Le meurtre de la rue de l’Hôpital
Le Siècle — 18 novembre 1852
Hier lundi, entre quatre et cinq heures après-midi, un meurtre a été commis, dans la commune d'Ivry, près Paris. Voici, sur ce déplorable événement, des renseignements recueillis par le Pays :
« Une femme, Louise Raisin, épouse du sieur Levoiturier, maître-maçon, rue de l'Hôpital, 8, à Ivry, avait coutume, lorsque son mari était absent, d'entrer dans divers cabarets de la commune, où il lui arrivait parfois de boire plus que de raison.
Hier, vers quatre heures, son mari, honnête et laborieux ouvrier, âgé de près de 60 ans, rentrait au domicile commun un peu plus tôt qu'il n'a coutume de le faire, lorsque, passant dans la rue du Château des Rentiers, il aperçut devant le comptoir de la femme P..., marchande de vins, sa femme, dont le visage animé trahissait les nombreuses libations. Il entra aussitôt dans l'établissement, et adressa à sa femme l'invitation quelque peu comminatoire d'avoir à rentrer immédiatement au logis. À cette injonction du sieur Levoiturier, sa femme répondit par un refus formel ; il la menaça alors, et, la querelle s'envenimant aussitôt, il lui porta au visage un soufflet, après quoi il la saisit par le bras et l'emmena dans la direction de sa maison malgré ses récriminations et ses plaintes.
» Dans le-trajet, s'il faut en croire la déclaration postérieure d'un témoin, la femme Levoiturier aurait tiré de sa poche un couteau dont elle aurait voulu frapper son mari, qui aurait paré le coup.
» Cependant, et quel que soit le plus ou moins d'exactitude de cette déclaration que l'instruction judiciaire éclaircira, la querelle entre Levoiturier et sa femme continua après leur arrivée à leur demeure. Une fois entrée dans la cour, la femme ne voulait pas pénétrer plus loin, et ce serait en ce moment qu'emporté par la colère, le mari se serait armé d'une lourde pelle de terrassier qui se trouvait sous sa main, et lui en aurait porté à la tête un coup tellement violent, qu'elle se serait aussitôt affaissée sur elle-même en s'écriant : « Assez ! Henri ! Arrête ! je vais rentrer ! » Elle n'en eut pas la force, et Levoiturier voyant qu'elle ne pouvait se relever, la prit dans ses bras et la porta dans l'intérieur.
» Les voisins, qui, attirés au bruit, avaient vu par leurs fenêtres la scène sanglante qui venait de se passer dans la cour, ne peuvent dire ce qui se passa alors entre le mari et la femme ; ils virent seulement celui-ci sortir quelques moments plus tard, puis après la femme Levoiturier paraître à son tour, ayant étanché en partie la sang qui coulait de la blessure qu'elle avait reçue à la tête, mais en portant encore d'abondantes marques sur ses vêtements.
» Moins d'une heure après, deux personnes qui passaient à l'extrémité de la commune, dans la direction de Paris, trouvèrent cette malheureuse femme étendue sans connaissance sous le porche d'une maison. Ils la relevèrent et la portèrent chez le commissaire de police qui, ayant aussitôt requis les docteurs Bourse, Fermet et Sénéchal, les deux premiers de Paris, et le troisième de la Maison-Blanche, constata qu'elle portait à la région temporale gauche de la tête une blessure de 8 centimètres de longueur paraissant avoir fracturé l'os temporal, et ayant dû nécessairement produire un épanchement intérieur. Peu après l'arrivée des hommes de l'art, et malgré l'empressement de leurs soins, la malheureuse femme Levoiturier expira, sans avoir repris un seul instant connaissance.
» Le commissaire de police, auquel avait été révélé dès le commencement de son enquête la part de culpabilité incombant au sieur Levoiturier dans ce meurtre, décerna aussitôt contre lui un mandat d'amener, et prévint le parquet de Paris, en même temps qu'il faisait procéder à son arrestation.
Ce matin, M. le juge d'instruction Desnoyers s'est rendu sur le théâtre du meurtre assisté d'un de MM. les substituts, du procureur de la République. L'inculpé Le voiturier, interrogé par ce magistrat, a nié avoir posté un coup à sa femme. Il a soutenu contradictoirement même avec les témoins auxquels il a été confronté, que la blessure qu'elle a reçue à la tête et qui a déterminé la mort est le résultat d'une chute qu'elle a faite contre le poêle au moment où il l'a poursuivait dans sa chambre. »
Cet individu a été envoyé sous mandat de dépôt à la préfecture de police, et le corps de sa femme a été transporté à la Morgue pour y être soumis à l'autopsie. »
Rue Harvey
Le 21 juin 1889, le journal l'Égalité écrivait :
" C’est dans le treizième arrondissement, quartier de la Salpêtrière, que se trouve la rue Harvey,
autrefois rue de l’Hôpital.
C’est assurément une des plus curieuses et des plus pittoresques voies du Paris pauvre
et misérable."
Pour Maxime du Camp, elle était "l'horrible rue Harvey, qui est un cloaque bordé par des antres sans nom." (Paris, ses organes, ses fonctions et sa vie dans la seconde motié du XIXe siècle)
Un peu d'histoire
La rue Harvey (165 mètres, entre la rue Nationale, 163, et la rue du Château-des-Rentiers, 206) fut ouverte en 1847 sous le nom de ruelle Saint-Honoré ; plus tard elle devint la rue de l'Hôpital. Par décret du 24 août 1864, elle devint la rue Harvey, en souvenir de William Harvey (1578-1657), médecin de Charles 1er, qui découvrit les lois de la circulation du sang (1576-1657). — Petite histoire des rues de Paris (1913)
La rue de l'Hôpital avait pour caractéristique, eu égard à sa situation hors de Paris avant 1860, au delà de la Barrière des Deux-Moulins de concentrer en son sein des marchands de vin et un dizaine de maisons publiques c'est-à-dire de maisons de prostitution comme le soulignaient Philippe Doré dans sa "Notice administrative, historique et municipale sur le XIIIe Arrondissement" ou les journaux quand il s'agissait d'évoquer cette rue qui, au fil des nouvelles, apparaissait dangereuse.
Plus tard, après l'annexion, la rue Harvey fut aussi le siège des activités de dizaines de chiffonniers et de petites industries. La mauvaise réputation de la rue persista voire même, s'amplifia dans les premières décennies du XXe siècle.
Après la première guerre mondiale, le peuplement de la rue Harvey changea, les chiffonniers qui l'occupèrent un temps presque exclusivement, se trouvèrent remplacés par la main d'œuvre immigrée de la raffinerie Say voisine ou de l'usine Panhard plus lointaine.
La rue Harvey disparut complètement en 1960 avec la destruction de l'ilôt 4. Apparemment, rien ne perpétue son souvenir à son emplacement.
Sur la rue Harvey
Faits-divers d'avant l'annexion
- Le meurtre de la rue de l'Hôpital - 1850
- Un assassinat aux Deux-Moulins - 1851
- Le meurtre de la rue de l'Hôpital - 1852
- La fabrique d’allumettes prend feu - 1853
- La fabrique d’allumettes prend feu (bis) - 1854