UNE ÉVOCATION DU 13e ARRONDISSEMENT DE 1860 AUX ANNÉES 30

Le feuilleton

Episode # 50

I

La descente de justice.
(suite)

— C’est la seule qui subsiste dans cette partie de la vallée de la Bièvre. Vous savez qu’on a effondré toutes les autres, avant de les charger de la masse énorme du remblai qui les couvre, et que leurs voûtes n’auraient peut-être pas eu la force de supporter. Lorsque mon grand-père fit creuser les fondations de la Maison-Blanche, on la rencontra. Comme elle affleure le talus et n’est pas enfouie sous une masse trop considérable de décombres, il obtint facilement de la conserver. Il pensait qu’elle pourrait lui être utile, s’il avait besoin plus tard d’adapter ses caves à des usages industriels ou de les agrandir. Il fit mettre cette porte à l’entrée de la galerie qui la précède et elle est aujourd’hui connue de bien peu de personnes.

— J’en ignorais l’existence, dit le commissaire de police.

— Je ne crois pas qu’on y soit entré depuis la mort de mon grand-père, repartit Marcel.

— Vous en avez la clef, sans doute ?

— Je ne sais ce qu’elle est devenue, dit Marcel. Mais, en cherchant bien, nous la trouverons sans doute dans ce trousseau de vieilles clefs qui pend au mur.

— Nous n’en avons pas besoin, monsieur le commissaire, dit un des agents.

Et il lui montra la serrure presque détachée de ses attaches.

Le commissaire s’approcha.

— Il suffit en effet, pour ouvrir, de dégager le pêne, dit-il.

Et saisissant la serrure d’un mouvement brusque, il la délivra de sa dernière entrave.

La porte, lorsqu’il l’attira, s’ouvrit toute grande.

Marcel, dont l’émotion croissait à mesure qu’il se rapprochait de la carrière et que les évènements de la nuit du crime se présentaient plus nets et plus vifs à sa mémoire, avait remis sa lanterne à l’un des agents pour qu’il éclairât le commissaire.

Il craignait, tant il se sentait nerveux et agité, de n’être pas toujours maître de lui-même.

Il pâlissait et rougissait tour à tour, et si le commissaire l’eût alors regardé, il eût certainement remarqué son trouble et le tremblement nerveux qui ne cessa d’agiter ses membres tant qu’il resta dans la carrière.

Mais il était lui-même trop occupé par le souterrain pour examiner si minutieusement Marcel.

Il venait de sortir du couloir.

La lanterne portée par l’agent éclairait devant lui les parties les plus voisines de la carrière.

On voyait se dessiner à sa clarté vacillante et douteuse, et à travers les jeux d’ombre et de lumière qu’y produisaient les rayons lumineux, les amas de décombres épars à la surface et les piliers qui soutenaient la voûte, tandis que la partie la plus profonde et les bas-côtés restaient plongés dans une pénombre obscure ou dans des ténèbres opaques.

Ce sombre, aspect de la carrière avait évoqué d’une manière si saisissante dans l'esprit troublé de Marcel le souvenir des scènes qui avaient suivi le meurtre, qu’il fut en proie pendant quelques secondes à une véritable hallucination ; à l’endroit où il avait déposé le corps de Lucien, il croyait revoir encore le cadavre qui le regardait avec ses yeux fixes et menaçants.

Une sueur froide perlait sur son front et ses jambes tremblaient si fort qu’il fut obligé, pour se soutenir, de s'appuyer contre un des piliers.

Sa bouche s’entrouvrit comme s’il allait pousser un cri.

Mais iI eut la force de se dominer.

Il passa la main sur ses yeux pour en écarter cette image sanglante, et lorsqu'il la retira, la vision avait disparu.

Dans l’ombre où il se tenait soigneusement caché, son trouble n'avait été vu de personne.

Désormais, plus assuré de son sang-froid, il se rapprocha du second agent et le suivi silencieusement.

Le commissaire parcourait la carrière dans ses directions principales.

Il examinait toutes choses d’un regard attentif et pénétrant et plusieurs fois, il obligea l'agent qui portait la lanterne à s’arrêter pour lui donner le temps d’achever son inspection ; il lui fit même approcher sa lumière pour voir les choses de plus près.

Lorsqu'il passa près de l'amas de décombres sous lequel reposait le corps de Lucien, Marcel éprouva un serrement de cœur si poignant, qu'un instant, sa défaillance fut près de te reprendre.

Mais le temps avait recouvert ce tumulus funèbre d'une couche si épaisse de fine poussière, que le commissaire de police passa sans s’arrêter.

En arrivant près des cendres du foyer où s’étaient consumés les habits de Lucien et les enveloppes de son cadavre, le commissaire examina ces débris avec une visible curiosité.

