Littérature



DEUXIÈME PARTIE

Sur la piste

XIX
Dans la gueule du loup
(suite)

Précédemment

D'un bond en arrière, il alla s'accoter contre une encoignure, et d'un geste rapide comme l'éclair il tira son revolver. Les assaillants reculèrent un instant, intimidés par ce petit trou noir du canon de l'arme dirigé sur eux… Mais il était à prévoir que ce n'était là qu'un succès passager, car d'autres revenaient à la charge, armés eux aussi de brownings. La partie était trop inégale, le brave policier devait succomber.

L'homme rouge fit entendre alors un ricanement sinistre qui sonna aux oreilles de Sébastien comme un glas, et le saluant avec une courtoisie férocement narquoise, il lui jeta ces paroles ironiques en manière d'adieu ou d'oraison funèbre :

— Au revoir, monsieur Sébastien Blanc, dans un monde meilleur... Dépêtrez-vous de là comme vous pourrez... c'est pas faute d’vous avoir prévenu, et sans mentir vous le l'avez pas volé…

La parole lui fut coupée par la grosse femme du comptoir qui cria d'une voix enrouée :

— Acré !.... acré !... les enfants… v'la les flics !

Ces mots eurent un effet magique. Le cercle menaçant se desserra et s'éparpilla somme une volée de moineaux effarouché enfermés dans une grange et qui cherche une issue pour s'échapper.

Ce fut un sauve-qui-peut général, une ruée furieuse vers une petite porte du fond, trop étroite pour la bande affolée qui eût voulu sortir d'un seul coup. Mais les hommes, se bousculant, s'écrasant, jouant terriblement des coudes, ne pouvaient passer qu'un à la fois.

Les femmes poussaient des cris perçants, mais dans la mêlée, on s'en occupait bien ! L’une d'elles était tombée on la piétinait sans s'en apercevoir.

Au dehors, dans les ruelles étroites, fusaient des coups de sifflet auxquels d'autres répondaient dans l'éloignement. Des pas précipités se rapprochaient C'était comme autant de coups de fouet qui cinglaient le misérable troupeau du crime, pressé de s'évader du bouge, car le dénouement était proche.

Dans l'affolement général, on avait complètement oublié Sébastien. Mais lui, sitôt rendu à la liberté de ses mouvements, s'était précipité en avant. Fort du secours qu'il sentait venir derrière lui, il voulait s'assurer de la personne de l'homme rouge, auquel la foule grouillante avait coupé la retraite, et qui luttait désespérément pour sortir à son tour.

Il allait l'atteindre, sa main se levait déjà pour le saisir au collet, quand celui-ci, faisant une volte-face brusque, lui envoya en pleine figure un coup de poing d'une telle violence qu'il s'en alla rouler en arrière, étourdi, aveuglé par le sang qui giclait en abondance de son nez et de sa bouche.

Mais d'un bond, Sébastien s'était levé, ivre.de rage, et au hasard, sans y voir clair, il déchargea son revolver dans la direction des fuyards.

Ce fut le signal d'une véritable fusillade. Des coups de feu crépitèrent, faisant voler en éclats les vitres crasseuses du bouge, derrière lesquelles se montraient des faces d’agents.

Puis, la porte de la rue s'ouvrit moitié arrachée par la poussée violente des gens de policé qui faisaient irruption le revolver au poing. La salle était pleine de la fumée âcre de la poudre, à travers laquelle il était impossible de rien distinguer.

À ce moment, Sébastien allait s'élancer à son tour dans l'étroit passage par où toute la bande avait fui, quand il se senti brusquement prendre à bras-le-corps et tirer en arrière. Il tenta de se dégager, mais des mains brutales s'emparèrent de lui, lui arrachèrent son revolver et il se vit si solidement ligoté en un instant qu'il lui était absolument impossible de faire un mouvement.

Cela avait été si vite fait que dans l'excès de sa stupeur, il n'avait pas trouvé une parole pour protester.

Les agents faisaient cercle autour de lui, le regardant avec des yeux menaçants. On sentait qu'ils l'auraient écharpé si on les eût laissé faire.

— En voilà déjà un de pris, grommela l'officier de paix, qui paraissait avoir le commandement de l'expédition.

— Et un fameux encore, ajouta un brigadier… Ça doit être le chef de la bande.

