Les gueux, inventeurs de petits métiers peu connus, n'habitent pas en général
les grandes cités de misère. Les cloisons minces révéleraient aux voisins les
secrets du négoce. D'ailleurs, les propriétaires ne permettraient pas à un fabricant
d'asticots ou à un ramasseur de crottes de chiens de remiser sa marchandise
dans un immeuble déjà empuanti par la crasse humaine. Ils habitent donc de petites
cabanes accroupies en des jardins fleuris de linges qui sèchent, près des terrains
vagues aux clôtures brisées par les « Terreurs » de quartiers.
Rue Xaintrailles, derrière l'église Jeanne d'Arc, demeure une pauvre vieille
grand'maman qui nourrit sa fille et ses petites-filles de crottes de chiens
cueillies à l'aube sur les avenues qui rayonnent de la place d'Italie.
Le sac sur l'épaule, armée d'une cuillère à soupe, elle explore la chaussée,
s'arrêtant près des arbres, des tas de sable, des amoncellements de cailloux.
Elle sait que les toutous aiment la solitude pour vaquer à leurs petites
affaires. Les chantiers de construction, les jardinets abandonnés sont pour
elle de véritables champs d'or où la cueillette est toujours abondante. Elle
trouve de petites crottes non pas dans le gazon, mais dans les recoins hérissés
d’orties ou de chardons, ce qui fait croire que les chiens ont à cœur de ne
point salir l'herbe courte où se roulent les gosses du quartier.
Gravure parue dans Le Monde Illustré en 1893
Le commerce n’allait point trop mal autrefois, au temps où les chiens vaguaient
en liberté. Mais depuis les arrêts préfectoraux, elle doit se rendre chaque
matin au domicile des toutous. Les propriétaires ou les domestiques mettent
ça de côté en petits tas, pour la vieille mère. Marchands de futailles, marchands
de caisses, charbonniers, possèdent de gros chiens de garde : terre-neuve
ou saint-bernard qui emplissent vite le sac d'un fumier de première qualité;
Délicatement, d'un coup de cuillère, elle les fait sauter une à une dans le
sac. Pas un grain de sable, pas une épluchure dans sa cueillette. La pauvre
vieille est si expérimentée que, n’y voyant presque plus, elle ne se trompe
jamais entre ce qui en est et ce qui n'en est pas.
Elle a de terribles concurrents même dans son quartier, des hommes presque
jeunes, qui ont des jambes très vites, eux, et un vieux bonhomme qui l'injurie
quand il la rencontre chassant sur ses terres. Ce vieux, le doyen, l'inventeur
du métier, a fait une petite fortune, mais il voyage par habitude et aussi pour
laisser un peu moins de butin à ses successeurs et disciples.
Bonne récolte ou mauvaise récolte, la ramasseuse ne rentre jamais rue Xaintrailles
sans porter sur son dos trois ou quatre seaux de crottes molles ou dures. Molles
ou dures, cela a son importance.
Molle, la marchandise se tassera ; dure, elle emplit plus vite le boisseau
du mégissier ou du corroyeur qui l'achètera pour travailler ses cuirs.
La pauvre vieille courbe l'échine sous ses crottes de chiens, et les femmes
de ce quartier ouvrier lui crient sur le seuil des portes :
— Vous ne voulez donc pas acheter une hotte, la Mère-aux-chiens ? Votre
marchandise vous pèserait moins.
— Une hotte ! Ah non ! Ça aurait trop l'air chiffonnier. Je n'ai pas
toujours ramassé de crottes er si je suis gueuse, je ne suis pas encore biffin !
Arrivée chez elle, la ramasseuse entasse sa cueillette en un coin de la chambre
où elle fait sa cuisine, dort et mange. La pièce est aussi propre que possible.
Les murs sont ornés de vieilles chromos chamarrées de couleurs encore neuves
et crues. Des photographies encadrées de bleu sont disposées en rayons autour
d'un globe fêlé qui protège les fleurs mi-écloses d'un antique bouquet nuptial.
Chaque après-midi, la Mère-aux-chiens porte sa récolte aux tanneries qui
ne travaillent que des cuirs fins. Elle vend sa marchandise au seau, quinze
sous ou vingt sous, selon le cours et selon la saison.
Le cours baisse de plus en plus, non pas que le mérite des crottes de chien
diminue, mais parce que les négociants en crottes deviennent de plus en plus
nombreux. Il y a à Paris actuellement quinze ou seize ramasseurs et deux ramasseuses.
Il y a dix ans, le commerce était entre les mains d'un accapareur, source à
de bien jolis revenus. L'homme vendait son engrais à raison de quinze francs
le décalitre.
Prévoyant la baisse, ce singulier spéculateur a gagné la campagne où il habite
un petit chalet ornementé, parait-il, de bizarres sculptures représentant des
chiens faisant... sa fortune.
Que devient la crotte ?
Des ignorants prétendent que les teinturiers s'en servent pour donner aux
gants cette jolie teinte safranée ou beurre frais qui fut, il y a quelques années,
si fort à la mode. Il n'en est rien.
Le mégissier qui achète la cueillette de la Mère-aux-Chiens verse dans une
cuve trois seaux de crottes, plus quelques dix litres de jaunes d'œufs. Il brouille
le tout comme pour la confection de quelque gigantesque omelette, puis remplit
sa cuve d'eau après avoir enfoncé dans le mélange les peaux à travailler. Les
cuirs de daim ou de chevreau sortent de là blancs comme lait et tout préparés
pour Il confection de petits souliers et des gants que des amoureux baisent
dévotement.
