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UNE ÉVOCATION DU
13E ARRONDISSEMENT DE 1860 AUX ANNÉES 30
Dimanche 2 avril 2023
Le 13e dans la littérature
Littérature
La vague rouge
(Roman de mœurs révolutionnaires, 1910)
J. H. Rosny Ainé
C'était vers le crépuscule, en avril. Le soleil croulait sur la banlieue sinistre. Déjà rouge, il ouvrait une gueule de fournaise à la cime d'un peuplier, entre deux cheminées d'usine, hautes comme des clochers.
Un homme s'arrêta sur la route, près de Gentilly. Il considéra le paysage misérable et puissant, les fumées vénéneuses, l'occident frais et jeune comme aux temps de la Gaule celtique. Malgré les toits, les fourneaux, les cheminées, les dures fabriques, malgré les tramways, les automobiles et les locomotives, c'était, comme pour les premiers êtres, le mariage de la terre et du soleil, toute force puisée dans cet immense feu de l'espace : la forêt vierge et les grandes industries ne sont pas des choses opposées, ce sont des choses analogues.
L'homme, levant la trique qu'il tenait au poing, grommela :
— Il faut en finir avec la houille !
Une poudre crayeuse blanchissait ses bottines et grisaillait les grandes ailes de son chapeau. Il montrait des joues mates, une longue barbe fauve, des yeux qui s'allumaient et se voilaient avec brusquerie, larges, câlins, ardents et d'une sincérité extraordinaire. Sa stature était trapue, non lourde ; il avait les jambes du bon fantassin, bien jointées et flexibles ; il les gardait légèrement repliées pendant la marche, ce qui accroît l'endurance. Et c'était un mâle bien construit, aux chairs nettes, fait pour produire une postérité nombreuse.
Étonné de voir des gens courir à travers champs, il demanda à un jardinier qui allongeait des pattes de faucheux :
— Qu'est-ce qui se passe ?
— Y a un éboulement au puits de carrière qu'on fonce là-bas. Dix morts, qu'on dit.
— C'est dégoûtant ! s'exclama l'homme.
Et il suivit le jardinier. La foule grouillait, vers la droite de Gentilly, sur le champ en jachère, autour d'un hangar. La police la maintenait mollement, et parmi des amas de terre, de poteaux et de madriers, se démenaient des travailleurs dont plusieurs n'émergeaient qu'à mi- torse. L'homme se mêla au peuple et tenta de se rendre compte. Il finit par savoir que trois puisatiers étaient ensevelis et qu'on travaillait depuis une heure à les délivrer.
Mais les chances semblaient décroître à mesure qu'on déblayait.
— On va faire appeler le génie ! expliqua un carreleur au crâne tondu. Puis, y faut des machines. Car pour des hommes, y n'en manque pas, y en a trop... vu qu'y a pas de place.
Il montrait plusieurs sauveteurs que la police écartait sans rudesse. Parmi eux, un homme bancroche, à la barbe sablonneuse, vociférait :
— C'est moi, Isidore Pouraille, que je dis, le cousin de Préjelaud, qui est enterré là-dedans, victime de la rapacité capitaliste. Je peux le sauver, peut-être !...
— Vous voyez bien qu'il y a assez de monde ! Et vous n'êtes pas puisatier.
— Je suis puisatier si je veux ! Attendu que je suis terrassier et que je connais les trucs de la chose.
Pendant deux minutes, il se complut à sa colère. Les mots jaillissaient au hasard du vin blanc et des petits verres. Il s'apaisa enfin ; il déclara d'un ton lugubre :
— Vous avez sa mort sur la conscience.
La multitude affluait d'une manière sournoise et fantomale. Elle était vague, chaotique, cancanière, barrée de reflux, émue par saccades, parfois révoltée. Le crépuscule pesait sur elle et l'empêchait de se créer une âme collective. Elle se disloquait continuellement. Il ne s'y faisait pas cette combinaison de vies qui, dans les assemblées cohérentes, dégage de l'énergie tout comme les réactions chimiques. Des gens hâtifs s'aggloméraient une minute à la masse et s'en détachaient ; les femmes formaient des îlots de palabre, les voyous se glissaient en files et proféraient des choses obscènes.
