Dans la Bièvre
Le Figaro — 24 janvier 1876
Les Parisiens connaissent mal, certainement, les bords de la Bièvre, bords peu enchanteurs et beaucoup trop parfumés par les nombreuses tanneries du voisinage. Rien de sinistre, le soir, comme ces sentiers déserts, peu éclairés, et où l'on pourrait être assassine cent fois sans être secouru.
Aussi, hier soir, un tourneur en cuivre de la rue du Pot-au-Lait fut-il fort effrayé en entendant des cris désespérés partir de dessous un pont, jeté sur les canaux de cette Venise du cuir. Il ne se hasarda pas à se porter au secours de la victime et courut avertir les gardiens de la paix.
Quand ils arrivèrent à l'endroit désigné, ils trouvèrent un homme debout dans l'eau. Il en avait jusqu'aux aisselles.
— J'avais bu un coup de vin, leur dit cet homme, j'ai manqué le pont et je suis dans l'eau:.. dont j'ai horreur... Quelle punition, bon Dieu, quelle punition !
Après s'être un peu séché au poste, cet homme, qui est un nommé Milse, chaussonnier, âgé de cinquante-huit ans, a été reconduit chez lui, 2, rue de la Fontaine-à-MuIard.
Il était dégrisé, mais ses vêtements avaient l'air d'avoir été trempés dans du chocolat... J'ajoute que l'odeur qui' s'en exhalait faisait bientôt cesser cette illusion.