— On a fait du feu ici, dit-il, il y a longtemps, il est vrai.

 — Les ouvriers en font quelquefois dans leurs chantiers pour y réchauffer leurs aliments, fit observer un des agents.

— J’y verrais plutôt les restes d’un feu de bivouac allumé par une bande de maraudeurs, repartit le commissaire. Mais peu importe !

Et il s'éloigna.

L'inspection terminée, il remonta dans le salon du rez-de-chaussée.

— Je vais, dit-il à Marcel, apposer des scellés sur quelques-unes des portes intérieures de votre habitation, et je suis obligé de les placer sous la surveillance d’un gardien. Si vous connaissez une personne sûre qui consente à s'installer dans votre habitation, je lui confierai ce soin très volontiers.

Marcel regarda les agents.

— Ces messieurs seraient tout désignés, dit-il ; mais je me ferais un scrupule de priver M. Troussardière pendant si longtemps, de ses auxiliaires les plus intelligents et les plus actifs.

Et après un instant de réflexion il ajouta :

— Je connais quelqu'un dans le quartier qui certainement ne me refusera pas ce service, si je le lui demande. C’est Richard, l’ancien domestique de confiance de mon cousin Lucien.

— Il faut, dit le commissaire, une personne qui soit non seulement sûre mais courageuse et solide au poste, capable en un mot de repousser les tentatives d’effraction, s’il s'en produisait de nouvelles,

— Richard a soixante-dix ans, répartit Marcel. Mais c’est un ancien soldat. Il est d’une bravoure éprouvée et très vigoureux encore. Nous lui donnerons des armes, et les assaillants, s'il s’en présente, seront reçus comme il convient.

Je lui fais, depuis la mort de mon cousin, me pension de deux mille francs, et je réponds de son consentement. Je puis du reste l’envoyer, chercher tout de suite, si vous le désirez.

— Ce serait préférable, dit le commissaire. Il faut qu’avant mon départ le gardien soit choisi et installé.

Pendant qu’il plaçait des scellés sur les portes de la chambre à coucher, du cabinet de Marcel et de la carrière, un des agents alla chercher Richard.

Le vieux soldat avait été longtemps in consolable de la mort de son cher Lucien.

Bien qu’il fût loin d’avoir la même amitié pour Marcel, qu’il ressentit même pour sa personne une antipathie secrète dont il ne pouvait se défendre, il lui avait su gré de sa généreuse conduite envers lui, et il en conservait une sincère reconnaissance.

Il accepta de bonne grâce de lui vendre ce service.

Il fut convenu que Marcel lui ferait dresser un lit dans le salon et que ses repas lui seraient envoyés par le marchand de vins chez lequel les agents de Troussardière s’étaient installés.

Marcel prit alors congé du commissaire.

Il emportait la certitude que ce magistrat ne le soupçonnait en rien, quoique l'affaire, sur certains points, lui parut encore obscure et louche.

Il était quatre heures de l'après-midi lorsqu’il rentra chez lui.

Il consigna sa porte pour tout le monde, et une fois seul dans son cabinet, il se laissa tomber d’un air harassé sur un fauteuil.

Il était accablé de fatigue, mais satisfait au fond, presque rassuré, du moins pour le moment.

En faisant arrêter Raulhac, en conduisant lui-même le commissaire de police dans le souterrain, il avait joué gros jeu.

Mais il avait gagné la partie.

 
(A suivre)

Ernest Faligan

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Saviez-vous que... ?

La rue du Banquier, ancienne rue, doit son nom au banquier Patouillet qui avait déjà donné son nom au territoire compris entre la rive droite de la Bièvre et les terres de St-Marcel sur le chemin d'Ivry. (Clos Patouillet.)

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Le 23 août 1886, un violent orage provoquait une crue de la Bièvre de près d'un mètre rue Pascal inondant un grand nombre de caves et causait des dégâts considérables dans les parages. Ce même orage fit des dégâts importants dans d'autres points du 13ème notamment rue Richemont et rue Clisson.

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Le 3 octobre 1923, à 9 h30, le laboratoire municipal faisait enlever un obus de 37 en face du 88 de la rue de la Glacière.

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C’est en juillet 1938 que fut posée, par le Ministre Jean Zay, la première pierre du stadium universitaire qui allait prendre place à l’angle du boulevard Kellermann et de la porte de Gentilly et auquel le nom de Sébastien Charletty (1867-1945) à l'origine de la Cité Universitaire de Paris, fut donné.

L'image du jour

Panorama vers l'ouest sur la rue de Tolbiac

La vue est prise depuis un des clochers de l'église Saint-Anne. La première rue à droite est la rue Martin-Bernard.