UNE ÉVOCATION DU
13E ARRONDISSEMENT DE 1860 AUX ANNÉES 30
Jeudi 30 juin 2022
Le 13e dans la littérature
Littérature
Robespierre
par Henri-Jacques Proumen
Le Populaire : organe du parti socialiste (S.F.I.O.) — 16 juillet 1932
Il pouvait avoir cinq ans, ce petit Riquet de la rue Croulebarbe. On lui en eût donné quatre tout au plus, tant il était fluet Son pauvre petit corps se dandinait sur deux longues pattes de faucheux qui prenaient assise dans deux godasses démesurées, où ses petons devaient se donner de l'air, à droite, à gauche comme le grain d’un grelot. Avec cela, une pauvre figure pâlotte et trop longue, deux grands yeux trop noirs, ardents comme de la braise, un menton pointu et un nez morveux, que le bon Dieu avait, d'une croquignole, retroussé en croupion de poulet. Pas beau, certes, le petit Riquet ! Pas bien gracieux non plus : silencieux presque toujours, et la lèvre tremblante, comme s'il allait pleurer, lorsqu'on lui parlait.
Il n'avait pas de camarades de jeux. J'entends par là que les petits gars de la place d'Italie, de la ruelle des Gobelins et de la rue des Marmousets ne l'enrôlaient pas lorsqu'ils partaient, baguette au poing, faire le siège du marché Mouffetard. Autrefois pourtant, lorsqu'il avait quatre ans, Riquet avait joyeusement patrouillé par les venelles et les ruisseaux. Il avait connu l'ivresse des macules, la joie des souliers pleins d'eau, qui font : « flic, flac », lorsqu'on les traîne. C'était au temps où Jeanjean, le frère de Riquet, son ainé de deux ans, vivait encore et défendait son cadet contre les poings de Poupou-Bamban, de Tutur- blair-de-chat et de Dodore-la-Trouille. À présent que Jeanjean était mort, on rossait l'infortuné Riquet, tant et si bien qu'il se disait gémissant et contus :
« J'veux plus les voir, ces animaux-là ! Y m'fichent des gnons à me démolir ! »
Il les fuyait par peur, et baguenaudait, seul, sa figure pâle perdue parmi les figures anonymes et innombrables. Parfois, le soir, recru, morose comme les enfants auxquels personne n'adresse une parole ou un sourire, il demandait à sa mère qui réchauffait la soupe :
— Jeanjean est devenu un ange, dis, petite maman ?... Mais y m'a laissé tout seul!... C'est bien embêtant !
Maman le regardait avec des yeux fixes, tout rouges, sans répondre.
Un beau jour que Riquet trôlait tout seul, à sa coutume, dans la rue Croulebarbe, il lia connaissance avec Robespierre. Celui qui portait ce nom glorieux n'avait rien de la sobre élégance ni de la froide raison du conventionnel. Il ne portait ni habit à hauts revers, ni cravate éblouissante, ni perruque poudrée. Il avait de grands yeux pleurards et une moustache boueuse, de vastes oreilles tombantes et de grosses pattes torses. Robespierre était un chien.
Un pauvre chien mi-épagneul mi-griffon, coiffé, par un carabin facétieux, du nom de l'Incorruptible. Il avait passé de mains en mains pour devenir, enfin, le gardien et le compagnon de Mme Puivert, la vieille crémière de la rue Croulebarbe, la voisine de Riquet.
Ah ! la chaude sympathie qui, dès la première heure, poussa Riquet et Robespierre l'un vers l'autre, à la manière de deux âmes qui se sont cherchées longtemps à travers le monde et se trouvent enfin, pour se palper, s'étreindre, se compléter, se comprendre ! Puis la tendresse, la confiance, le perpétuel besoin l'un de l'autre, lorsqu'ils se connurent mieux ; Riquet, qui avait tant souffert des petits hommes méchants, avait un ami, un grand ami, qui se roulait avec lui, éperdument, dans la poussière, jappait joyeusement, sa queue frisée en panache frétillant, et se guindait jusqu'aux pauvres joues maigres du gosse pour y appliquer, en baisers humides, la caresse de sa langue.
