Littérature



Cœur d’enfant

par Charles de Vitis (1899)

Première partie
Le secret de Jacques

[...]

Dans l’avenue Friedland, le comte descendait tranquillement vers Paris, fumant tranquillement son cigare, comme un brave bourgeois.

Il continua ainsi tout le long du boulevard Haussmann et prit une voiture qui passait à vide, près de l’église Saint-Augustin.

— Cocher, boulevard de la Gare, près la gare d’Orléans, je vous arrêterai à temps.

Edith avait entendu. Elle appela aussi une voiture et désignant celle où le comte venait de monter :

— Suivez cette voiture, sans vous faire remarquer. Il y a cent sous pour vous.

— Bien, madame, répondit l’automédon.

Les deux fiacres marchèrent de conserve. Ils étaient à l’heure tous les deux, c’est-à-dire qu’ils n’allaient pas très vite.

Au bout de vingt minutes, le cocher du premier se retourna vers le second, qui arrivait presque à ses côtés, dans un carrefour encombré.

Il avait deviné le manège. Un sourire gouailleur éclaira leurs deux grosses figures. Il dit à mi-voix :

— Crains rien, mon vieux, je te ferai pas trop courir. Regarde donc mon numéro ; ça t’aidera pour me retrouver.

— Là ousque j’vas ? dis-le-moi. C’est-y loin ? Est-ce que je vas te faire longtemps la conduite, comme à l’enterrement ?

XIX

La cité Doré

À la hauteur de la place Pinel et de l’abattoir, entre le boulevard de la Gare et le boulevard de l’Hôpital, s'étend un vaste terrain qui est loué par bail à divers locataires. Le type même de la saleté et de la misère imprévoyante se trouve dans le rassemblement de masures, coupé de ruelles en zigzag et qu’un hasard ironique fait appeler cité Doré. Les cours des miracles devaient être ainsi.

De quoi se compose la population qui gîte dans ces niches malsaines, plus malsaines et plus horribles que celles qu’on traverse en Afrique ou dans le fond de l’Asie ? On ose guère le demander.

Comme dans l’endroit que nous avons décrit précédemment, les maisons sont basses et n’ont qu’un rez-de-chaussée : la plupart de ces maisons sont occupées par deux familles. Le père et la mère couchent dans un vieux bois de lit, nid à punaises ; les enfants sur des chiffons amoncelés.

Ces chiffons exhalent une odeur aigre et douçâtre, mais les habitants de ces pauvres intérieurs y sont devenus insensibles.

Des cabarets s’ouvrent à tous les coins. Quand on boit on oublie.

Des joueurs d’orgue tournent leur insupportable manivelle devant des groupes d’enfants presque si peu habillés qu’ils ont l'air d’être nus.

C’est à cette vue que le cœur humain se serre et qu’il se demande si les enfants élevés dans cette fange peuvent être coupables et responsables des actions infâmes qu’ils commettent ?

C'est vers ces lieux que se dirigeaient la voiture où était monté te comte Hugues d’Anouville.

C’est dans une de ces maisons qu’étaient venus échouer Grain de Sel et Fifine. L’argent que leur avait donné le comte avait été vite épuisé au jeu et au cabaret et ils attendaient, anxieux, le retour d’Hugues. Son départ tes avait déroutés. Est-ce qu’il essayerait de leur échapper ? Était-ce possible ?

La misère recommençait à frapper à leur porte et Fifine avait dû reprendre son ancien métier. D'ailleurs en cette occasion, il servait leurs noirs projets.

La mémère mendiait, mais dans les environs de l’hôtel d’Anouville. Elle faisait de bonnes journées dans ce quartier riche. Personne ne lui disputait la place ; entre mendiants il y a le respect de la place acquise.

Donc, elle louait un enfant à un chiffonnier voisin, moyennant cinq francs par jour. Elle trainait près elle cet enfant dont les cris excitaient la compassion publique.

On s’arrêtait parfois, on interrogeait la vieille femme.

L’enfant souffrait, disait-elle, d’une ophtalmo terrifie qu’aucun docteur n’avait pu guérir. Un bandeau cachait l’œil malade. Les gens riches, papas ou mamans attendris et songeant à leurs propres enfants plus heureux, vidaient leur bourse dans la main de la pauvresse.

— Merci, Monsieur ! merci, bonne dame !

— Pauvre mère ! disait-on, en s’éloignant.

Pauvre mère ? Ah ! si l’on avait pu savoir combien elle profanait ce nom sacré ! Si l’on avait connu le monstre qu’on avait devant les yeux !

Cette mère prétendue, tous les malins, aimant de quitter la cité Doré, posait sur l’œil de l’enfant loué —du martyr ! — une coquille de noix dans laquelle elle avait introduit préalablement une araignée, — vous entendez ! une araignée ! — puis elle roulait solidement sur le tout un sordide bandeau de toile (1).

L’enfant, trop petit pour se plaindre, ne pouvait parler, mais il souffrait comme un damné ! Et Fifine ramassait l’argent allègrement  Et, le soir venu, le père, l'ignoble père, fainéant qui passait sa vie dans les cabarets, ramassait l’argent allègrement !

O Paris ! Paris ! quels tigres tu nourris !

Et les bons Parisiens parfois s’arrêtaient encore pour lire un excellent certificat fabriqué de toutes pièces et produit par le bourreau femelle. Ce certificat attestait que son mari avait été tué et tous ses biens détruits par la foudre. Elle arrivait de son village et demeurait toute seule avec dix enfants en bas âge.

— Les Parisiens sont si gobeurs ! pensait-elle.

………………………………..

Quand il eut dépassé l’hôpital de la Salpêtrière, à la hauteur de la rue Jenner, le comte descendit de voiture et pria le cocher de l’attendre là.