Et de fait, à voir les vêtements en lambeaux du pauvre Sébastien, les yeux furibonds qu'il roulait et la mine féroce qu'il s'était composée avec tant d'art, rendue plus effrayante, encore par le sang qui en coulait, il n’y avait pas à douter qu'on ne se trouvât en présence d'un repris de justice des plus dangereux.

D'ailleurs, toutes les apparences étaient contre lui, tout l'accusait. Ne l'avait-on pas trouvé les armes à la main, son revolver déchargé ? Évidemment, il avait protégé la retraite de ses compagnons de crime contre la police.

Mais Sébastien n'était pas disposé à se laisser traiter comme le dernier des malfaiteurs. Les paroles du brigadier le ramenèrent à la réalité de son étrange situation, et levant sur l'agent des regards irrités, il protesta avec une véhémence indignée :

— Le chef de la bande ?... Vous auriez peut-être mis la main dessus, si au lieu de m'arrêter stupidement…

— Dites donc, l'homme ! fit l'officier de paix avec des yeux flamboyantes de colère…

— Quoi ?... quoi ?... riposta Sébastien, chez qui, avec l'exaspération d'avoir perdu la partie, son argot de gavroche parisien reprenait le dessus, vous ne me faites pas peur avec vos mirettes…

— Mes mirettes ! gronda l'autre suffoqué. Taisez-vous, ou je vous fais bâillonner.

— Je me tairai si je veux et je parlerai si ça me plaît, répondit froidement le policier… D'abord, vous allez me faire le plaisir de me délier immédiatement.

Ceci fut dit avec un tel accent d'autorité que l'officier de paix regarda à deux reprises cet affreux voyou qui avait l'impudence de lui jeter un pareil ordre à la face, comme s'il avait le droit de lui commander.

— Je n'ai d'ordre recevoir de personne et d'un misérable comme vous moins que de tout autre.

— Même de M. Ducroc ? Même du chef de la Sûreté ? laissa tomber Sébastien d'une voix tranchante comme le coupant d'un couteau.

L'officier de paix eut un sourire méprisant. C'est sur les ordres de M. Ducroc lui-même que je suis ici.

— Moi aussi, répondit Sébastien avec un calme exaspérant. Et si vous voulez en avoir la preuve, vous n'avez qu'à me délier, je vous montrerai la lettre qu'il m'a écrite ce matin.

L'officier de paix eut un moment d'hésitation, il se demandait si ce louche individu ne lui parlait pas avec une telle assurance pour s'amuser à ses dépens. Néanmoins il fit ce qu'on lui demandait et il prit en effet la lettre qu'il parcourut rapidement.

— C'est signé Thouvenet ! s'écria-t-il avec le dépit d'avoir été joué.

— Un nom convenu entre le chef de la Sûreté et moi, répondit Sébastien…

— Ça ne prend pas, mon garçon, il ne faut pas essayer de me la faire à moi…

— Mais au moins, s'écria le détective énervé, si la signature n'y est pas, vous devriez au moins reconnaître l'écriture du chef…

— L'écriture... répliqua l'officier de paix avec hésitation, en examinant les lettres attentivement, ça, c'est vrai. Mais qu'est-ce que ça prouve ? Une écriture, ça s'imite.

— C'est trop tort ! protesta Sébastien au comble de l'exaspération. Voulez-vous mon nom ?

— Eh bien, soit, parlez !

— À vous seul.

L'officier de paix approcha son oreille de la bouche de Sébastien qui prononça quelques mots d'une voix si basse que personne, sauf celui auquel elles étaient adressées, ne put les entendre.

Le magistrat se releva en éclatant de rire bruyamment. Il se tenait les côtes.

Et, se retournant vers les agents qui le regardaient étonnés, impatients de connaître la cause de l'hilarité de leur chef :

— Képis bas ! messieurs, fit-il avec une ironie cinglante, j'ai l'honneur de vous présenter l'un de nos bons, l'un de nos meilleurs collègues, l'illustre détective Sébastien Blanc en personne.

— Sébastien Blanc ! s'écrièrent les hommes en éclatant de rire à leur tour.

— Parfaitement, messieurs, ne vous en déplaise, riposta le détective pâle de rage concentrée. Sébastien Blanc en chair et en os est devant vous, et il demande à être conduit immédiatement devant M. Ducroc.

— J'allais vous le proposer, mon garçon, répondit l'officier de paix avec son-sourire narquois.

*
*            *

Le chef de la Sûreté était dans son bureau, assis à sa table de travail, en train d'écrire sous la clarté douce que lui envoyait la lumière d'une lampe électrique tamisée par un abat-jour de porcelaine verte, quand le vieux Bernard introduisit l'officier de paix.