Les bonnes parties qu'ils firent tous deux ! Doté de pattes véloces, Robespierre détalait ; Riquet le suivait en clochant, de guingois sur ses échasses de héron, il apprit à courir, le pauvre gosse, et même, parfois, il prit l'avantage sur Robespierre. Au vrai, ces moments-là, le barbet regardait l'enfant avec de bons yeux rigoleurs qui semblaient dire :
« Faut bien que j'te laisse gagner de temps en temps ! Si je voulais pourtant... ». Il avait l'air de sourire, vraiment, le brave Robespierre ! Et cette gaîté oui se lisait sur sa face crottée faisait rire aux larmes le petit Riquet. Oui, ce fut Robespierre qui lui apprit à rire...
Qu'importe maintenant à Riquet que les gosses du quartier le dédaignassent ! Il avait Robespierre, son grand ami ! Et même Poupou-Bamban, Tutur-blair-de- chat, et Dodore-la-Trouille n'osaient plus lui allonger des mornifles, en passant, ni même le menacer de loin. Robespierre grondait, les crocs menaçants, sitôt qu'il reniflait de loin leurs guenilles Et, comme ils étaient lâches, ils fuyaient.
Hélas ! le destin renverse comme château de cartes ce que les hommes ont échafaudé pour leur bonheur. Mme Puivert, la crémière, mourut. Ce jour-là, Robespierre erra par les rues et la nuit, vint se coucher devant la boutique fermée. Riquet partagea son pain avec lui. Il supplia ses parents d'adopter Robespierre. Mais le père s'écria, en levant les épaules :
— Un chien ? Penses-tu ! On a déjà toutes les peines du monde à nouer les deux bouts !
— Personne ne lui donne â manger ! dit le petit, des larmes dans la voix.
— Tant pis ! reprit le père avec un geste de lassitude... Après tout, ce n'est qu'un cleb !
Il ne savait pas, cet homme, toute la tendresse qui unissait Riquet à Robespierre, ni la douleur qui déchirait le cœur de l'enfant.
Le lendemain le petit coula un quignon de pain dans sa poche et se dit : « J’le donnerai à Robespierre !... J'lui en donnerai tous les jours » Mais le chien ne vint pas à sa coutume, se jeter sur lui en lui léchant les mains. Le gosse s'informa. Personne n'avait vu Robespierre. Alors, le petit Riquet se dit : « J'm'en vas le chercher. »
Il fureta partout, dans les recoins de la ruelle des Gobelins, de la rue des Marmousets, de la place d'Italie, où il s ébattait avec le chien, Les passants qu’il interrogeait lui tournaient le dos, indifférents. Il s'adressa à un agent de police, fort civilement, son petit bonnet à la main.
— M'sieu. l'agent, vous n'avez pas vu Robespierre ?
— Robespierre ? Ah çà ! morveux, est- ce que tu veux te f... de moi ?
Riquet s'en alla plein de peur. Il enfila l'avenue de Choisy en se disant : « C'est p't'être par là qu'il a filé ? » Le soir on le trouve, défaillant de froid et de faim dans les rues d'Ivry.
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Le petit Riquet est au lit. II a la fièvre depuis trois jours et divague :
— On ne retrouvera plus Robespierre. Jamais, jamais !... Qu'est-ce que je vois faire, moi ?. Robespierre ! Pourquoi donc que t'es parti j't'aurais donné à manger puisqu'y n'voulaient pas, les autres!...
Il geint. Ses petites mains caressent un toutou imaginaire, puis grattent le drap.
Près de l'enfant, maman sanglote.
Soudain, les yeux de Riquet s'ouvrent, remplis d'extase. Il balbutie :
— Jeanjean, écoute-moi… T’es un ange toi. Et moi, j'suis un pauvre petit gars pas heureux !... Robespierre, on l'a tué... Il est près de toi. Alors, Jeanjean, viens me chercher !... J'deviendrai un ange comme toi !...
Maman vit, en cet instant, les yeux de Riquet s'allumer d'une splendeur singulière pendant que ses lèvres murmuraient :
— Robespierre, mon vieux cabot...
Puis les lèvres se turent et les yeux devinrent fixes, pleins d'une vision si belle, qu'elle brillait comme un feu d'étoile.
Il existe à Paris, dans les quartiers perdus, des rues mornes et désertes qu'on traverse avec un sentiment de stupeur.
Un instant plus tard, elle était dehors dans le terrain vague qui descendait en pente rapide vers la vallée de la Bièvre...
Un homme s'arrêta sur la route, près de Gentilly. Il considéra le paysage misérable et puissant, les fumées vénéneuses, l'occident frais et jeune comme aux temps de la Gaule celtique.
