Le meurtre de l'Avenue d'Italie
L’Écho de Paris — 7 janvier 1903
Tué d'un coup de couteau. — Le pari d'un apprenti « Apache ».
La gloire malsaine dès Apaches de Paris empêche de dormir plus d'un mauvais garnement. De jeunes bandits rêvent d'un exploit qui leur ferait connaître, du jour au lendemain, les douteuses délices de la grande publicité.
Hier, nous racontions qu'un ouvrier tôlier, nommé Rollet, avait été tué avenue d'Italie, à six heures et demie après midi, d'un coup de couteau dont l'avait soudain frappé un jeune rôdeur passant près de lui.
Voici dans quelles circonstances fut perpétré ce meurtre stupide :
Quelques pâles voyous du quartier, parmi lesquels Louis Ferront, âgé de 18 ans, teinturier, demeurant 16, rue des Malmaisons ; son frère, Alfred Ferront, 16 ans, apprenti cordonnier ; Georges Courtil, 16 ans, également apprenti cordonnier, et Louis Gaubert, 15 ans, apprenti menuisier, demeurant 55, rue du Moulin-de-la-Pointe, avaient passé l'après-midi à boire et à flâner, s'excitant mutuellement au mal.
— Je parie, s'écria tout à coup un boiteux qui les accompagnait, nommé Georges Delhomme, âgé de 20 ans, dit « Becquillard », dit « Trois-Pattes », je parie que je dégringole tout à l'heure un pante !
— Tenu ! répliqua Louis Ferront.
— Eh bien, tu vas voir !
Et toute la bande se mit en quête du « pante » à dégringoler. Il était six heures du soir, les passants étaient assez nombreux dans l'avenue de Choisy. Pour se donner du courage, Delhomme, ayant avisé une voiture de livraison d'une distillerie stationnée devant un marchand de vins, profita de l'absence du garçon pour s'emparer d'un litre de rhum qu'il alla boire dans l'avenue d'Italie.
Quelques instants plus tard, M. Rollin, et non Rollet, comme nous l'avions écrit par erreur, entrepreneur de fumisterie, âgé de quarante-deux ans, et demeurant 152, avenue d'Italie, passait devant les vauriens pour rentrer chez lui. Delhomme s'élança, armé de son couteau-poignard à cran d'arrêt. Il plongea l'arme terrible dans le dos du passant, qui tomba sans pousser un cri. Toute la bande s'enfuit. Les passants n'ayant pas compris ce qui arrivait n'essayèrent pas de les arrêter et s'assemblèrent autour du blessé, qu'ils croyaient renversé d'un simple coup de poing. Quand on vit sa pâleur et le sang qui coulait, on le releva et on le porta en hâte dans la pharmacie située avenue d'Italie, 160. Il y rendit le dernier soupir. L'arme, traversant l'épaule gauche, avait perforé les poumons.
Une demi-heure plus tard, Delhomme, dit Trois-Pattes, était ramassé sur la chaussée de la rue de la Vistule, par des agents qui le trouvèrent là, ivre-mort. On le porta au poste de la rue Nationale. Quand il fut dé grisé, il avoua son crime, accusant l'ivresse d'être toute la cause du mal.
Son couteau a été retrouvé sur le toit d'une maison, 22, rue des Malmaisons. On suppose qu'un des amis du jeune malfaiteur l'a jeté là.
Les vauriens, dont nous citons plus haut les noms, ont été arrêtés hier et ont rejoint au Dépôt le boiteux, qui y était depuis la veille.