— Eh ! bien, Tronchet, fit M. Ducroc en relevant la tête et en regardant le nouveau venu d'un œil interrogateur par-dessus ses lunettes, cette rafle ?

— Mauvaise, chef, le couple filet n'a pas donné ce que j'en attendais. Toute la bande était bien réunie dans ls bouge que vous m'avez signalé, mais elle a trouvé moyen de nous filer entre les doigts. J'avais pourtant fait cerner les passages aux deux bouts de la ruelle des Gobelins et à la rue des Cordelières. Mais il y a des issues que nous ignorons, et qui d'ailleurs appartiennent à des propriétés privées où il est impossible de pénétrer.

— Enfin, s'écria M. Ducroc d'un ton qui renfermait un blâme, c'est à recommencer ?

— Pas tout à fait. Nous avons mis la main sur un individu des plus suspects, qui a facilité aux autres, les moyens de s'enfuir en protégeant leur retraite, le revolver au poing, même qu'il a tiré sur mes hommes. De plus, cet homme nous a servi un conte à dormir debout…

— L'avez-vous amené ?

— Certainement, il est dans la pièce à côté. J'ai pensé que vous voudriez l'interroger vous-même, d'autant plus que le loustic prétend que vous…

— C'est bon, amenez-le, commanda M. Ducroc en coupant brusquement la parole à son interlocuteur.

Sébastien entra, les poignets réunis par les menottes, les jambes entravées, encadré de deux agents. Un instant, il demeura sans bouger, supportant sans sourciller l'examen de M. Ducroc, qui détaillait ce vagabond dont le personnage était si bien composé qu'il avait su accumuler sur lui tous les stigmates du vice et du crime.

— Vos nom, vos prénoms ? jeta enfin brusquement le chef de la Sûreté, qui cherchait en vain dans sa mémoire pourtant prodigieuse, un nom à accrocher sur la tête de celui qu’il considérait comme un vieux cheval de retour.

L'autre se taisait, la tête baissée, les yeux attachés, au sol, jouissant intérieurement de la perfection de ce maquillage qui le rendant méconnaissable.

— Répondrez-vous ?

— Comment, chef, vous ne me reconnaissez pas ? s'écria tout à coup Sébastien, en enlevant du même coup sa fausse barbe et sa perruque.

M. Ducroc fit un bond sur son fauteuil, comme si un ressort, se détendant brusquement sous lui, l'eût projeté en l'air.

Sébastien ! s'écria-t-il avec satisfaction, et même stupéfaction.

Puis se tournant avec irritation vers l'officier de paix qui ne savait où se fourrer :

— Eh bien, mes compliments, Tronchet, fit-il avec une ironie écrasante, si c'est là ce que vous appelez une capture importante !...

L'autre bredouilla quelques paroles d'excuse à peine intelligibles. Il eût voulu être à cent pieds sous terre. Sébastien en eut pitié et crut devoir venir à son secours.

— Excusez-le, il m'a sauvé la vie. Sans lui je serais probablement, à l'heure qu'il est, en train de rouler au fond de la Bièvre.

L'officier de police lança un regard reconnaissant à Sébastien.

— Comment cela ? demanda M. Ducroc, étonné.

Sébastien fit alors rapidement au chef de la Sûreté le récit dramatique de l'assaut qu'il avait subi dans le bouge, assaut qui aurait fini par tourner fatalement à son désavantage, sans l'arrivée de la police.

— Mais que diable alliez-vous faire dans ce guêpier ? interrogea M Ducroc.

— Ce que j'allais y faire ? riposta Sébastien, au comble de la surprise à son tour. La belle question ! Mais vous le savez aussi bien que moi, chef, puisque c'est vous qui m'y avez envoyé.

— Moi ? Je vous y ai envoyé, moi ?... s'écria M. Ducroc de plus en plus étonné.

— Certainement. Ne m'en avez-vous pas donné l'ordre dans votre lettre de ce matin ?

— Ma lettre de ce matin ? Mais je ne vous ai pas écrit de lettre. Où est-elle, cette lettre ?

— La voici, répondit l'officier de paix qui, après s'être fouillé, tira de sa poche la lettre qu'il tendit à M. Ducroc.

— Bien imité, fit le chef de la Sûreté après avoir examiné attentivement la missive. Je m'y serais trompé moi-même. Mais ce n'est pas moi qui l'ai écrite.

