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LA PETITE MIETTE
par
Eugène BONHOURE
(1889)
TROISIÈME PARTIE
La revanche de Furet
IV
Un cœur tout neuf
(suite)
— Que c'est bête ! exclama Furet ; que c'est bête de me faire pleurer comme ça !
Julie le regarda en souriant et, tout à coup se penchant vers lui, elle lui mit un baiser sur le front.
Il en resta tout interdit comme elle l'avait été lorsqu'à l'hôpital, il lui avait mis au front un baiser pareil ; et il la regarda s'éloigner, avec des larmes plein les yeux et de la joie plein le cœur.
V
Où Miette a une mère
Le lendemain, Marie déclara qu'elle se sentait forte, voulut absolument se lever. Julie eut beau résister ; il fallut céder.
Une fois levée, elle voulut rester seule, demanda de quoi écrire. Un peu plus tard, elle fit appeler Furet. Elle avait à lui parler.
Il arriva, tout courant, heureux à la pensée qu'il pouvait lui être bon à quelque chose. Elle voulut rester seule avec lui. Puis, tout de suite, elle lui demanda :
— Que s'est-il passé pendant ma maladie ?
Furet, franchement, non sans émotion, raconta tout. En apprenant la mort de sa mère, Marie courba la tête et se prit à pleurer tout bas. Mais lorsque Furet lui apprit la visite de Reynaud, l'envoi des billets de banque et des cartes-télégrammes, elle se cacha le visage dans ses mains et demeura longtemps absorbée, sanglotante, ne pouvant ressaisir le fil de sa pensée.
Pourtant lorsque ses mains s'abaissèrent, elle avait les yeux secs et sur son visage pâli se lisait une résolution arrêtée.
— Vous avez fait usage de cet argent ? demanda-t-elle.
— Non, madame, il n'en était pas besoin.
— Et vous avez envoyé les télégrammes ?
— Oui, madame tous les jours.
— Et que disaient les derniers télégrammes envoyés.
— Que vous étiez en convalescence mais très faible encore.
Marie réfléchit un instant, puis, résolument :
— Je ne veux recevoir personne… personne absolument.
— C'est bien, madame, répondit Furet, non sans quelque tristesse.
Et à part lui le brave garçon se disait :
— Non ! non ! ça ne sera vraiment pas facile à arranger.
Marie reprit, au bout d'un instant, son interrogatoire.
— Et M. Valdonnier n'est-il pas revenu, n'avez-vous pas eu de ses nouvelles ?
— Non ; j'avoue que cela m'étonne bien. Il faut qu'il y ait quelque chose là dessous. Je ne sais pas quelles misères il a pu vous faire, mais je me doute bien que s'il nous avait volé Miette, c'était pour en tirer de l'argent.
— Vous ne vous trompez pas, c'était une spéculation, en effet.
— Eh bien ! s'il n'est pas encore venu nous la reprendre, c'est que, probablement il nous croit sans ressources, vous et moi. Mais je ne suis pas tranquille. Et justement, je pensais à cacher Miette, à l'envoyer quelque part, un peu loin,
— C'est inutile, répondit Marie avec une fermeté qui fit tressaillir Furet.
Ma fille n'a plus rien à craindre de ces misérables.
Furet leva sur Marie un regard étonné.
— Voici une lettre que je vous serai reconnaissante de faire porter tout de suite. Il y a une réponse.
La lettre était adressée au notaire qu’elle avait consulté le jour de sa fuite.
Dans l'après-midi, le notaire vint en personne. Il resta longtemps avec Marie.
— Madame, lui avait-il dit, permettez-moi de vous faire, avant de vous donner l'acte à signer, une dernière objection, une dernière demande. Je ne savais pas qui vous étiez, quand vous êtes venue chez moi. Maintenant que je connais votre nom, c'est un devoir pour moi d'insister sur mes premiers conseils.
— Inutile, monsieur ; ma résolution est irrévocable. Entre M. Reynaud et moi, tout est fini. Veuillez me donner l'acte.
— Devant une volonté si ferme, il ne me reste plus qu'à m'incliner. Voici l'acte.
Marie signa sans hésiter. Puis, le notaire parti, elle appela Furet. Il arriva suivi de Miette.
— Embrasse-moi ma mignonne, dit Marie. Maintenant je suis ta mère pour de bon et personne ne peut plus te disputer à moi.
— Oh ! maman ! maman ! maintenant je puis le dire que tu es maman ?
— Oui, mon enfant. Et tu ne me quitteras plus.
— M. Jules ne viendra pas me chercher ?
— Non, ma chérie. Et s'il venait on le mettrait à la porte.
— Ça, dit Furet, je m'en charge et avec plaisir.
— Vous, mon ami, vous allez porter cet argent et cette lettre chez M. Reynaud.
— Ah ! dit Furet, vous renvoyez l'argent ? Au fait, je comprends. Et puis, nous sommes riches, à présent.
— Je connais votre dévouement, mon cher Furet, et je l'ai accepté. Mais je compte travailler et gagner ma vie. J'y avais songé avant mon mariage et je sais à quelle porte frapper.
— Eh bien, et moi, pourquoi suis-je faire, alors ?
— Pour porter ma lettre, à présent. Plus tard nous verrons. Vous n'en êtes pas quitte, mon pauvre ami.
— C'est bien ; on y va, tout de suite.
Ce n'était pas sans regret que Furet se chargeait de la commission. Il avait arrangé les choses tout autrement, dans son imagination. Mais tout de même, il ne désespérait pas encore. Il fallait voir comment M. Reynaud prendrait la chose.
Malheureusement il ne le rencontra pas. Reynaud était à son usine et ne rentrait même pas à l'hôtel depuis plusieurs jours.
Furet voulut en avoir le cœur net.
Il prit le train, courut à l'usine, demanda avoir le patron.
— M. Reynaud est occupé dans son laboratoire. Il ne reçoit personne, lui répondit-on.
Bon gré, mal gré, Furet dut laisser la lettre et s'en retourner sans avoir vu M. Reynaud.
En arrivant, au coin de la rue Jenner, il aperçut le vieux Poil-aux-Pattes qui accourait en gesticulant.
— Patron! patron! courez vite là-bas. On vous réclame. Il y a un malheur.
— Un malheur ! s'écria Furet.
— Oui, patron... La petite a disparu.
VI
Furet sur la piste
Furet partit tout courant. Il trouva Mme Reynaud folle de douleur et de colère. Elle parlait de s'adresser à la justice, de porter plainte. Puis, elle voulait courir chez Valdonnier. Si ce n'avait été son extrême faiblesse, elle y serait allée sur le champ.
— Attendons Furet, lui disaient Julie et la mère Fricotte. Quand Furet sera là, nous verrons que faire.
Le premier cri de Furet, en arrivant, fut :
— C'est ce bandit qui nous l'a reprise.
— Mais nous la lui reprendrons ! s'écria Marie. C'est ma fille, à présent et personne ne peut me la refuser.
— Sans doute, dit Furet. Mais il faut d'abord savoir où elle est. Comment a-t-elle disparu ? Quelqu'un a-t-il vu ce brigand… ou sa femelle ?
— Non, personne. La petite était allée chez le pharmacien porter l'ordonnance du docteur. Et elle n'est pas revenue. Alors, je suis allé voir. Le pharmacien m'a répondu qu'elle avait attendu un bon moment que la chose fût prête, mais qu'elle était partie déjà depuis une heure au moins. Et depuis personne ne l'a vue.