Littérature

 Le Drame de Bicêtre - 1894

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Le Drame de Bicêtre

Le Petit-Journal — 3 et 4 avril 1894

Troisième partie
Le dévouement de Cécile
Chapitre XXV

[...]

— Vous ne voulez rien prendre avant de partir ?

— Non... Hé, Bob !

Le chien bondit dehors en se secouant tous les membres, du museau à l'extrémité de la queue. Il suivit allègrement la voiture qui emportait son maître.

Midoux alla d'abord au point le plus rapproché, à la station de Vitry-sur-Seine. Aucun tramway n'était là.

On lui dit de se rendre immédiatement à Bicêtre, où se trouvait le grand centre de remisage. Là, dans l'espace d'une heure et demie, tous les conducteurs de la ligne défileraient tour à tour devant lui, pour prendre leur service.

Maintenant, il était possible qu'il rencontrât sur la route le premier tramway du matin, qui viendrait commencer son service.

C'est ce qui arriva.

Honoré fit signe au cocher d'arrêter en lui criant :

— Une seconde seulement. J’ai un mot à dire à votre conducteur.

L'affliction peinte sur le visage de ce voyageur impressionna le cocher qui tira les guides.

Honoré avait préparé sa question.

Hier soir, à sept heures, un tramway de Vitry a chargé en pleine campagne, entre Vitry et Bicêtre, une petite fille de six ans avec une ou deux autres personnes. Est-ce vous ?

— Pour sûr, ce n'est pas moi, dit le conducteur.

— Merci.

Bob avait flairé les abords de la plate-forme de la voiture, puis s'en était éloigné.

Il s'élança de nouveau à la suite du cabriolet de Midoux.

Ils arrivèrent bientôt sur la route de Fontainebleau, à la grande remise de Bicêtre.

Midoux renouvela sa question aux deux premiers conducteurs qui se présentèrent et n'obtint que des réponses négatives.

Le troisième réfléchit un instant.

— Attendez donc, dit-il. Je me souviens parfaitement. J’ai sonné deux voyageuses qui sont montées dans ma voiture à l'endroit et à l'heure que vous désignez.

— Deux voyageuses ! interrompit vivement Honoré. Vous voulez dire une femme et une fillette ?

— Oui, monsieur, une jeune femme et une enfant qu'elle portait dans ses bras. Comme elle la gardait sur ses genoux, je lui ai même fait observer que l'enfant avait plus de trois ans. Elle m'a répondu qu'elle payait deux places, mais qu'elle conservait l'enfant couchée dans ses bras., parce que la petite était malade.

— Malade !... L'enfant était malade ?

— C'est ce que sa mère m'a dit.

— Sa mère !... hurla Midoux indigné. Ce n'était pas sa mère, cette misérable créature qui vous a-parlé, c’était une voleuse, une horrible coquine qui m'a pris ma fille et qui l'a emportée.

— Excusez-moi, monsieur, je ne sais pas.

— Avez-vous vu l'enfant ? Comment était-elle ?

— Je ne puis pas vous dire. La petite n’a pas bougé jusqu'à la gare de la Maison-Blanche, où la femme est descendue avec elle. Sa figure n'était pas visible, elle était recouverte d'un fichu bleu.

— C'est cela, pour qu'on ne la remarque pas.

— Seulement, j'ai cru m'apercevoir qu'elle avait les cheveux blonds, et qu'elle avait des vêtement noirs tout neufs.

— Oh ! c'est elle, c'est bien elle !... avec un chapeau noir de feutre, garni de plumes noires ?

— Oui, monsieur.

— Plus de doute, mon Dieu !

— J'ai même été frappé de deux choses.

— Lesquelles ? demanda Honoré en proie à la plus grande agitation.

— C'est d'abord l'endroit désert où cette femme, ayant une enfant sur les bras, attendait le tramway allant sur Paris. C'est ensuite le deuil porté par l'enfant alors que celle qui se disait sa mère avait un costume voyant et un chapeau de fantaisie.

— Ah ! la misérable ! la misérable !... Quel peut être ce monstre de femme, et que veut-elle faire de ma chère petite Rose ? Et le malheureux père essuya de nouvelles larmes le long de ses joues.

