UNE ÉVOCATION DU 13e ARRONDISSEMENT DE 1860 AUX ANNÉES 30

Le feuilleton

Episode # 51

I

La descente de justice.
(suite)

Pour l’avenir, les lignes de son plan de défense étaient arrêtées déjà dans son esprit.

Une nuit, pendant que Richard, assoupi par un narcotique, dormirait d’un sommeil profond, il pénétrerait secrètement dans la Maison-Blanche, il se glisserait dans la carrière, il exhumerait les ossements de Lucien et les détruirait ensuite ou irait les enfouir au loin.

Puis il accuserait Mazamet et les autres complices de Raulhac d'avoir forcé l'entrée du souterrain afin de le compromettre.

Il pourrait d’autant mieux s'y risquer qu'il était couvert par la présence de Richard, dont le dévouement â Lucien était si connu et si admiré dans le quartier, qu'il avait été question, l’année précédente, de lui faire obtenir un prix de vertu.

Le vieux serviteur ne pouvant être accusé de complicité, les soupçons, forcément, s'éloigneraient de lui, Marcel, pour retomber sur les auteurs de la première effraction.

Il dîna de bonne heure pour réparer ses forces, écrivit une lettre assez longue à M. Fontanes, l'employé supérieur du ministère des finances qui soutenait sa recherche de la main de Valentine près de M. de Lasséran et mit sa lettre à la poste en allant à la Maison-Blanche procéder avec deux domestiques à l’installation de Richard.

Rentré à neuf heures, il se coucha sur le-champ et ne fit qu’un somme jusqu’au lendemain matin. Pendant qu’il s'habillait, son domestique lui remit une lettre apportée par un commissionnaire.

C’était un billet de M. Fontanes.

— Je viens d’avoir à l’instant, lui écrivait ce dernier, un assez long entretien avec M. de Lasséran. Toute mauvaise impression est, je crois dissipée ; mais je n’ai pu rien obtenir, sinon la permission pour vous de parler librement à Mlle Valentine. Partez au reçu de cette lettre. Mme de Lasséran sera prévenue et vous en ménagera l’occasion. Je n'ai pas besoin de vous recommander une prudence extrême et l'altitude la plus respectueuse.

Un éclair de joie traversa les yeux de Marcel.

Cette promesse dépassait toutes ses espérances.

Jamais il n’aurait osé la demander ni surtout croire qu’elle lui serait accordée.

Il acheva de s'habiller d'une main fiévreuse, prit à peine le temps de boire une tasse de chocolat et ordonna d’atteler.

— A la gare de Vincennes ! cria-t-il au cocher.

Et tandis que sa voiture l’emportait au grand trot dans cette direction, il s’étendit nonchalamment sur les coussins pour mieux réfléchir à ce qu’il dirait à Valentine.

II

Où Marcel Percieux trouve à qui parler.

Lorsque Marcel Percieux atteignit l’habitation de Mme de Lasséran, il pouvait être dix heures du matin.

Valentine se trouvait alors sur la terrasse.

Elle y lisait, assise à l’ombre du platane, sans se douter de la surprise désagréable qui lui était réservée.

Absorbée dans sa lecture et n’attendant personne, elle n’avait point surveillé le sentier conduisant à la maison, ni vu venir Marcel.

Avertie seulement de son arrivée par le bruit de ses pas sur l’escalier de la terrasse, elle leva la tête.

Marcel apparaissait alors sur les dernières marches.

En l’apercevant, elle ferma son livre et gagna d’un pas agile et léger le salon où naguère elle avait reçu Férussac. Mais Marcel l'avait vue fuir. Il s'empressa de l'y rejoindre.

Il l’atteignit avant qu'elle n'eût pu fermer la porte derrière elle et s'esquiver par une autre issue.

— Mademoiselle, dit-il en l'abordant d’un air respectueux et tendre, je vous prie d’excuser mon-indiscrétion. En tout autre circonstance, je ne me serais pas permis de troubler hier votre solitude, et j’aurais respecté désir que vous auriez manifesté d’être seule.

— Et que je manifeste encore, monsieur, repartit Valentine, fort étonnée et plus irritée encore de l’audace de Marcel.

Ce dernier ne parut plus l’entendre.

— Mais je désire depuis si longtemps vous rencontrer seule et vous parler à cœur ouvert, continua-t-il, que vous me pardonnerez, je l’espère, d’avoir saisi l’occasion qui se présente ce matin.

— Vous avez tort de l’espérer, monsieur, repartit sèchement Valentine. Je ne pardonne jamais les inconvenances, surtout quand elles sont aussi peu justifiées que la vôtre, et si mon père et ma mère n'étaient absents, je vous l’aurais déjà fait voir en me retirant auprès d’eux.

Marcel sourit.

— Vous le saviez ? reprit Valentine avec une irritation croissante.

Marcel protesta du geste.

— Si je le savais, dit-il, c’est que monsieur votre père l’avait appris à un de mes bons amis… et lui avait dit aussi, ajouta-t-il après un silence, que, si je vous rencontrais ce matin, il ne verrait aucun inconvénient à ce que je vous parle à cœur ouvert.