Il fil quelques pas sur le trottoir et avisant un ouvrier :

— Cité Doré, mon brave, s’il vous plaît ?

L’autre le toisa :

— D’abord je ne suis pas « vot’brave » et puis je sais pas.

Hugues fouilla dans sa poche et tira une pièce de dix sous, qu’il lui tendit.

L’homme la prit et dit seulement alors :

— Celle-là, droit devant vous et deuxième à droite.

Puis il tourna le dos.

Vingt pas en arrière, Édith guettait, la tête à la portière.

Quand elle vit le comte descendre, elle frappa un coup au carreau.

Son cocher s’arrêta net.

— Attendez-moi ici, lui dit-elle.

Le cocher pensa :

— Sapristi ! c’est des drôles d’endroits pour faire une poursuite.

Mais Édith poursuivait cependant, réglant ses distances sur son maître qui marchait lentement. Il arriva devant la porte de la cité qui était entrebâillée ; il la pousse avec le bout de sa canne.

Édith venait derrière.

Ils trébuchaient dans les tas d’ordures qui encombraient la voie.

Pas ou peu d'éclairage. Pourtant, çà et là, on traversait de larges tâches blanches, projetées par les devantures des cabarets. Des cabarets qui étaient des bouges souvent.

On voyait à travers les carreaux se dérouler des scènes ignobles, et groupés dans la rue, des petits enfants de six à dix ans les suivaient avidement des yeux.

Ils étaient si absorbés par ces spectacles malsains, qu’ils ne prêtèrent aucune attention aux deux étrangers.

[...]


(1) Le fait s est passé à Reims devant la poste. Un médecin enleva le bandeau d'un enfant torturé ainsi et découvrit la supercherie. (Note de l'auteur.)

Le 13e en littérature

La gare de la Maison-Blanche

Le drame de Bicêtre

par
Eveling Rambaud et E. Piron

Honoré fit halte avenue d'Italie, devant la station du chemin de fer de Ceinture. Il sauta sur le trottoir en disant :
— Cherche, Bob, cherche !

(1894)

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Butte-aux-Cailles

Le Trésor caché

par
Charles Derennes

Depuis toujours on habitait, mon père et moi, sur la Butte-aux-Cailles ; encore aujourd'hui, ce quartier-là n'est guère pareil à tous les autres. Mais si vous l'aviez vu du temps que je vous parle ! Des cahutes s'accrochaient à la butte comme des boutons au nez d'un galeux ; ça grouillait de gosses et de chiens, de poux et de puces...

(1907)

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Ruelle des Reculettes

La petite Miette

par
Eugène Bonhoure

— Où demeure le pharmacien? demanda Furet.
— Au coin de la rue Corvisart et de la rue Croulebarbe.
— Est-ce qu'il y a deux chemins pour y aller ?

(1889)

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Tout le 13e

Taupin

par
Séverine

À l'horizon, passé la plaine de la Glacière, vers la poterne des Peupliers, les « fortifs » verdoyaient comme une chaîne de collines.

(1909)

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Quartier Croulebarbe

La vieillesse de Monsieur Lecoq

par
Fortuné du Boisgobey

Connaissez-vous la rue du champ de l’alouette ? Il y a bien des chances pour que vous n'en ayez jamais entendu parler, si vous habitez le quartier de la Madeleine. Mais les pauvres gens qui logent dans les parages l'Observatoire et de la Butte-aux Cailles savent parfaitement où elle est.

(1878)

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Ruelle des Reculettes

Les Monstres de Paris

par
Paul Mahalin

Le noctambule par goût ou par nécessité — comme Paris en a tant compté depuis Gérard de Nerval jusqu'à Privat d'Anglemont — qui se serait aventuré, par une nuit boréale de novembre dernier, à l'une des embouchures du passage des Reculettes, y aurait éprouvé l'impression d'un rêve persistant à travers la veille, et s'y serait cru transporté dans ce monde de la chimère et du fantôme...

(1879)

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Quartier Croulebarbe

Robespierre

par
Henri-Jacques Proumen

Il pouvait avoir cinq ans, ce petit Riquet de la rue Croulebarbe. On lui en eût donné quatre tout au plus, tant il était fluet Son pauvre petit corps se dandinait sur deux longues pattes de faucheux qui prenaient assise dans deux godasses démesurées...

(1932)

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Saviez-vous que... ?

En 1887, Camille Claudel vivait dans un atelier loué pour elle par Auguste Rodin, la Folie Neubourg ou Clos Payen, 68 boulevard d’Italie, actuel boulebard Blanqui

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Gustave Geffroy (1855-1926) fut directeur de la Manufactures des Gobelins. Il n'est donc pas anormal que la rue qui porte son nom soit située tout près de celle-ci.

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C'est le 10 juillet 1899 que le Conseil municipal de Paris décida de donner le nom d'Abel Hovelacque à la rue de Gentilly.

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Le 11 aout 1907, un corbillard, qui se rendait, à trois heures de l'après-midi, au cimetière de Gentilly, a été tamponné, à l'angle de la rué de Tolbiac et du passage du Moulinet, par un tramway de la ligne Vincennes-Saint-Cloud. Le cercueil, rapportait le Figaro, qui était tombé sur la chaussée, ne s'est pas ouvert et a été replacé sur le corbillard, qui a pu continuer sa route. Mais pour la Justice, le cercueil fut projeté à terre, se brisa et le corps du défunt roula sur la chaussée.
Ce macabre accident, ajoutait la Justice, a suscité, parmi la foule des promeneurs, une pénible émotion.

L'image du jour

La folie Neubourg sur le boulevard Auguste Blanqui, déjà en partie démolie.