Livre premier
Le bras marqué
XLIII
LES CAGOULES NOIRES
Le Un et le Deux, suivis de Paulin Broquet et son lieutenant Gabriel,
s'engagèrent dans l'ouverture de la trappe, juste assez large pour donner
passage à un homme. Sur eux, la trappe se referma... et les barres la
scellèrent.
On ne pouvait maintenant ouvrir la trappe que si ces barres de sûreté étaient
manœuvrées.
Un escalier en pierre, qui tournait en colimaçon rapidement, reliait le
cabinet où les quatre compères se trouvaient, aux galeries dans lesquelles tout
l'heure allait s'engager la bande des Zigomar.
Ces galeries faisaient partie des anciennes carrières d'où l'on tira pendant
des siècles les pierres dont s'édifia Paris.
C'était un embranchement oublié, perdu, des catacombes, dont l'entrée
officielle se trouve, on le sait, assez loin de là, sur la place
Denfert-Rochereau.
Les catacombes forment sous Paris un réseau d'une étendue considérable, que
l'on ne connaît pas entièrement, que l'on ne repérera probablement jamais.
Le réseau officiel, réparé, arrangé, répertorié, qu'on visite, n'est pas le
plus intéressant.
Il en est d'autres, séparée de lui par des écoulements, qui forment des
réseaux, spéciaux, et sont autrement pittoresques et attrayants.
Quelques-uns même, car ils sont variés à l'infini, se trouvent en plus ou
moins mauvais état et sont aujourd'hui des caves bien tranquilles, sous des
maisons bourgeoises.
D'autres, demeurés secrets, ont gardé leur caractère dramatique de
souterrains où se tiennent des assemblées dans le genre.de celle qui allait
avoir lieu dans quelques instants.
Les catacombes qui commençaient sous le débit sinistre de la « Baleine »
partaient dans la direction de Gentilly, mais se trouvaient coupés par des
éboulements ou des travaux de maçonnerie, à la hauteur de la Butte-aux-Cailles.
Le quartier dans lequel ces catacombes passaient était alors des plus curieux
pour les amateurs du Paris dramatique —du Paris spécial qui ne ressemble en rien
il l'autre — au Paris-Lumière.
Autrefois la basse pègre tenait ses assises autour de Notre-Dame, dans la
Cité, puis dans le quartier Saint-Séverin.
Celle qu'on montra longtemps aux grands personnages en tournée dans des
établissements portant des noms effroyables n'était formée que de figurants du
crime. La vraie n'était pas là.
Cette population énorme s'est éparpillée en différentes régions de la
capitale. Elle prend, selon le quartier, un caractère différent.
Les malandrins de Montmartre, de Belleville ne ressemblent pas à leurs
confrères du Maine ou du Sébasto. Ceux de la barrière d'Italie ne sont pas les
mêmes que leurs cousins germains établis au Point-du-Jour.
Une seule chose leur est commune : le crime.
L'antre de « la Baleine » donnait sur la rue Jonas, comme nous l'avons dit.
Cette rue au nom biblique se trouvait dans un grouillement de petites voies
étroites, courtes, basses, tortueuses, qui forment un coin à part dans ce
quartier.
La rue Jonas court entre des rues au nom luxueux rue des Cinq-Diamants, au
nom champêtre Butte-aux-Cailles, réconfortant rues de la Providence, de
l'Espérance. Mais la rue centrale évoque le nom du plus célèbre des bourreaux :
Samson.
C'est sous ces rues que serpentaient les catacombes où les Z avaient établi
leur nouveau repaire.
Pour y pénétrer, il fallait passer, comme nous venons de le voir, par la
trappe qui se trouvait dans un des cabinets réservés aux « patates » de
l'établissement du père Fricart.
Cette entrée, ce trou, cette ouverture carrée donnait sur un escalier qui
tournait à pic autour d'un énorme pilier de pierre.
Les marches de cet escalier avaient en largeur à peine un peu plus que la
longueur d'un pied d'homme.
Un seul homme y pouvait trouver place… Aucune rampe ne courait pour guider ou
retenir.
L'escalier tournait deux fois sur lui-même dans une hauteur de six à huit
mètres.
Il était taillé à même dans le grès que l'on exploitait dans cette carrière,
et constituait un de ces tours de force de la main-d’œuvre d'autrefois, dont
l'ingéniosité nous étonne toujours.
Dans la colonne de pierre d'où semblaient partir les marches, deux niches
étaient creusées pour recevoir un homme. La première de ces niches se
rencontrait quand la tête de celui qui descendait en tournant se trouvait
en-dessous du plancher dans lequel s'ouvrait la trappe.
La deuxième guettait le nouvel arrivant trois mètres du sol du souterrain.
Cet escalier, datant de plusieurs siècles, avait servi à des confréries
secrètes dont nos aïeux étaient si friands, auxquelles ouvriers, bourgeois,
nobles s'affiliaient.
II était construit de façon à offrir toute garantie contre l'intrusion d'un
profane.
L'homme de garde de la première niche du haut, sous le plancher, laissait
passer le profane, le non-affilié, devant lui, sans la moindre objection, la
plus petite demande de mot de passe, de signe de reconnaissance.
Car la règle voulait que sans question, sans arrêt, on dit le mot, on fit le
signe en passant devant le premier garde.
Le garde ne reconnaissant pas l'homme qui descendait pour un compagnon, le
laissait passer mais il avertissait l'homme de garde du bas.
Le profane était pris… Aucune défense n'était possible pour le malheureux sur
cet escalier étroit, rapide, glissant.
Infailliblement, il était tué. Quelque part plus loin, une fosse le recevait
à jamais...
En descendant cet escalier, Paulin Broquet ne pouvait s'empêcher d'admirer
l'ingéniosité des hommes qui l'avaient construit et de frémir en pensant aux
scènes de drame dont ces marches mortelles avaient dû être le théâtre, souvent…
Il se disait que ce soir, cette équipée commençait devenir, de sa part.
extrêmement imprudente, qu'elle le mettait encore une fois la merci de son
ennemi Zigomar.
Mais cette descente affirmait aussi la conviction que le Un et le Deux
jouaient franc jeu avec lui, car il ne pouvait admettre chez eux une habileté
poussée au point de l'abuser, lui, si complètement, sur leur sincérité.
Toutefois, dès maintenant, Paulin Broquet possédait, grâce à ses deux
complices, à peu près tous les secrets de « la Baleine ». Il était, comme le Un
et le Deux le lui avaient dit, à même de remplir les fonctions d'assesseur, de
revêtir la cagoule noire, et de servir d'intermédiaire entre les Z et le grand
Zigomar.
[...]
Léon Sazie
Feuilleton en 164 épisodes paru dans Le Matin en 1909/1910
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