La voiture de M. Rousselle
Le Gaulois — 23 février 1890
Le Figaro a raconté, dans son dernier numéro, une édifiante histoire de carnaval. Mardi dernier qui était, on le sait, mardi gras des gardiens de la paix, qui avaient reçu l'ordre de ne laisser aucune voiture stationner sur les boulevards, constataient qu'un coupé attelé de deux chevaux était arrêté, depuis dix minutes, sur le boulevard des Italiens.
— Circulez ! dirent-ils au cocher. Circuler répondit celui-ci, très digne, circuler ! Impossible. Service de M. le président du conseil.
Interloqués, les agents s'interrogèrent Président du conseil. Quel conseil ? Le conseil des ministres ? N'importe. La consigne est la consigne. Mais le cocher s'obstine. « Je n'ai d'ordres à recevoir que de mon maître » répondit-il d'un ton superbe. Il s'agissait de M. Rousselle, président du Conseil municipal. Les agents courent à la mairie Drouot, demandent à l'officier de paix ce qu'ils doivent faire.
— Amenez la voiture dans la cour de la mairie, si le cocher refuse de circuler, répondit M. Garnot.
Ce qui fut fait.
Le valet de pied alla au café informer M. Rousselle de ce qui se passait.
Le président du Conseil, furieux, arriva à la mairie et d'un ton moins que poli reprocha à l'officier de paix son manque d'égards. Il n'est pas le premier venu, que diable, lui, M. Rousselle ! On le traite comme le premier venu.
— Vous aurez de mes nouvelles, monsieur l'officier de paix, fait-il en se retirant.
Nous sommes allés aux renseignements. Les faits rapportés par notre confrère sont absolument exacts.
M. Rousselle prenait l'absinthe avec des amis dans un café lorsque sa voiture lut conduite au poste.
M. Rousselle, dès mercredi, a porté plainte contre l'officier de paix et demandé sa révocation au préfet de police.
M. Lozé avait été déjà informé de l'incident par M. Garnot. Il répondit :
— L'officier de paix a fait son devoir. Je ne puis ni le révoquer ni même lui infliger le moindre blâme.
— On peut faire son devoir et avoir des ménagements pour un président du Conseil, répondit M. Rousselle.
M. Garnot a été très poli. C'est son habitude.
— Poli, cela ne suffit pas.
En se retirant M. Rousselle déclara que, non seulement l'incident n'était pas clos, mais qu'il poursuivrait M. Garnot de ses colères.
Cette histoire a causé une vive émotion à la Préfecture de police, où M. Garnot est très estimé, tant de M. Lozé que du chef de la police municipale.
On ne sait encore ce qu'il adviendra. On ne veut pas croire que M. Rousselle mettra ses menaces à exécution et qu'au, contraire, il cherchera à taire le silence sur cette affaire, dans laquelle, évidemment, il ne joue pas le beau rôle.
Sur Ernest et Henri Rousselle
Ernest Rousselle (1836-1896)
Ernest Rousselle est élu pour la première fois conseiller municipal du 13e arrondissement représentant le quartier Maison-Blanche à l'élection du 16 janvier 1881. Il sera constamment réélu jusqu'à son décès intervenu quelques jours après les élections de 1896.
En 1889, Ernest Rousselle est élu Président du conseil municipal. En février 1890, le jour du Mardi-Gras, il prenait une absinthe avec des amis dans un café des Grands boulevards. Dans le même temps, son cochet l'attendait avec sa voiture attelé de deux chevaux sur le boulevard des Italiens alors que cela était interdit. Le Figaro et le Gaulois racontent la suite... L'histoire se termina parla démission de M. Rousselle.
- Le carrosse intempestif (Le Figaro - 1890)
- La voiture de M. Rousselle (Le Gaulois - 1890)
- La démission de M. Rousselle (Le Temps- 1890)
Ernest Rousselle fut réélu président du Conseil municipal en 1895. Il mourut le 15 mai 1896.
- Nécrologie - L'article paru dans Le Journal
- Nécrologie - L'article paru dans Le Gaulois
- Nécrologie - L'article paru dans La Gazette
- Le monument Rousselle (L'Aurore- 1901)
- Le monument Rousselle (Le Petit-Parisien - 1901)