Un drame place Pinel
« Je déclare avoir tué ma femme à coups de hache » !
Tel est le texte du billet que le terrassier Pruvost avait laissé à côté de l’arme du crime
L'Intransigeant — 21 mars 1935
Louis Pruvost, dit « Petit-Louis », demeurant 7, place Pinel, terrassier dans une entreprise de travaux publics, aux Lilas, a tué hier soir, vers dix heures, la compagne avec laquelle il vivait depuis quinze jours, Élise Chavanne, âgée de 59 ans. La pauvre femme était couchée, malade depuis plusieurs jours. « Petit-Louis » s’est approché du lit et, d’un coup de hache, lui a écrasé la tête. Quittant la chambre, il est venu poser l’arme ensanglantée dans la salle à manger de son logis, s’est assis, puis, ayant posé sur la table une belle feuille blanche, a écrit posément :
« Je soussigné, déclare avoir tué ma femme à coups de hache, à la suite d’une discussion ».
Ayant soigneusement fermé à clé la porte du tragique domicile, il est descendu au café qui se trouve juste en bas de chez lui et s’est fait servir une consommation. Ayant lissé ses cheveux gris et broussailleux, il a posé ses deux mains sur le comptoir et s’est écrié, en regardant avec suffisance une personne qui se trouvait là et qu’il rencontrait souvent, M. Rajot :
— Ah ! ah ! Lisa n’aura plus mal à la tête. Je viens de lui en flanquer un bon coup. Elle est morte. Mon vieux pote, si tu avais été là, tu y aurais passé aussi. Je ne pouvais plus m’arrêter.
Ces déclarations, que l’on ne prenait tout d’abord pas au sérieux, avaient tout de même, si l’on peut dire, jeté un froid. L’homme aussitôt parti en taxi pour une direction inconnue, les témoins de la scène s’étaient regardés avec perplexité.
— Il faudrait tout de même y aller voir, dit enfin M. Rajot.

Avisant le voisin de la maison qui demeurait sur le palier, juste en face du terrassier, M. Bonnet, le petit groupe de consommateurs lui avait conté la chose. M. Bonnet, ému à son tour, était allé frapper à la porte fermée du domicile. Aucune réponse ne parvenant, la chose devenait brusquement tragique. On était allé chercher en toute hâte la sœur de Mme Chavanne, puis « Police-Secours », enfin, M. Barnabé, commissaire de police du quartier de la Salpêtrière.
Celui-ci avait rapidement enfoncé la porte. L’homme n’avait point menti. Mme Chavanne, le crâne complètement enfoncé, était morte. Il était, à ce moment, environ minuit.
Le signalement du meurtrier avait été diffusé aussitôt dans toutes les directions. A deux heures du matin, on apprenait que le criminel, monté dans son taxi, s’était fait conduire au commissariat de Salnt-Fargeau, où, après réflexion, il s’était constitué prisonnier.
Ce matin, assis sur une banquette du commissariat de la Salpêtrière, « Petit Louis » ricane avec placidité tandis qu’ou le photographie.
— J’ai une bonne tête, hein ! dit-il, ça n’empêche pas que j’ai tué ma femme.
Devant M. Barnabé, qui l’a longuement interrogé, il a conservé la même attitude cynique. De son crime, voici l’explication qu’il donne :
— Ma femme, plus exactement mon amie, mais c’est presque ma femme puis que je vis avec elle depuis si longtemps, ; était couchée, malade depuis quelque temps. Moi-même, j’étais resté sans travailler quelques jours, m’étant blessé sur le chantier. Hier après-midi, ne sachant que faire, je suis remonté chez moi. Vers le soir, ma femme m’a demandé à boire. Je lui ai fait chauffer du lait. « Il est trop chaud ! » a-t-elle crié. Je n’ai rien dit. Je suis allé simplement à la cuisine y mettre un peu d’eau. Nouvelle réclamation de ma compagne : « C’est mauvais, a-t-elle grogné, maintenant c’est trop froid ».
« Monsieur le commissaire, vous comprenez bien que la discussion entamée de cette façon pouvait aller loin. Effectivement, nous nous sommes mis à nous disputer tant que nous pouvions. J’étais en train de casser du bois dans la cuisine. A un moment donné, je ne sais ce qui m’a pris, j’ai perdu la tête. J’ai pénétré dans la chambre et, levant la hache dont j’étais eu train de me servir, je l’ai abattue de toutes mes forces sur la tête de Lisa. Elle n’a pas poussé un cri. Comme elle remuait encore, j'ai continué...
Jean Goujon.
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