Cependant, la cendre rouge décroissait à l'occident. Quelques fanaux allumés autour du puits excitèrent le peuple. Les yeux s'hypnotisaient sur des scènes confuses : le drame, la mort, la fable firent fermenter les âmes. Puis, l'apéritif et le fricot l'emportèrent. Des pelotons se désagrégeaient dans les pénombres, vers Gentilly, vers les fortifications ou le long de sentes équivoques.
L'homme se trouva, avec un groupe d'ouvriers, à la poterne des Tilleuls. Isidore Pouraille y répandait une odeur de terre et de distillerie ; il pérorait d'une façon obscure et rude. Il voulait une sanction immédiate, il réclamait des dommages-intérêts, de la prison, l'intervention du gouvernement et la grève des terrassiers. On passa par la rue Brillat-Savarin.
Par-dessus la longue muraille qui défend le chemin de fer, surgissent des baraques de bois, des édifices de poutres et des pyramides de houille. En face, un enclos d'arbres torses et, parmi des rocs, une usine, des maisons, des cahutes, une cheminée sinistre. Sur les crêtes, d'autres maisons et d'autres cahutes, des îlots d'arbustes, des herbes fauves, des fleurs trempées de suie : tel un coin de nature plaintive et opiniâtre au bord d'une mine ou d'un charbonnage. Puis, encore des rocs déchiquetés comme une falaise, dominés par de calamiteuses cabanes, puis des maisons de l'époque des chourineurs, des arbres qui ont l'air de jaillir des moellons ou de la brique, des portes basses sur des corridors où luit un lumignon de coupe-gorge, des boutiques de Balzac, recuites, vagues, caverneuses, des façades crevées, des terrasses prêtes à choir avec leurs balustrades de rouille, des porches où gisent d'absurdes et troublantes marchandises...
— Allons prendre un verre, proposa Pouraille.
Tous entrèrent aux Enfants de la Rochelle, cabaret surbaissé et suant, où l'on pouvait entasser cinquante hommes ; des tables se rouillaient à la terrasse. Autour s'étendait une terre frénétique, une terre humaine et brutale, des masures pourries, des usines, des fabriques, des chantiers, des maisons de rapport dressées dans la solitude, des cultures spectrales, des terrains vagues — foresticules vierges, mélancoliques savanes, dépotoirs d'immondices, à perte de vue. Dans l'ombre étoilée de réverbères, le site était passionnant, énergique et crapuleux.
L'homme y jeta un long regard et se frotta les paumes :
— Il y a de la marge pour les rôdeurs !
Les absinthes, les bocks et les amers arrivèrent.
Isidore Pouraille avait saisi sa verte et la mirait de son œil de poule. Il y versa peu d'eau et en siffla la moitié d'une gorgée. Puis, irrité et joyeux, il affirma :
— Si les éboulés claquent, ça sera la faute des entrepreneurs et de personne d'autre !
— Est-ce qu'on peut savoir ? fit doucement un personnage d'aspect socratique, Jules Castaigne, dit Thomas. Je dis qu'on ne peut pas tout prévoir. La terre est rosse ; on a beau la connaître, y a toujours un moment où elle est plus forte que toutes les bricoles.
[...]
Derrière
le nom de J.-H. Rosny se cachaient les frères Joseph Henri Honoré Boex (1856 - 1940) et Séraphin Justin François Boex
(1859 - 1948), tous deux nés à Bruxelles. Après leur séparation en 1908, ils poursuivirent des carrières l’un sous le
nom de J.-H. Rosny aîné, l’autre sous celui de J.-H. Rosny jeune. J.-H. Rosny aîné est aujourd’hui considéré comme l’un
des précurseurs de la science-fiction.