La Ville de Paris a inauguré, hier matin, rue Kuss, dans le 13e arrondissement, un groupe scolaire ultra-moderne, édifié en dix-sept mois, sur la proposition de M. Louis Gélis, conseiller municipal du quartier. (1394)
J'ai souvent parcouru en voisin cette rue que Jeanne d'Arc a baptisée, il y a soixante-quinze ans, à l'époque de l'annexion de l'ancienne banlieue, la commune d'Ivry en faisait partie. (1939)
Dans quelques jours, le 123-124, dernier spécimen des multiples tramways qui, il y a peu de temps encore, occupaient les rues de Paris, va disparaître. Il fera son dernier voyage, le 15 mars et sera remplacé, le lendemain, par un autobus. (1937)
La rive gauche réclamait son Métro : on va le lui accorder. Ainsi disparaîtra bientôt toute cause de jalousie entre les deux rives de la Seine. Il était grand temps qu'un peu d'équité intervint dans la répartition des lignes ! (1903)
Depuis longtemps les habitants des quartiers Croulebarbe et de la Maison-Blanche réclamaient l’achèvement de la rue Auguste Lançon, pour pouvoir se rendre sans un long détour à la gare du Parc-Montsouris. Enfin, c’est fait ! (1900)
Les travaux commencés l'année dernière pour le raccordement des boulevards d'Italie et des Gobelins sont sur le point d'être terminés. On achève le macadam et les trottoirs de la dernière fraction du parcours. (1864)
Avant de commencer mon article sur le treizième arrondissement, je crois utile de parler spécialement de sa ligne frontière, du boulevard Saint-Marcel, qui en constitue la limite septentrionale. Cette grande voie, qui a coupé le marché aux chevaux, écorné l'ancien cimetière de Clamart et absorbé la petite place de la Collégiale, a été enfin tracé onze ans après avoir été décrété d'utilité publique (17 août 1857). Mais a-t-elle été exécutée de manière à donner satisfaction aux intérêts des quartiers qu'elle traverse, aux intérêts des propriétaires et des habitants qui se trouvent dans son voisinage ? (1868)
La Bièvre est l'une des causes les plus actives de l'empoisonnement parisien. Ce ruisseau, chanté par les poètes, sur les bords duquel Rabelais aimait à se promener et qui a inspiré des idylles à Benserade, n'est en réalité qu'un égout à ciel ouvert. (1884)
Au sortir du pont de Bercy, sur la rive gauche de la Seine, s'ouvre le boulevard de la Gare qui va de ce pont à l'ancienne barrière d'Italie, au bout de la rue Mouffetard. (1867)
Comme si ce n'était pas assez, pour rendre le treizième arrondissement insalubre, des marécages de la Bièvre et des fabriques de la plaine d'Ivry, on y a laissé s’installer toutes sortes d'industries infectantes. (1885)
Le bruit court que la compagnie d'Orléans est en instance pour obtenir du ministère des travaux publics un décret d'utilité publique qui lui permette d'exproprier certains terrains qu'elle désire annexer à la gare des marchandises intra-muros. (1873)
Dans le populeux quartier des Gobelins, il est un groupe de gens à qui l'on a mis le bonheur — bonheur relatif, d'ailleurs — à portée de la main, et qui se disputent au lieu de le cueillir sagement. Ces gens demeurent sous le même toit, 9, passage Moret, voie vétuste qui semble être restée dans le même état qu'au temps des mousquetaires. (1926)
La Ville de Paris, qui loue pour rien les luxueux pavillons du Bois de Boulogne aux jouisseurs et aux parasites, veut expulser de malheureux travailleurs de logements peu confortables certes, mais pour lesquels ils paient un lourd loyer. (1927)
La laiterie Verny, située en plein cœur du populeux quartier de la Gare, 17, rue Bruant occupait, depuis quatre années, Henri Lecoin, âgé de vingt-huit ans, en qualité de caissier-comptable.
Les locataires n'étaient pas plutôt dans la rue que des démolisseurs se mettaient à l'ouvrage pour le compte d'un garage Renault qui fait procéder à des agrandissements. Ainsi les limousines des exploiteurs seront à l'abri et les locataires logeront où et comme ils pourront. (1927)
Les nombreux flâneurs qui vont chaque soir, au soleil couchant, respirer un peu d'air sur les glacis des fortifications, à la porte d'Italie, ont assisté hier à une véritable bataille.
Que l'on démolisse les taudis, nids à tuberculose qui pullulent dans la « Ville-Lumière », nous n'y trouverons rien redire, au contraire ! Mais que sous prétexte d'assainissement, comme cela s'est produit passage Moret, on expulse, en 21 jours, au profit d'un garage, des malheureux que l’on a finalement « logés » dans des taudis sans nom, c'est un véritable scandale ! (1927)
Un nommé Jean Siégen, dit « Jean-Jean » âgé de vingt-six ans, demeurant rue de la Pointe-d'Ivry, a tiré cinq coups de revolver, la nuit dernière, passé la porte d'Ivry, sur Mlle Marie Berthot, âgée de vingt et un ans, ouvrière lingère, rue de la Butte-aux-Cailles.
Tout un coin de Paris est en train de se modifier singulièrement. Huysmans ne reconnaîtrait plus sa Bièvre. Non seulement le ruisseau nauséabond est maintenant couvert depuis bien des années, mais le sinistre passage Moret a presque complètement disparu de la topographie parisienne et, au milieu de cette année, les fameux jardins dont la jouissance était réservée aux tisseurs et dessinateurs de la Manufacture des Gobelins, vergers en friche qui, quelquefois, servaient de dépôt d'ordures aux gens du quartier, auront perdu leur aspect de Paradou abandonné. (1937)
Hier soir, à dix heures quarante-cinq, un incendie s'est déclaré dans le grenier à fourrages de M. Brancourt, grainetier, boulevard de la Gare, 187. La cause de ce sinistre n'est pas encore connue.