

— Mais si c’était là le vrai motif de sa conduite, c’est dans votre hôtel du boulevard de Port-Royal qu'il aurait cherché d’abord à s'introduire.

— J’ai laissé à la Maison-Blanche beaucoup de vieux papiers qui me sont maintenant inutiles. Il a dû, je ne sais comment, en être informé, et il espérait, selon toute apparence, y trouver ces lettres. Ce qui me porte encore à le croire, c'est que ses recherches ont porté abord sur ma chambre à coucher.

— Vous en êtes sûr ?

— Il en a forcé la serrure. N’y trouvant pas ce qu’il y cherchait, il aura passé dans mon cabinet, avec lequel elle communique intérieurement par un cabinet de toilette, et aura fureté ensuite-par toute la maison. Arrivé dans la cave, devant la porte située tout au fond, ne pouvant deviner ce qui se trouve derrière, il aura voulu le savoir, et il a essayé de l'ouvrir, comme il avait ouvert celle de ma chambre à coucher.

— Il était seul, m’avez-vous dit ?

— Non. Il avait certainement un complice.

— Vous connaissez cet homme ?

— Oui, de vue : c’est un capitaine au long cours nommé Mazamet. Il avait placé toutes ses économies dans la maison de Raulhac, pour laquelle il naviguait, et il est comme lui réduit aux abois.

— Ainsi c’était pour les surprendre que vous aviez eu recours aux bons offices de M. Troussardière ?

— Oui, Monsieur.

— Vous aviez caché ses agents dans la maison ?

— Non, Monsieur le commissaire. Ces messieurs se tenaient dans l’allée qui conduit à la rue de la Glacière. Dès qu’ils ont vu Raulhac et Mazamet pénétrer dans la maison, ils m’ont envoyé chercher. Si vous étiez sur les lieux, vous comprendriez, sans peine comment les choses se sont passées.

Le commissaire de police était un homme d'une quarantaine d’années, à figure sérieuse, à mine intelligente et résolue.

— Il faudra que je m’y rende pour constater les effractions, dit-il. Nous pourrons y aller tout de suite, ni vous le désirez, M. Percieux.

— Je vous en serai reconnaissant, répartit Marcel avec vivacité. Je désire en finir le plus vite possible avec les formalités que cette sotte affaire va sans doute entraîner.

— Nous tâcherons de vous les ménager, répliqua le Commissaire en souriant.

Il s'était levé. Cinq minutes après, deux voitures de place l'emmenaient avec Marcel, son secrétaire et les deux agents à la Maison-Blanche

Pendant qu'ils traversaient l’allée, les agents firent voir au commissaire les endroits où ils s’étaient tenus en observation.

Arrivé devant la porte du vestibule, Marcel on présenta la clef au Commissaire.

— La serrure, dit ce dernier, ne porte pas de traces d’effraction.

— Ile ne l'ont pas ouverte non plus.

— Par où sont-ils entrés, alors ?

— Par ce soupirail, repartit Marcel en montrent l’étroit passage. C’est aussi par cette ouverture que Mazamet s’est enfui, lorsque nous les avons surpris.

Le commissaire examina, sans mot dire, l'herbe foulée tout à l’entour, puis il pénétra dans le vestibule.

Il ne s’y arrêta pas et gagna de suite le premier étage.

Il releva minutieusement toutes les traces d’effraction que présentait la chambre à coucher.

— Ce sont de bien maladroits voleurs, dit-il.

— C’était, selon toute apparence, leur coup d’essai, repartit Marcel en souriant.

— De quel instrument se sont-ils servis ? reprit le commissaire en regardant les agents.

— Nous l’ignorons, monsieur le commissaire, repartit l’un d’eux, celui que Troussardière avait appelé Bruneau. Nous n’avons rien trouvé, ni dans cette pièce, ni dans la cave.

— Peut-être Mazamet l’a-t-il emporté, fit observer Marcel.

Le commissaire de police fronça légèrement les sourcils.

Il n’aimait pas, et pour cause, qu'on lui suggérât ainsi les conclusions de ses recherches, et l’empressement de Marcel l’avait désagréablement impressionné.

Averti de son imprudence par un coup d’œil discret de Bruneau, Marcel se tint désormais sur ses gardes.

Après avoir soumis la chambre à coucher et le cabinet de toilette à une inspection attentive, le commissaire passa dans le cabinet de travail.

Marcel lui présenta les clefs des cartonniers et des bureaux.

Après les avoir ouverts, sur sa demande, il lui montra les liasses et les dossiers de papiers d’affaires, de lettres, de factures, dont ils étaient remplis.

— Voilà sans doute ce qui les attirait, dit-il. Je ne sais plus trop ce qui s’y trouve. Mais tous ces papiers sont sans valeur, et s’ils les ont examinés, ils ont pris une peine bien inutile.

— Les serrures n’ont pas été forcées, fit observer le commissaire de police.

Puis, après avoir examiné les clés, il ajouta :

— Il est vrai que ces clés se fabriquent à la mécanique, et qu’ils ont pu, sans peine, s’en procurer de semblables.

— C’est ce que me disait tout à l’heure un de ces messieurs, repartit Marcel en désignant le second agent.

Le commissaire examina, mais d’une façon très sommaire, le contenu des cartons et du bureau, puis il redescendit au rez-de-chaussée.

Il prit tout de suite le chemin de la cuisine, et s’arrêta seulement quelques instants dans le caveau pour se rendre compte de la disposition des lieux et de la manière dont Raulhac et Mazamet avaient dû pénétrer dans l’habitation.

La présence de la table et du banc lui ayant donné à cet égard, toutes les satisfactions désirables, il descendit à la cave.

Marcel l'y précédait avec une lanterne, celle-là même dont il s'était servi pour s'éclairer, le jour du crime. En la reconnaissant, il n’avait pu se défendre d’un frisson.

Mais ni son visage, ni son attitude n’avaient trahi son émotion.

Il conduisit le commissaire de police droit à la porte du souterrain.

Ce dernier l’examina d'un air surpris.

— Où donc mène cette ouverture ? demanda-t-il. Je m'explique à présent qu’elle ait intrigué vos visiteurs.

— Elle donne accès dans une carrière abandonnée, repartit Marcel.

Et le commissaire l’ayant regardé d’un air de plus en plus étonné, presque incrédule, il ajouta :

 
(A suivre)

Ernest Faligan

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Saviez-vous que... ?

La ruelle des Reculettes reliait le 49 de la rue Croulebarbe au 28 de la rue Abel-Hovelacque, ancienne rue de Gentilly. Sa largeur variait de 2 à 7 mètres. Elle était éclairée par des quinquets. Sa suppression fut décidée en 1910 mais celle-ci ne fut totalement effective que dans les années trente...

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En 1887, Camille Claudel vivait dans un atelier loué pour elle par Auguste Rodin, la Folie Neubourg ou Clos Payen, 68 boulevard d’Italie, actuel boulevard Auguste-Blanqui.

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La consécration de l'église Sainte-Anne de la Maison Blanche eut lieu le 24 octobre 1912.

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Les coordonnées géographiques de la mairie du 13e sont :
48° 49' 57.14" N
2° 21' 19.90" E

L'image du jour

La place Nationale vue depuis la rue Nationale vers le nord à l'angle de la rue du Château-des-Rentiers.

Initialement, la rue Nationale qui s'est développée progressivement à partir de la barrière des Deux-Moulins, soit face à l'actuelle place Pinel, n'allait pas au-delà de la place Nationale. Son extension vers les fortifications fut décidée dans les années 1860.