Le meurtre de la rue Harvey
La Presse — 7 janvier 1895
Il y a quelques mois, un ménage irrégulier, comme il en existe beaucoup à Paris, venait s'établir au numéro 9 de la rue Harvey, une petite voie du treizième arrondissement, qui va de la rue Nationale à la rue du Château-des-Rentiers.
La femme, une nommée Élisa Carré, âgée de trente-sept ans, conquit tout de suite l'amitié et l'estime de ses voisins.
Intelligente et laborieuse, on la plaignait d'autant plus dans le quartier que son amant Fulgence Boudon, de cinq ans plus âgé qu'elle était son antithèse morale.
Ivrogne, débauché et violent, on redoutait toujours que, dans une des scènes nombreuses dont il émaillait l'existence de sa maîtresse, il ne se laissât emporter par la colère et ne frappât la pauvre femme.
Hélas ces craintes étaient bien justifiées.
Ce matin, après avoir passé la nuit en libations copieuses, Fulgence Boudon rentrait au domicile commun et annonçait qu’il avait dépensé complètement sa paie et qu'il avait besoin d'argent.
La malheureuse femme lui reprocha, doucement sa conduite et le supplia de rester couché. Mais l'ivrogne prit mal la remontrance et s'emporta, en violentes injures.
Voyant qu'on ne lui répondait point, fou de rage et d'alcool, il s'empara tout à coup d'un couteau de cuisine et se précipita, sur sa maitresse.
La malheureuse poussa un cri terrible. La lame venait de la frapper en plein ventre, lui faisant une horrible blessure par où le sang s'échappait à flots.
Les voisins, déjà mis en éveil par les éclats de voix, se précipitèrent dans le logement et s'emparèrent du meurtrier qui, épouvanté, se laissa, emmener sans résistance chez M. Siadoux, commissaire de police du quartier, qui a procédé à un premier interrogatoire.
Pendant ce temps, on envoyait chercher un médecin et on prodiguait des soins à la blessée.
Mais tout fut vain et le médecin ne put, à son arrivée, que constater le décès. Le couteau avait traversé l'abdomen et perforé les intestins.
Le cadavre a été emporté dans la soirée à la Morgue, pour être soumis aux fins d'autopsie.
Quant au meurtrier, que les voisins voulaient lyncher, il a été envoyé au Dépôt.
Rue Harvey
Le 21 juin 1889, le journal l'Égalité écrivait :
" C’est dans le treizième arrondissement, quartier de la Salpêtrière, que se trouve la rue Harvey,
autrefois rue de l’Hôpital.
C’est assurément une des plus curieuses et des plus pittoresques voies du Paris pauvre
et misérable."
Pour Maxime du Camp, elle était "l'horrible rue Harvey, qui est un cloaque bordé par des antres sans nom." (Paris, ses organes, ses fonctions et sa vie dans la seconde motié du XIXe siècle)
Un peu d'histoire
La rue Harvey (165 mètres, entre la rue Nationale, 163, et la rue du Château-des-Rentiers, 206) fut ouverte en 1847 sous le nom de ruelle Saint-Honoré ; plus tard elle devint la rue de l'Hôpital. Par décret du 24 août 1864, elle devint la rue Harvey, en souvenir de William Harvey (1578-1657), médecin de Charles 1er, qui découvrit les lois de la circulation du sang (1576-1657). — Petite histoire des rues de Paris (1913)
La rue de l'Hôpital avait pour caractéristique, eu égard à sa situation hors de Paris avant 1860, au delà de la Barrière des Deux-Moulins de concentrer en son sein des marchands de vin et un dizaine de maisons publiques c'est-à-dire de maisons de prostitution comme le soulignaient Philippe Doré dans sa "Notice administrative, historique et municipale sur le XIIIe Arrondissement" ou les journaux quand il s'agissait d'évoquer cette rue qui, au fil des nouvelles, apparaissait dangereuse.
Plus tard, après l'annexion, la rue Harvey fut aussi le siège des activités de dizaines de chiffonniers et de petites industries. La mauvaise réputation de la rue persista voire même, s'amplifia dans les premières décennies du XXe siècle.
Après la première guerre mondiale, le peuplement de la rue Harvey changea, les chiffonniers qui l'occupèrent un temps presque exclusivement, se trouvèrent remplacés par la main d'œuvre immigrée de la raffinerie Say voisine ou de l'usine Panhard plus lointaine.
La rue Harvey disparut complètement en 1960 avec la destruction de l'ilôt 4. Apparemment, rien ne perpétue son souvenir à son emplacement.
Sur la rue Harvey
Faits-divers d'avant l'annexion
- Le meurtre de la rue de l'Hôpital - 1850
- Un assassinat aux Deux-Moulins - 1851
- Le meurtre de la rue de l'Hôpital - 1852
- La fabrique d’allumettes prend feu - 1853
- La fabrique d’allumettes prend feu (bis) - 1854