Si l'auteur nomme une poterne des Tilleuils, c'est bien de la poterne des Peupliers dont s'agit.
Un des coins de Paris, misérable et sinistre. La longée des fortifications plantées d'arbres en double ou triple rangée, le côtoie pourtant de verdures plaisantes durant la belle saison, mais, en réalité, sépare pour ainsi dire cette région parisienne du reste du monde. Du haut de la rue des Peupliers...
C'est là un quartier étrange, inconnu, à peine soupçonné de la part des Parisiens...
Où Emile Gaboriau fait découvrir le quartier Croulebarbe à ses lecteurs.
La cité Jeanne-d'Arc est ce vaste ensemble de bâtiments noirs, sordides et lugubres percés comme une caserne de mille fenêtres et dont les hautes façades s’allongent rue Jeanne-d'Arc, devant la raffinerie Say.
L'homme suivit d'abord la rue de Tolbiac, puis s'engagea par ces voies ténébreuses, bordées de planches, de lattes et de pieux, qui montent vers la Butte-aux-Cailles. Les oiseaux des réverbères dansaient dans leurs cages de verre. On apercevait des terrains fauves, des chaînes de bosselures, des rampes de lueurs, des phares dans un trou du ciel, et, du côté de la Butte, un nuage de feu pâle évaporé sur Paris...
Le 20 février 18.., un dimanche, qui se trouvait être le dimanche gras, sur les onze heures du soir, une ronde d’agents du service de la sûreté sortait du poste de police de l’ancienne barrière d’Italie.
La mission de cette ronde était d’explorer ce vaste quartier qui s’étend de la route de Fontainebleau à la Seine, depuis les boulevards extérieurs jusqu’aux fortifications.
Ces parages déserts avaient alors la fâcheuse réputation qu’ont aujourd’hui les carrières d’Amérique.
Les travaux du chemin de fer de Ceinture, toujours conduits avec la même activité, sont terminés sur une grande partie, du parcours, en ce qui concerne les terrassements et les ouvrages d'art ; aussi a-t-on, déjà commencé le ballastage, la pose des voies et l'édification des bâtiments de stations. (1866)
Il était 8 heures du soir, mardi, quand M. Fauvel, secrétaire au commissariat du quartier de la Gare, fut averti par téléphone que deux coups de revolver venaient de retentir dans un débit, rue Nationale.
On continue à s'occuper très sérieusement du tracé du chemin de fer de ceinture sur la rive gauche ; les études du pont à jeter sur la Seine et celles du viaduc dans la vallée de la Bièvre sont maintenant terminées. (1861)
Hier matin, M. Boudeau, commissaire de sûreté du 4e district, ainsi que M. Fauvel, secrétaire du commissariat de la Gare, avaient acquis la certitude que Gauzy avait été blessé à l'intérieur du café des Trois Marches vertes et que le chiffonnier Georges Colson avait dit vrai
Vous ne connaissez pas le passage Moret, cela n'est pas surprenant, car, sauf ses malheureux habitants, leur conseiller municipal qui se débat comme un diable pour les secourir, chacun à l'envi les oublie. Chaque fois que les représentants de l'administration se souviennent de ce restant de l'Ile des Singes, c'est pour lui causer un dommage nouveau. (1925)
Les inspecteurs du quatrième district ont retrouvé les deux clients qui, consommant mardi soir au café des Trois Marches vertes, furent témoins de l'attentat.
Les pauvres et déplorables locataires de la ville de Paris, dans son domaine de l'Ile des Singes, partie dénommée sur la nomenclature le Passage Moret, vont apprendre avec joie que l'inondation de leurs taudis, par en haut, va cesser à bref délai. (1925)
Par la même occasion, les inspecteurs ont arrêté Emmanuel-Léon Odoux, l'ivrogne qui dimanche avait blessé sa voisine de deux coups de couteau.
Dans le populeux quartier des Gobelins, il est un groupe de gens à qui l'on a mis le bonheur — bonheur relatif, d'ailleurs — à portée de la main, et qui se disputent au lieu de le cueillir sagement. Ces gens demeurent sous le même toit, 9, passage Moret, voie vétuste qui semble être restée dans le même état qu'au temps des mousquetaires. (1926)
Hier matin, Mme Hugon, qui possède, rue du Chevaleret, un « Café-restaurant-blanchissage », entre dans le terrain vague attenant à sa maison.