Le 13e en littérature
Tout le 13e
par
Séverine
À l'horizon, passé la plaine de la Glacière, vers la poterne des Peupliers, les « fortifs » verdoyaient comme une chaîne de collines.
(1909)
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Quartier Croulebarbe
La vieillesse de Monsieur Lecoq
par
Fortuné du Boisgobey
Connaissez-vous la rue du champ de l’alouette ? Il y a bien des chances pour que vous n'en ayez jamais entendu parler, si vous habitez le quartier de la Madeleine. Mais les pauvres gens qui logent dans les parages l'Observatoire et de la Butte-aux Cailles savent parfaitement où elle est.
(1878)
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Ruelle des Reculettes
par
Paul Mahalin
Le noctambule par goût ou par nécessité — comme Paris en a tant compté depuis Gérard de Nerval jusqu'à Privat d'Anglemont — qui se serait aventuré, par une nuit boréale de novembre dernier, à l'une des embouchures du passage des Reculettes, y aurait éprouvé l'impression d'un rêve persistant à travers la veille, et s'y serait cru transporté dans ce monde de la chimère et du fantôme...
(1879)
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Quartier Croulebarbe
par
Henri-Jacques Proumen
Il pouvait avoir cinq ans, ce petit Riquet de la rue Croulebarbe. On lui en eût donné quatre tout au plus, tant il était fluet Son pauvre petit corps se dandinait sur deux longues pattes de faucheux qui prenaient assise dans deux godasses démesurées...
(1932)
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L'octroi de la porte d'Italie
par
Eveling Rambaud et E. Piron
Grâce à l'or du faux baron de Roncières, Paul apporta l'abondance dans la maison de la rue du Moulinet.
On y fit une noce qui dura huit jours.
Perrine avait déserté son atelier de blanchisseuse. Elle tenait tête aux deux hommes, le verre en main.
(1894)
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De la ruelle des Reculettes au passage Moret via la ruelle des Gobelins
par
Georges Spitzmuller et Armand Le Gay
Il était arrivé à l'angle pointu formé par la manufacture des Gobelins où la voie bifurquait ; à droite la rue Croulebarbe continuait, à gauche c'était la ruelle des Gobelins.
(1912)
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La Butte-aux-Cailles
par
Charles de Vitis
— Voyons d’abord du côté de la Butte-aux-Cailles, pour tâcher de trouver un logement.
Jacques connaissait l’endroit pour y être venu avec Fifine, une fois ou deux, du temps qu’il vivait chez ses parents.
C’était un quartier misérable situé à proximité de la place et du boulevard d’Italie ; on y arrivait par la rue du Moulin-des-Prés.
(1899)
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Saviez-vous que... ?
A la barrière des Deux-moulins, le bal de la Belle Moissonneuse était fréquenté par les maquignons.
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En 1863, le marché aux chevaux du boulebard de l'Hôpital se tenait le mercredi et le samedi de chaque semaine et le premier lundi de chaque mois.
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Le 2 décembre 1923, le quotidien Paris-Soir rapportait qu'avenue des Gobelins, en face du 51, des agents avaient surpris Marcel Popinel, demeurant en hôtel, rue Lebrun, qui avait percé un fut de vin. Le pipeur a été conduit au commissariat de police du quartier.
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Le 1er mars 1932, un incendie ravageait la manufacture de chaussures, Grégoire, fondée en 1864 et qui s'étendait, 8 et 10, boulevard Kellermann, sur une superficie d'environ 5.000 mètres carrés, dont les trois quarts occupés par les ateliers et les bureaux, le reste étant formé de hangars.
Selon l’Humanité, le veilleur de nuit, M. Létrangleur, ne remarqua rien lors de sa ronde, à 18h20, après la sortie des ouvriers mais à 19 heures tout brulait. L’usine fut quasiment anéantie et 300 ouvriers furent au chômage mais l’usine renaitra de ses cendres.