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ASSASSINS !!!
par
Louis Dagé et Paul Vernier
(1881)
PREMIÈRE PARTIE
La Masure du Corbeau Rouge
II
La Masure du Corbeau Rouge
(suite)
— N’insistez pas ! Parole ! ça nous désoblige... là ! vrai !
C’était l’entêtement de la brute !
Aimée le comprit, et, se tordant les bras dans les spasmes du désespoir, elle adressait à Dieu cette invocation suprême :
— Mon Dieu ! mon Dieu ! Secourez-moi.
Sans-Malice haussa les épaules d’un air de commisération et dit à son compagnon.
— Me voilà repiqué (réchauffé) et tout à fait neuf (remis) ; vas dégoiser (dire) à Polydor que le poupard a pris le biberon (l’affaire a réussi). Toi, ouvre l’œil !
Là-dessus, il se leva et sortit, laissant la prisonnière sous la garde de Négriot.
Celui-ci continua à boire de l’eau-de-vie.
Livré à cette occupation, avec toutes les marques d’une avidité effrénée, le bandit n’entendit pas un autre gueux de son espèce, qui, ayant aperçu un filet de lumière à travers les interstices des planches, s’était approché à pas de loup, avait considéré un instant Aimée d’Évry et finalement était entré dans le taudis.
Cet homme répondait, dans la pègre, au sobriquet significatif de l’Assommeur.
C’était un solide gaillard, doué d’une force herculéenne, que sa vigueur et son audace avaient rendu redoutable à tous. Il était craint, et, en général, personne n’osait lui tenir tête.
Or, ce soir-là, l’Assommeur était ivre. Il s’était poivré en compagnie de Mimi-Faucheux qui, ensuite, l’avait abandonné sans plus de façon.
Il suit de là que le nouvel arrivant était, au milieu de son ébriété, dans une disposition d’esprit peu rassurante et qui pouvait s’analyser ainsi : d'une part, il n’eût pas été fâché de passer sa mauvaise humeur sur le dos d’un étranger ; d’autre part, il eût été ravi de rencontrer une beauté quelconque qui lui permît d’assouvir ses passions surexcitées précédemment parles œillades provocantes et les mots fringants de l’infidèle Mimi-Faucheux.
Cette double pensée de l'ivrogne trouva son objectif dans le réduit où gisait Aimée d’Évry éplorée et Négriot à moitié saoul.
Par un raisonnement assez lucide, l’Assommeur se dit qu’il lui serait aisé de trouver un exutoire à sa colère sur les épaules de son camarade et de satisfaire ses desseins lubriques avec cette femme qui ne pouvait être, en somme, une vertu bien farouche.
Et quand même il se tromperait sur ce point, qu’est-ce que ça pouvait lui faire ?
Ce fut dans cette double et louable intention que l'horrible gredin entra dans le taudis.
D'une voix avinée, éraillée, il dit à Négriot sur le ton du commandement :
— Toi, tu vas filer !
— Tiens, et pourquoi ça ? interrogea l’autre avec un hoquet.
— Parce que je le veux !
— Et si je ne veux pas, moi ?
— Alors je cogne.
Cette menace parut produire une certaine émotion sur l’esprit de l’ivrogne, qui eut un éclair de raison.
— Tu sais, dit-il vivement, si tu denazes (toucher) la môme, tu barbottes dans le reliquaire (tu fouilles dans les affaires) à M’sieu Polydor.
— Ah ! le gaillard ! Paraît qu’il lui faut du nanan ! des morceaux en sacre candi ! excusez !... au fait, tiens ! ça me botte ? je vas lui grimacer le singe (jouer un tour) à papa Polydor !
— Quoi donc ? interrogea, l’ivrogne avec inquiétude
— Ma foi, elle est gironde (belle) la gosse (l'enfant) ; je vas m'offrir une tranche de ses charmes.
— Tu ne feras pas ça !
— Non ! j’vais m’en priver ! Plus souvent que je m’en gênerai !
— Je m’y relinche, moi !
— Ah ! tu fais le malin, j’aime mieux ça ! attention à ta boule de loto ! je vais te la marquer ! — Sur ce, le colosse asséna un vigoureux coup de poing sur la tête de son antagoniste qui chancela, tournoya, grimaça avec un rictus sanglant, et finalement tomba comme une masse
— Là ! murmura le coquin victorieux ; maintenant tu ne me gêneras pas.
Et il s’approcha da Mlle d'Évry.
Assise sur la petit lit de fer, la figure cachée dans ses mains, pleurant et sanglotant tout à la fois, la pauvre enfant était restée parfaitement étrangère à la scène qui venait de se passer. Absorbée dans sa douleur, l’œil atone, elle ne voyait rien, n’entendait rien, absolument rien. Tout ce qui se passait la rendait folle.
Plein de luxure, la lèvre pendante, le misérable, qui tenait la jeune fille en son pouvoir, se rapprocha d’elle et, écartant ses deux mains du visage, la considéra durant quelques minutes, le regard étincelant de passion lubrique.
La victime frissonnait de peur instinctivement...
Le monstre lui adressa enfin la parole :
— Faut pas te désoler, ma chatte ! c’est sans doute ce pante de Négriot qui t’embêtait. Mais tu as troqué d’amoureux, maintenant, et je me vantarde d’être plus chic que l'autre.
Tu gagneras au change et t’auras de l’agrément, va ma bichette !... Allons, aboule ! Ne me fait pas poser : ça ne mord pas avec bibi.
L’infortunée regardait cette brute et l’écoutait parler sans comprendre. Mais un geste vint bientôt lui faire sentir toute l’horreur de la situation.
Elle se leva comme poussée par un ressort et s’élança vers la cloison en planches en criant :
— Au secours ! au secours !
— Des manières ? fit l’homme en esquissant un sourire idiot ; je vas t’en flanquer, moi, des manières !
Il se leva, prit la jeune fille entre ses bras nerveux et la déposa de force sur la couchette :
—Ne bougeons plus ! accentua-t-il en accompagnant ces mots d’un geste menaçant.
Puis, avec un ricanement de satyre, il ajouta :
— Tu vaux mieux que Mimi-Faucheux ; j’ai pas perdu au change, toi non plus.
La malheureuse victime de cet odieux guet-apens pleurait dans des spasme nerveux ; c’étaient des larmes bien inutiles !
Décidément la fille du marquis Gaëtan d'Évry était perdue, bien perdue.
Son bourreau s’approcha d’elle !... Mais à ce moment la cloison vola en éclats et deux hommes bondirent dans le taudis.
Était-ce le salut ?