La chasse aux loups
Gil-Blas — 19 octobre 1896
Hier, vers cinq heures du matin, tandis que le soleil, qui a le réveil mauvais en ce moment, risquait sa première grimace à travers la brume du ciel, les gens qui passaient boulevard de l'Hôpital, ouvriers se rendant à leur travail ou chiffonniers occupés à éplucher les boîtes à ordure, furent soudain surpris d'entendre une fusillade qui crépitait à côté d'eux.
Au même moment surgissait, les cheveux au vent et l'œil hagard, un individu armé d'une carabine dont il canardait de droite et de gauche en criant :

— Hurrah ! encore un d'abattu ! à mort les sales bêtes ! Bonne chasse, petit père !
Épouvantés, les passants se garèrent sous les portes entr'ouvertes : mais une pauvre vieille chiffonnière, la femme Florentine Malphes, ne fut pas assez agile, et une balle vint la frapper à la cuisse. Attirés par ses cris et par le bruit des coups de feu, des agents accoururent et s'emparèrent, non sans peine, du forcené, qui fut conduit au commissariat de M. Perruche.
Là, le malheureux se mit à divaguer : « Qu'est-ce qui m'a f... des gardes-chasse comme ça, dit-il en montrant le poing aux agents : vous savez que je ne suis pas un braconnier. Je suis chargé par le Tsar de tuer tous les loups que je rencontrerai. La preuve que je suis en règle, c'est que j'ai un ukase sur moi. » Et le pauvre fou montrait une image sur laquelle apparaissaient les armes de Russie.
Cette nouvelle victime de la « folie russe » qui a fait de grands ravages ces temps-ci, un nommé Juniau, ouvrier ferblantier, demeurant rue Pinel, a été envoyé à l'infirmerie du Dépôt.
Deux, trois jours auparavant le Petit-Pariien avait livré une version légèrement différente de ce fait-divers à ses lecteurs
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La « Folie russe »