À ce moment, Bob se mit à aboyer fortement dans le fond de la remise. Honoré se hâta de le rejoindre avec le conducteur.

Le Chien, toujours jappant, sautait de la plate-forme d’un tramway dans l'intérieur ; il roulait sa tête sur un coin de la banquette, puis il revenait au galop sur la plate-forme.

— C'est ma voiture, dit le conducteur. La femme était assise, avec l'enfant sur les genoux, à l'endroit où votre chien pose sa tête.

— Excellent Bob, fit Midoux, il la devine partout où elle a passé. Rose et lui, monsieur, ils jouaient du matin au soir, ils s'adoraient. C'est lui, le brave animal, qui m'a guidé jusqu'ici.

— Il ne manque pas de bêtes comme ça, répondit le conducteur, qui valent mieux que bien des gens.

— Vous avez cent fois raison, mon ami. Dites-moi, pourriez-vous me dépeindre la figure et l'habillement de cette abominable femme ?

— D'une façon précise, non. Nous voyons tant de monde entrer, sortir. Je puis vous dire pourtant que c'est une femme jeune, assez grande, très brune et bien prise de sa personne.

— Jeune ? Quel âge environ ?

— Vingt-quatre à vingt-six ans.

— C'est inconcevable. Et la physionomie et les vêtements ?

— Assez belle fille, air ni bon ni mauvais, robe claire, chapeau marron… Je m'arrête là pour ne pas vous induire en erreur.

— Je vous suis mille fois obligé de votre complaisance.

— A votre service, monsieur.

— Ah ! pardon, encore une question.

— Faites.

— Vous m'avez dit qu'elles étaient descendues de votre voiture en face de la gare de la Maison-Blanche. Savez-vous de quel côté elles se sont dirigées ?

— Tout droit sur la gare, où elles sont entrées.

— Merci encore une fois.

Honoré repartit comme une flèche dans la direction de Paris. Bob galopait à côté du cheval, qu'il excitait de temps en temps, en lui sautant au poitrail.

Honoré fit halte avenue d'Italie, devant la station du chemin de fer de Ceinture. Il sauta sur le trottoir en disant :

— Cherche, Bob, cherche !

Cette exhortation était superflue. L'excellente bête était déjà en campagne, flairant le soi et suivant sa piste dans l'intérieur de la gare.

Midoux venait d'être saisi d'une nouvelle inquiétude. Dans la gare, il y a deux escaliers gigantesques, descendant au fond de la tranchée où passe le chemin de fer, entre deux quais d'embarquement. L'escalier de droite conduit aux trains qui se dirigent sur Grenelle, Auteuil, les Batignolles. L'escalier de gauche mène aux trains allant sur Bercy, Bel-Air, Ménilmontant.

Quelle direction la voleuse avait-elle suivie avec sa douce proie ? Comment le savoir ?

Demander un renseignement quelconque à la buraliste qui voit circuler chaque jour des masses de voyageurs devant son guichet, il était inutile d'y songer.

Ce renseignement lui fut encore fourni par son chien.

En entrant dans la gare, Bob flaira les dalles jusqu'au guichet et là, il demeura une demi-minute, hésitant, embarrassé.

Puis il s'engagea résolument dans la baie ouverte pour l'escalier de droite, et il le descendit jusqu'au quai d'embarquement, où il s'arrêta net, le nez au-dessus de la voie.

Honoré, qui l'avait accompagné, savait ce qu'il voulait savoir.

Il remonta péniblement l'escalier en murmurant :

— Où aller maintenant ? Comment pousser plus loin les recherches ? J'ai fait un pas cette nuit ; j'ai fait un pas ce matin... À quoi cela m'avance-t-il ?... Ma chère mignonne, ma Rose adorée, où es-tu ?

Comme il prononçait tout haut ces dernières paroles avec des larmes dans la voix et qu'il se trouvait sur le trottoir de l'avenue d'Italie, les passants le considérèrent avec surprise d'abord, ensuite avec pitié.

Un homme qui pleure, un homme de l'envergure de Midoux qui montre au public un visage sillonné de larmes, c'est un spectacle digne d'émotion.

