Toto la Crème et Bibi la Ripette
Dans le monde du trottoir
La Petite République — 10 février 1899
Fraid est un notoire souteneur qui « opère » dans le quartier d’Italie et porte l’élégant sobriquet de la « Crème des Gobelins ». Il avait jadis comme « marmite » la fille Lauriac, surnommée la « Belle », par antiphrase sans doute, car elle est laide affreusement. Leur liaison dura six mois, après quoi la « Belle », lasse d’être rossée trop régulièrement, lâcha la « Crème ». Aussi celui-ci, chaque fois qu’il la rencontrait, lui administrait-il une bonne volée, pour lui rappeler le passé.
Or, le 25 novembre dernier, à la foire des Gobelins, la « Crème » aperçut la « Belle » qui payait les chevaux de bois à un de ses collègues, connu sous le surnom de « Bibi la Ripette ». Du coup, il s’avisa d’être jaloux et furieux, il fit signe à la « Belle » de descendre. Celle ci s’en garda bien, préférant son nouvel amant à l’autre, pour cette raison, parait-il, qu’« il était plus costaud... au lit. »
La « Crème » attendit patiemment et, quand la « Belle » quitta le manège, il se précipita sur elle, la prit par les cheveux, la jeta a terre et tira sur elle un coup de revolver, qui ne l’atteignit pas, d’ailleurs.
Pendant ce temps « Bibi la Ripette », lui, était resté prudemment juché sur son cheval de bois, d’où il suivit avec tranquillité les péripéties de la scène.
Cependant la « Crème » avait pris la fuite, était rentré chez lui et s’était tiré un coup de revolver dans la poitrine. Bien que blesse au poumon, il eut la chance d’en réchapper, et hier il comparaissait devant la 10e chambre correctionnelle, où il a été moins heureux.
Le tribunal, en effet, après plaidoirie de Me Orgias, lui a octroyé une condamnation à treize mois de prison : il faut dire qu’il avait été déjà quatre fois condamné.