Le meurtre de la rue des Chamalliards.
Paris-libre — 14 juillet 1887
Ce crime horrible a produit, dans ce quartier si populeux, une émotion des plus vives.
Les époux Madelenat habitaient rue des Chamaillards, 80, depuis quelques mois seulement.
Le mari, Charles-Émile Madelenat, était âgé de trente-et-un ans ; sa femme. Marie Désirée Ticquet, avait le même âge que lui.

Tous deux s’étaient mariés il y a cinq ans. À cette époque, la femme était surveillante à l’hospice de Bicêtre, le mari était garçon boucher.
Après le mariage, ils firent l’acquisition d’un fonds de boucherie, avenue de Choisy, mais ne réussirent pas dans leurs affaires.
Depuis ce moment, la femme travaillait en journée, et le mari exerçait son commerce dans les marchés.
La femme Madelenat passait, dans le quartier, pour avoir une conduite des plus équivoque : elle s’enivrait et avait un amant, ce qui naturellement donnait lieu à de fréquentes querelles entre les deux époux ; mais Madelenat, qui se laissait aller à battre sa femme, n’était pas toujours le plus fort ; cette dernière est, en effet, d’une force peu commune, et elle ripostait souvent avec succès.
Vers neuf heures, avant-hier soir, Marie Madelenat rentrait chez elle ivre ; peu après son mari arrivait.
Dix minutes à peine s’étaient écoulées, qu’elle descendit les escaliers, les mains ensanglantées, et, faisant irruption dans la boutique de Mme Hume, épicière, au n° 80 de la rue, s’écria : « Je viens de donner un coup de couteau à mon mari. »
Mme Hume et un voisin, M. Barbier, montèrent au logement des époux Madelenat. Dans la chambre à coucher, ils virent étendu sur le parquet, le corps du mari portant, au-dessous de la clavicule gauche, une plaie d’où le sang s’échappait avec abondance.
Le malheureux, qui râlait, eut le temps encore de dire, en tournant la tête avant de rendre le dernier soupir :
— Ma femme m’a tué !
Pendant ce temps, la femme Madelenat était remise entre les mains des gardiens de la paix. M. Bolot, commissaire de police, arriva aussitôt, et, après avoir fait constater par un médecin le décès du mari, procéda à l’interrogatoire de la femme.
Revenant sur les premières déclarations faites à M. Hume, elle répondit que son mari s’était tué.
Le commissaire de police procéda alors à l’interrogatoire du petit Émile, le jeune garçon des époux Madelenat, âgé de 4 ans.
— Allons, mon enfant, raconte-moi ce qui s’est passé.
— Papa est mort.
— Non, mon chéri, il dort.
— Ah ! oui, répondit en pleurant le pauvre bébé, il dort bien. Il y avait du sang qui coulait. Ça a fait comme ça : boum ! C’est petite mère qui l’a tué, elle a pris le grand couteau qui était sur la table...
M. Bolot s’est rendu de nouveau, hier matin à 9 heures, au poste, décidé, dans le cas où la femme Madelenat ne voudrait pas avouer, à la mettre en présence de son enfant.
Il la trouva complètement abattue et pleurant abondamment. Elle était moins surexcitée que la veille.
Après quelques hésitations, elle fit en sanglotant au commissaire de police la déclaration suivante :
— Je n’ai jamais été heureuse en ménage, mon mari me battait toujours et ne voulait pas travailler. C’est moi qui l’entretenais. Il se grisait. Hier, il me chercha querelle comme d’habitude. Je lui lançai à la figure un morceau de viande, il me répondit en me giflant. Je sautai alors sur un couteau qui était sur la table et je le lui enfonçai tout entier dans le corps.
M. Bolot a envoyé la femme Madelenat au Dépôt, et a fait transporter le cadavre de Madelenat à la Morgue.
Le petit Émile Madelenat a été recueilli par ses grands-parents qui habitent rue du Château-des-Rentiers.