Le laitier s’aperçut de l'attention dont il était l'objet. Sans en rechercher l'explication, monta vite en voiture, tourna son cheval du côté de Villejuif et s'éloigna au grand galop.

[...]

Eveling RamBaud et E. Piron


Le 13e en littérature

La Folie Neubourg

Le faiseur de momies

par
Georges Spitzmuller et Armand Le Gay

Le promeneur qui remonte le boulevard Auguste-Blanqui dans la direction de la place d'Italie, est frappé par l'aspect pittoresque d'une vieille maison enclose dans le triangle formé par ce boulevard, la rue Edmond-Gondinet et la rue Corvisart.

(1912)

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La rue du Pot-au-Lait

Le drageoir aux épices

par
Joris-Karl Huysmans

Quelle rue étrange que cette rue du Pot-au-Lait ! déserte, étranglée, descendant par une pente rapide dans une grande voie inhabitée, aux pavés enchâssés dans la boue...

(1874)

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La gare de la Maison-Blanche

Le drame de Bicêtre

par
Eveling Rambaud et E. Piron

Honoré fit halte avenue d'Italie, devant la station du chemin de fer de Ceinture. Il sauta sur le trottoir en disant :
— Cherche, Bob, cherche !

(1894)

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Butte-aux-Cailles

Le Trésor caché

par
Charles Derennes

Depuis toujours on habitait, mon père et moi, sur la Butte-aux-Cailles ; encore aujourd'hui, ce quartier-là n'est guère pareil à tous les autres. Mais si vous l'aviez vu du temps que je vous parle ! Des cahutes s'accrochaient à la butte comme des boutons au nez d'un galeux ; ça grouillait de gosses et de chiens, de poux et de puces...

(1907)

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Ruelle des Reculettes

La petite Miette

par
Eugène Bonhoure

— Où demeure le pharmacien? demanda Furet.
— Au coin de la rue Corvisart et de la rue Croulebarbe.
— Est-ce qu'il y a deux chemins pour y aller ?

(1889)

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Tout le 13e

Taupin

par
Séverine

À l'horizon, passé la plaine de la Glacière, vers la poterne des Peupliers, les « fortifs » verdoyaient comme une chaîne de collines.

(1909)

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Quartier Croulebarbe

La vieillesse de Monsieur Lecoq

par
Fortuné du Boisgobey

Connaissez-vous la rue du champ de l’alouette ? Il y a bien des chances pour que vous n'en ayez jamais entendu parler, si vous habitez le quartier de la Madeleine. Mais les pauvres gens qui logent dans les parages l'Observatoire et de la Butte-aux Cailles savent parfaitement où elle est.

(1878)

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Saviez-vous que... ?

Le 19 juillet 1927, le nom de rue de Gentilly fut donné à la rue du Gaz. Le nom de rue de Gentilly avait été, jusqu'en 1899, celui de la rue Abel-Hovelacque d'aujourd'hui. Cette nouvelle rue de Gentilly perdit ensuite son nom au profit de Charles Moureu et d'Albert Bayet.

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Le Rassemblement National Populaire, parti fasciste créé par Marcel Déat en 1941 avait son siège dans une boutique du 14 boulevard Auguste Blanqui. Ce local servait aussi de siège à la Légion des Volontaires contre le communisme.

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En 1889, E. Pion, médecin vétérinaire, inspecteur de la Boucherie à Paris dénombrait 40 chèvres séjournant régulièrement à la Porte d'Italie et 15 à la Poterne des Peupliers.

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Afin que cesse la confusion entre la rue Thiers dans le 16e arrondissement et la rue Tiers dans le Treizième, on donna à cette dernière, en 1929, le nom de Paulin-Méry (1860-1913), ancien député du 13e (1889-1902), docteur en médecine, partisan et admirateur indéfectible du Général Boulanger, et victime des rayons X.

L'image du jour

rue Nationale - Quartier de la Gare (image colorisée)

La rue Nationale était l'axe majeur du quartier de la Gare. La rue Jeanne d'Arc n'était pas encore transversante et était dédiée à l'industrie. La rue Nationale rassemblait commerces et services. Elle était le centre de l'animation d'une vraie vie de quartier populaire qui fut voué à la destruction par son classement en « ilôt insalubre ».  ♦