Valentine rougit de colère et de dépit.

— Si vous dites vrai, monsieur, répondit-elle, et je ne veux pas vous faire l'injure d’en douter, vous me mettrez dans l’obligation pénible de vous déclarer qu’en demandant cette autorisation, vous avez pris une peine fort inutile.

— Permettez-moi d’en douter, mademoiselle, au moins tant que vous ne saurez pas ce que j'ai l’intention de vous dire.

Et il reprit avec une émotion qui n’était qu’à moitié feinte

— Il m’a semblé, mademoiselle, que vous aviez contre moi des préventions que je n'ai rien fait pour justifier et qui se sont traduites plus d’une fois par des paroles ou des procédés dont j’aurais pu justement m’offenser, si je n’eusse été résolu d’avance à ne jamais prendre en mauvaise part ce que vous pourriez lire ou faire.

Cela semble vous inquiéter assez peu, reprit-il pour répondre à un geste de Valentine, exprimant la plus parfaite indifférence. Je ne suis pas aussi insensible que vous, car je tiens à votre estime, et j'avais cru que l’affection vive et sincère que je vous ai vouée aurait éveillé en vous d'autres sentiments. Ceux qu’en toute circonstance vous me laissez entrevoir me causent une peine très grande. L'impatience et, permettez-moi de vous le dire, l’irritation que semblent vous causer mes attentions les plus naturelles, mes politesses les plus acceptables, me font craindre qu’en ne vous ait indisposée contre moi.

— On ? dit Valentine en répétant le mot d'une voix ironique et vibrante. Qu’entendez-vous par là, Monsieur ?

Marcel s’apprêtant à poursuivre sans lui répondre, comme il l’avait déjà fait une fois, elle reprit d’an ton impérieux où perçait une indignation contenue :

— Je vous déclare, monsieur, que si vous n’expliquez pas cette insinuation d'une manière satisfaisante, je refuse d’entendre un mot de plus.

Marcel, assez décontenancé de cette mise en demeure à laquelle il ne s’attendait pas, reprit d’un ton insinuant et doux :

— Vous vous offensez trop vite, mademoiselle, et permettez-moi de vous le tire, tout à fait a tort. J’ai voulu simplement exprimer cette pensée bien légitime assurément, qu’il se trouvait peut-être dans votre entourage des personnes mal disposées envers moi qui vous ont fait partager leurs préventions, et comme je ne les connais pas, j’avais, pour les désigner, employé le mot qui vous a froissée.

Valentine ayant gardé le silence, il reprit :

— C’est de cette crainte qu’est né chez moi le désir, bien naturel, il me semble, d’avoir un entretien qui serait en même temps une explication.

— Cette crainte n’est pas fondée, monsieur, je dois vous où prévenir tout de suite, répartit Valentine avec une douceur légèrement ironique. ce que je puis penser de vous, et cela se réduit à bien peu de chose, personne, je vous l’affirme, ne me l’a suggéré, sinon vous, par vos paroles et par votre conduite.

— N'importe, répartit Marcel, avec vivacité, car il ne pouvait se défendre d’un certain dépit en voyant toutes ses tentatives se briser contre un parti pris qu’il sentait invincible. Je n’ai pas voulu que vous me condamniez sans m'entendre.

Dans l’antipathie que vous me manifestez et qui semble aller quelquefois jusqu'à la répulsion, il se trouve, j’en suis persuadé, des malentendus faciles à dissiper et que je ne veux pas laisser subsister davantage. Il n’y a rien, dans ce que j'ai l’intention de vous dire qui puisse vous blesser, et je vous prie d’avoir la patience de m’écouter.

 
(A suivre)

Ernest Faligan

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Saviez-vous que... ?

En 1930, les Primistères parisiens avaient des magasins aux adresses suivantes : Rues, des Cinq-Diamants, 33 et 56 ; du Château-des- Rentiers, 54 et 135 ; Bourgon, 19 ; Nationale, 151 ; du Moulin-des-Prés, 9 ; de Patay, 92 ; Albert, 67 ; Baudricourt, 75 ; avenues : d'Italie, 52, 100, 198 et 180; d'Ivry, 41 ; de Choisy, 39 ; de Tolbiac, 169; boutevard de la Gare, 132 et 171.

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En mars 1897, M. Yendt, officier de paix, était nommé commissaire de police des quartiers de la Salpêtrière et de Croulebarbe, en remplacement de M. Perruche, admis à faire valoir ses droits à la retraite.

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Le 1er mars 1932, l'usine de chaussures (qui répandait aux alentours de manière permanente une odeur de vernis) installée boulevard Kellermann (au 10) était ravagée par un incendie.

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La rue Baudricourt honore Robert de Baudicourt, capitaine de Vaucouleurs, compagnon de Jeanne d'Arc.

L'image du jour

L'avenue des Gobelins vue vers la rue Philippe de Champagne

L'ilot formé par l'avenue des Gobelins, la rue Coypel, la rue Primatice et la rue Philippe de Champagne occupe le site du marché couvert des Gobelins ouvert à la fin des années 1860 et fermé à l'orée du 20e siècle au profit du marché de plein-air du boulevard Blanqui.