— Je comprends tout maintenant, dit Sébastien après avoir réfléchi un instant C'était un guet-apens où l'homme rouge m'avait attiré habilement dans l'espoir que je n'en réchapperais pas !... Mais ses calculs ont été déjoués par l'arrivée de la police, et si au lieu de m'arrêter comme on l'a fait...

L'officier de paix se mordit les lèvres.

— Si au lieu de vous arrêter ?... demanda M. Ducroc.

— On m'avait laissé courir après lui dans où il s'était précipité et on m'avait prêté main-forte, à l'heure qu'il est nous le tiendrions peut-être. Enfin ! ce qui est fait est fait, et j'en ai été quitte encore pour la peur… C'est égal, voilà trois fois que je vois la mort de près. Gare à la quatrième, ce sera la bonne !



Le 13e en littérature

La rue Jonas

Zigomar - La femme rousse

par
Léon Sazie

L'antre de « la Baleine » donnait sur la rue Jonas, comme nous l'avons dit. Cette rue au nom biblique se trouvait dans un grouillement de petites voies étroites, courtes, basses, tortueuses, qui forment un coin à part dans ce quartier.

(1910)

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La Cité Jeanne d'Arc

Les mémoires de Rossignol

par
Rossignol

Ma « clientèle » de la rue Sainte-Marguerite disparaissait peu à peu. Elle s'était réfugiée cité Doré, qui donne rue Pinel et boulevard de la Gare, ou cité Jeanne-d'Arc, près de la rue Nationale, dans le treizième arrondissement.

(1894)

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Les Gobelins

Zizine

par
Alexandre Arnoux

Dans le quartier des Gobelins, un gymnase. Des athlètes donnent une représentation suivie par une foule fervente. Dans cette foule un couple a attiré l’attention du narrateur. Elle, Zizine, femme superbe ; lui, petit, contrefait, douloureux. Milarot, champion du monde, est dans la salle.

(1938)

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La Folie Neubourg

Le faiseur de momies

par
Georges Spitzmuller et Armand Le Gay

Le promeneur qui remonte le boulevard Auguste-Blanqui dans la direction de la place d'Italie, est frappé par l'aspect pittoresque d'une vieille maison enclose dans le triangle formé par ce boulevard, la rue Edmond-Gondinet et la rue Corvisart.

(1912)

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La rue du Pot-au-Lait

Le drageoir aux épices

par
Joris-Karl Huysmans

Quelle rue étrange que cette rue du Pot-au-Lait ! déserte, étranglée, descendant par une pente rapide dans une grande voie inhabitée, aux pavés enchâssés dans la boue...

(1874)

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La gare de la Maison-Blanche

Le drame de Bicêtre

par
Eveling Rambaud et E. Piron

Honoré fit halte avenue d'Italie, devant la station du chemin de fer de Ceinture. Il sauta sur le trottoir en disant :
— Cherche, Bob, cherche !

(1894)

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Butte-aux-Cailles

Le Trésor caché

par
Charles Derennes

Depuis toujours on habitait, mon père et moi, sur la Butte-aux-Cailles ; encore aujourd'hui, ce quartier-là n'est guère pareil à tous les autres. Mais si vous l'aviez vu du temps que je vous parle ! Des cahutes s'accrochaient à la butte comme des boutons au nez d'un galeux ; ça grouillait de gosses et de chiens, de poux et de puces...

(1907)

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Saviez-vous que... ?

En 1897, il y avait un magasin de porcelaine au 196 de l'avenue de Choisy dans laquelle le cheval du fiacre n°7119 entra le 26 mars…

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Le XIIIème devait initialement porter le numéro 20 lors de l'extension de Paris en 1860. Les protestations des habitants d'Auteuil et de Passy qui, eux, se voyaient attribuer les n°13 associé aux « mariages à la mairie du 13e » autant qu'aux superstitions, eurent raison du projet de numérotation et un nouveau projet aboutit à la nomenclature actuelle.

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Le 27 juillet 1916, 724ème jour de guerre, un violent orage causait quelques dégâts au 1 de la ruelle des Reculettes et la foudre blessait légèrement aux jambes Mme Paris, une locataire du lieu.

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C'est le 14 juillet 1863 que le premier coup de pioche, — car les premieres dizaines de mètres ont été creusés à la pioche par des puisatiers et non par un forage — du puits artésien de la Butte-aux-Cailles a été donné.

L'image du jour

Rue de la Fontaine-à-Mulard